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samedi 24 juin 2023

Regards sur le bipède grimpant...•Escal'A2roues#78.






Passer de cyclos à cyclo-grimpeurs et de cyclo-grimpeurs à grimpeurs demande un petit temps d'adaptation et un réajustement de quelques repères.

On ne parlera plus des pourcentages de pentes mais plutôt d'un passage de l'horizontale à la verticale, quand ce n'est pas au-delà parfois !

On troque alors les moulinets de jambes pour les fermages de bras, on passe des fesses qui chauffent aux bouts des doigts qui picotent ! Et que dire des pieds qui passent de 8 mois en tongs sur les pédales à des chaussons de trois pointures en dessous des leurs ?

Vagabonder de falaise en falaise donne un nouvel élan à cette longue itinérance : c'est une nouvelle motivation à se déplacer.

Notre envie de caillou et notre soif de découverte, nous ont menés ces trois derniers mois du Vietnam au Laos, du Laos à la Thaïlande et puis de la Thaïlande à la Malaisie.

On peut dire qu'on a passé du bon temps sur le rocher. Pendus au bout d’une corde, accrochés à du caillou génial, à se tortiller entre des stalactites géantes, à s'agripper à des tubercules de rochers dégoulinants de parois inclinées, à se dégommer la peau des doigts sur des pointes minérales hérissées, à se découper les mains sur des prises et des fissures acérées, à suivre ces lignes logiques comme ayant tout simplement été sculptées pour être grimpées.

Nous serons, tour à tour, passés de falaises sauvages, délaissées, oubliées où la nature a largement repris ses droits, aux spots organisés, sur-fréquentés, où il n'est pas rare que le même itinéraire soit gravi jusqu'à dix fois par jour. Du caillou qui ne tardera pas à s’user quand il ne l'est pas déjà complètement.

Ces derniers temps, j'ai appris trois choses sur la grimpe :

Premièrement, il est finalement possible de grimper par des températures très élevées, à deux conditions : transpiration maximale et utilisation de magnésie à gogo. Deuxièmement, il est finalement possible, et même tout compte fait pas si désagréable, de grimper sur du caillou usé, patiné, lustré... appelons-le comme on veut, le résultat étant le même : complètement glissant mais ayant pour avantage majeur de n'user ni la peau des doigts, ni la gomme des chaussons. Ainsi on peut grimper non-stop sur de longues périodes avant de reprendre son vélo !

Troisièmement, quand chaleur assommante et caillou poli se combinent, c'est encore une autre histoire ! Les meilleurs exemples sont ces fameuses falaises de bord de mer du sud de la Thaïlande, ajoutez alors un cadre exceptionnel et le tour est joué ! Même dans ces conditions déplorables, l'activité prend des airs de paradis exotique !

Entre ces spots à la mode et ceux n'ayant jamais connu leur heure de gloire, l'ambiance est bien différente.

Dans ces secteurs restés secrets, on alternera entre approches labyrinthiques dans une végétation luxuriante, entre balades verticales dans une jungle toute aussi verticale, entre prises couvertes de poussière, entre batailles pour se frayer un chemin au milieu de colonies de fourmis rouges furieuses et entre combat pour serrer des colonnettes pleines de lichen, attrapant des bacs remplis de terre, grimpant entre toiles et araignées à qui on envie largement l'agilité ! Usant d'ingéniosité pour ne pas se scratcher au sol en parvenant à clipper le troisième point, les deux premiers s’étant parfois miraculeusement volatilisés. Zigzaguant entre essaims de bêtes volantes et piquantes, entre nids et bestioles à plume, tout en craignant qu’un animal à pattes ou rampant ne surgisse par surprise d'un des très nombreux orifices.

À l'arrivée au sommet, pour seules récompenses, un costume avec tout un tas de « saletés » collées à nos peaux par la sueur nous donnant des airs de poissons panés largement décongelés ; un relais souvent relié par une cordelette hors d'âge et hors d'usage et la joie d’avoir crapahuté jusque- là !

