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lundi 26 juin 2023

Hors la loi #Japon3.Escal'A2roues#93.







Dans un pays où tout est normé, réglementé, surveillé, cela relèverait du miracle de ne pas se retrouver à un moment ou à un autre dans le rôle du "hors la loi".

C'est même finalement plutôt rassurant d'être parfois à cette place tant la règle peut paraître quelques fois absurde. Si nous devions même toujours être dans les clous, il nous faudrait très certainement nous interroger sur notre sens critique qui aurait pris un coup dans l'aile. Pour tout dire, ça m'inquièterait même un peu !

Être très souvent à côté du droit chemin japonais, ce n'est pas tant la faute à notre esprit rebelle tenace mais plutôt à la stupidité d'un règlement et à des citoyens vraiment très très droits.

Quel contraste avec ces sociétés rencontrées jusque- là où tout semblait fonctionner davantage au feeling plus qu'à la loi. Ici il y a toujours une règle à laquelle il faut se conformer, un petit panneau caché dans un coin, une consigne à respecter.

Et la règle, c'est la règle !

C'est assez fou la capacité qu'ont ces gens à s'y plier, aussi ridicule soit-elle, sans faire appel à une certaine logique ou faire marcher leur simple bon sens.

Quelques fois, c'est même pire, on semble prendre un malin plaisir à l'appliquer, à la rappeler et à veiller à ce qu'elle soit correctement respectée. Qu'il est parfois dur de comprendre ces non-sens. Enfants du slogan "interdit d'interdire", on aurait parfois envie de jeter un pavé... dans la mare !





Ce n'est pas une marche qu'il y a entre leur rapport à la règle et le nôtre, c'est un fossé, que dis-je c'est une faille tectonique !

Je vois bien que vous vous dites déjà que j'en fais des caisses pour quelques bouts de fromage français dérobés dans des magasins ou pour 6789 feux rouges grillés sous le nez de bons conducteurs japonais mais il ne s'agît pas de ça.

Dans la rubrique des choses ridicules, improbables mais véridiques, voici un petit aperçu :

■"Comment passer trois jours à courir après du carburant quand on voyage à vélo ?"

C'est simple, je vais vous l'expliquer !

Pédaler de station essence en station essence à la recherche de quelques gouttes de carburant à mettre dans notre réchaud : ici, c'est tout un programme !

Non pas qu'il y ait peu d'endroit où se ravitailler, bien au contraire. Les japonais ayant tous un ou plusieurs véhicules et ayant, en plus, la très fâcheuse tendance de laisser leur moteur tourner inutilement des heures et des heures, les passages à la pompe doivent donc être quasi journaliers ! Ici, on met son moteur en marche environ une heure avant de démarrer le trajet et on le laisse tourner lorsqu'on stationne : pendant qu'on fait ses courses pour que le chien profite de la clim, du chauffage ou de la musique, le temps de boire son café, de faire une sieste affalé sur le volant ou de lire un bouquin en attendant que madame revienne de son rendez-vous. Bref, il y a des fois où j'exagère mais là c'est vraiment n'importe quoi !

Et comme pour se donner bonne conscience, chacun a sa petite voiture hybride, équipée de son ingénieux système de stop&go qui coupe le contact au moindre arrêt. Ainsi le moteur s'arrête quelques secondes au feu rouge ou le temps de laisser traverser un piéton mais le système n'a pas été conçu pour empêcher le moteur de tourner quand on stationne ! Allez comprendre, moi j'abandonne !!




Bref, dans cette dépense inconsidérée d'énergie, on nous plaint 800 malheureux millilitres de gazole pour faire tourner notre réchaud et vous savez pour quelle raison ?

Tout simplement parce qu'il est strictement interdit de remplir autre chose qu'un réservoir de véhicule. Autrement dit, c'est 30 litres et une grosse voiture ou rien ! Quand je pense que dans nombre de pays, on nous faisait cadeau de cette infime quantité de carburant.

Mais ce coup-ci, c'est différent, c'est la panne sèche et nous sommes dans une véritable impasse législative !

Après moultes palabres et des négociations acharnées, il a fallu prouver que la gourde en métal servant de réservoir était bien conforme au règlement à la noix en recherchant des photos du même modèle sur le net.

Alors que la démonstration était sur le point d'aboutir et la partie semblait quasi gagnée, il restait un problème de taille : la bouteille trouvée sur internet avait bien la même couleur mais ne comportait pas exactement les mêmes autocollants que la nôtre.

L'employé de cette énième station- service nous expliqua donc qu'il était désolé mais qu'il ne voulait pas risquer de perdre son travail à cause de nous. Il a fallu alors passer à la démonstration suivante : lui montrer que même sans moteur on pouvait monter dans les tours !

Comme un japonais n'a jamais vu personne de sa vie se mettre en colère, nous voir devenir aussi rouge que la fameuse bouteille du réchaud, a fait son effet et il a fini par accepter de remplir notre réservoir afin que les deux malfrats que nous sommes débarrassent le plancher au plus vite. Évidemment on avait bien précisé 800 ml pas plus, mais dans le règlement, le tissu se vend au mètre et le carburant au litre. Notre cher pompiste a donc absolument tenu à faire rentrer un litre dans notre bouteille de 800 ml ! Débordement, dégoulinades le long du récipient, et odeur d'essence sur les doigts, c'est cadeau de la maison ! Enfin... passons à l'anecdote suivante.