Cotations fantasques ou inconnues, le degré de difficulté n'est plus un objectif en soi mais une simple indication à prendre en compte… ou pas avant de s'élancer.

A l'opposé, ailleurs, c'est rocher impeccablement propre, si fréquenté que même presque (ou totalement) lustré, pieds de paroi aménagés, prises juste assez usées pour offrir des préhensions non douloureuses, voies bien équipées, petits noms voir cotations inscrites aux pieds, relais bien placés et régulièrement entretenus. Le terme « escalade plaisir » prend alors tout son sens.

Ce sont les vacances !

La grimpe prend alors des airs de promenade minérale où trouver le bon itinéraire est synonyme d’arriver en haut sans s’être arrêté sur la corde en chemin et sans s'être trop fatigué !

Pour autant, lorsqu’en cours de route, une sorte de balisage devient un peu trop omniprésent et que chercher l'itinéraire le plus optimal se trouve résumé à suivre des marques blanches, ça surprend.

Est-ce qu’être grimpeur aujourd'hui, c'est trouver son chemin en suivant des traits blancs ?

Je me questionne toujours sur ces tickets de cake (traits de magnésie marquant les prises) et sur ces zones de rocher toutes tartinées de blanc… Peut-on vraiment toucher toutes ces prises sur son passage tout en grimpant ?

Parce que pour moi, je n’ai que deux bras et la peinture, c’est le soir au bivouac ! La plupart du temps, mes mains sont déjà bien occupées à s’agripper au rocher et je n'ai ni temps, ni énergie, ni capacité de réaliser toutes ces décorations au goût douteux ! On devrait peut-être songer à confisquer le sac à pof de Shiva...

Mais force est de constater que de plus en plus, on tente sa chance dans des voies un peu trop dures pour soi et on se retrouve souvent à avoir ses deux mains libres puisque c’est pendu à la corde que l’on est ! Je crois bien que c’est dans ce contexte que la peinture blanche apparaît ! C’est dans ces mêmes circonstances que les dégaines fleurissent un peu partout, que les voies sont assiégées durant des heures ou encore que la fameuse « canne à pêche » servant, à soit-disant, mousquetonner le premier point par sécurité se retrouve à prendre de la hauteur accrochée à un baudrier. Cherchez l'erreur… Quand la pêche à la ligne se transforme en pêche à la croix !

Est-ce qu’être grimpeur aujourd'hui c'est essayer des voies dures sans n'avoir encore tenté celles de son niveau aux alentours ?

Bon… Il paraîtrait aussi que c’est comme ça qu’on progresse alors voici qui explique que je suis toujours cantonnée (comme le riz !) dans des voies de mon niveau qui est d'ailleurs toujours le même depuis 15 ans ! Mon manque d’assiduité dans la pratique et mon manque de fréquentation des spots de grimpe ces dernières années y sont peut-être pour beaucoup mais ont l’avantage de me rendre spectatrice naïve de ces évolutions de pratique qui m’intriguent.

Au Vietnam, nous avons eu le privilège de grimper sur du rocher neuf, hyper agressif pour notre peau de doigts de cyclistes, dans des secteurs si tranquilles que nous n'avons croisé qu'une petite poignée de grimpeurs, le tout avec des températures plutôt très adaptées ! Easy life !

Catba et Huu Lung, combo parfait pour se remettre dans le grand bain de la grimpe après 7 mois d'arrêt !

À Ao nang dans le sud de la Thaïlande, nous avons eu la chance de grimper dans des secteurs relativement neufs : beau caillou, belle grimpe et déjà quelques régiments de grimpeurs à l'assaut de ces tout derniers bijoux. La nature faisant bien les choses, on peut aussi dénombrer quelques escadrons de moustiques afin de réguler la population précédemment citée.

En Malaisie, nous avons découvert de jolis petits spots aux potentiels énormes mais aux itinéraires encore très peu nombreux pour faire d'eux des spots majeurs.