■"Pas d'électricité pour les SDF !"




Ici, chaque supermarché, aussi microscopique soit-il dispose de toilettes et d'un petit espace avec tables, chaises, prises de courant, poubelles, micro-ondes et thermo d'eau bouillante à disposition des clients. Ainsi les papis-mamies se reposent les gambettes après avoir fait leurs commissions, les chauffeurs routiers font leurs pauses café et les voyageurs à vélo y trouvent un peu de réconfort.

C'est au sujet de cette dernière espèce que les choses se compliquent !


Alors non, nous n'avons pas installé notre bivouac ici, même si parfois on en meurt d'envie ! Nous y faisons simplement halte quelques minutes le temps de nous réchauffer un peu, de faire une pause pipi, d'acheter de quoi manger ou de se mettre un peu à l'abri. Il est fréquent que l'on remplisse nos verres de camping d'eau chaude pour boire un café soluble et il est arrivé que l'on nous fasse remarquer qu'il est interdit de remplir un récipient qui ne provient pas du magasin. Comprenez par- là, un verre en carton à usage unique. Le Japon et la notion d'écologie est une histoire qui n'a pas encore commencé...

Il est arrivé aussi que l'on branche notre téléphone pour qu'il regagne un peu de batterie et que le GPS puisse nous guider sur les quelques kilomètres suivants. Là encore, alors que la prise était inutilisée et qu'à deux pas, des sortes de grands frigos tournent à plein régime jour et nuit pour garder fraîches ou chaudes (!!) des boissons conditionnées dans des cannettes ou des bouteilles en plastique, on nous explique qu'utiliser l'électricité du magasin est formellement interdit.

Il faut alors inviter l'employé du magasin à sortir de sa boutique, lui montrer les vélos et faire les imbéciles en mimant qu'on ne trouve pas de prises électriques sur ces derniers. Parfois ça fonctionne mais la plupart du temps, c'est non, puisque la règle l'interdit !



Ferait-on désordre ?

Enfin, dernière anecdote :

■"20 minutes, pas plus!"

Une autre fois, alors que nous trouvons refuge dans un de ces petits supermarchés et que la pluie s'abat dehors, nous sommes un peu surpris lorsque la caissière nous demande de partir. Pas bien motivés à affronter le déluge, nous faisons mine de ne pas comprendre.

Qu'elle ne fut pas notre surprise lorsque quelques instants plus tard, la police débarqua et nous montra un petit écriteau en japonais accroché au- dessus des tables et chaises à disposition des clients. La traduction donne à peu près ceci :

"Interdiction de rester plus de 20 minutes dans l'espace détente du supermarché"

Nous voici donc successivement en train de mimer la pluie qui tombe, un cycliste qui pédale en se prenant de l'eau sur la figure et une tente trempée. Et de tirer la conclusion nous-même : "Vous voyez bien, ce n'est pas possible, on va être tout mouillés, il vaut mieux rester à l'abri."

Mais les flics semblent catégoriques. Leur mission est de faire sortir de ce supermarché deux délinquants qui ont dépassés le délai autorisé et ce n'est pas négociable. Autant dire que nous sommes mal barrés ! Nous devons même donner nos passeports pour un relevé d'identité, un joker grillé...

Bien installés dans le supermarché en question...


C'est toujours dans ce genre de situation improbable que des choses incroyables se produisent, voilà qu'un homme surgit de derrière un des policiers avec deux boissons chaudes à nous offrir.




C'est ainsi que l'histoire du jour prend un nouveau virage et que nous nous retrouvons invités à passer la nuit au sec chez l'homme en question !

Bingo ! Les policiers ne cachent pas leur soulagement parce qu'ils commençaient à se demander ce qu'ils allaient bien pouvoir faire de ces deux clochards là. Quant à nous, on se retrouve chez Chiata avec au programme douche chaude, lessive, repas délicieux et bien arrosé accompagné des discussions à n'en plus finir jusque tard dans la nuit !

Chiata ne parle pas anglais ou presque mais déroule un flux continu de mots en japonais auxquels on ne comprend strictement rien mais comme notre hôte pourrait être champion olympique de "Time’s up" et qu'il est un génie du mime, avec ses gestes et les expressions de son visage, on comprend absolument tout !

À peine arrivés, Chiata nous sort tout une pile de magazines d'escalade puis de topos de montagne et d'escalade. Mais qui est l'auteur de tous ces livres ? Kentaro, notre hôte précédent, le propriétaire de la maison à la plage perchée en pleine montagne !

Chiata est un grimpeur mais il y a encore plus fou ! Il adore aussi la poterie et possède une véritable bibliothèque sur le sujet.



Bref, on ne remerciera jamais assez cette pluie diluvienne qui nous a poussé dans ce supermarché, cette caissière un peu trop à cheval sur le règlement, ces policiers embarrassés et surtout Chiata pour son accueil incroyable !

Comme quoi, règles stupides ou pas, l'humanité a encore de beaux jours devant elle !





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