Gunung Keriang proche de Kedah ou encore Bukit Ketri non loin de Perlis n'attendent que votre visite, vos goujons et votre imagination !

Fréquentés et entretenus par des grimpeurs locaux surmotivés, il ne manque que quelques nouvelles recrues venues d'ici ou là et qui apporteraient aides matérielles, compétences et expériences dans le domaine de l'équipement.

De notre passage à Perlis, nous aurons laissé quelques relais remis au goût du jour, une nouvelle falaise défrichée et une nouvelle ligne qui aura vu le jour sur celle-ci.

À Chiang Dao au nord de la Thaïlande, nous avons apprécié la tranquillité des spots sauvages. Un vrai patchwork de couleur dans des champs à la terre ocre et parsemés de bananiers. Pas un chat au pied des parois mais un gros Gecko Tokay avec qui nous avons dû partager les prises. Cette cohabitation et ces mâchoires solides qui nous guettent sont le "prix à payer" d'une nature restée encore préservée.

Dans la catégorie des jolis spots laotiens abandonnés, il y eut Nam Hin Boun. Une jolie vallée, de petits villages agricoles et une belle falaise posée sur une montagne de gruyère ! Les cavités qui parsèment le massif offrent des balades kilométriques, certaines permettent même de traverser la montagne par un tunnel naturel ! Aussi ce n’est pas vraiment un hasard si ce sont des spéléos qui ont repéré les parois de Nam Hin Boun et sont revenus armés de perfos pour y poser les tout premiers goujons. Une deuxième campagne d'équipement l’année suivante et puis plus rien… Les plantes grimpantes ont donc repris leur activité favorite, les premiers spits se sont volatilisés et les grimpeurs se sont plutôt multipliés et agglutinés à Thakhek, situé à une grosse centaine de kilomètres de là.

Même scénario plus au nord, à Pha Tang. Magnifique falaise mais restée dans l’ombre de Vang Vieng, la ville touristique du coin. À Pha Tang, des champs de choux géants émergent de grandes falaises blanches. Là encore, le potentiel est énorme et les quelques voies tracées sont sûrement magnifiques mais manquent cruellement de fréquentation pour que la grimpe soit agréable. On aura pourtant tenté notre chance même si cela ressemblait parfois davantage à une session de bartassage qu'à une séance de grimpe !

Avantage non négligeable, nous étions seuls au monde comme c’est souvent le cas dans les plans un peu foireux !

Ces falaises délaissées n'ont pourtant rien à envier en terme d'esthétisme et d'intérêt à leurs voisines. Alors si l'on jouait au jeu de 7 différences, quelles seraient-elles ? Pourquoi certains spots attirent-ils plus les foules que d’autres ?

Peut-être que les premiers critères seraient les infrastructures autour de la falaise en terme d'hébergement, de restauration et la facilité d'accès et d’organisation depuis l'aéroport ou la gare routière les plus proches. Ajoutez à cela un nom qui sonne bien et de la visibilité dans les magazines spécialisés associée à la visite médiatisée de grimpeurs fameux. Sans oublier la présence de voies bien dures mais des cotations plutôt commerciales et un style de grimpe assez moderne.

Évidemment les très fameux spots de grimpe autour de Krabi en Thaïlande remplissent tous ces critères. Mais Tonsaï comme Railay ont un atout supplémentaire : la mer. Un accès atypique depuis les flots et une vue sur l'océan turquoise quand on jette un œil par- dessus son épaule en grimpant, le côté exotique de devoir jongler avec les marées pour accéder à certains secteurs, les plages de sable blanc et des ilots émergeant de la ligne d'horizon...

On ferme alors les yeux sur la grimpe pouvant parfois s'apparenter à du patinage artistique, sur des températures rendant toute perf aléatoire, sur les nombreux grimpeurs qui attendent leur tour, sur le bruit incessant des moteurs de bateaux et on admire le paysage !

On nous avait décrit Tonsaï comme le paradis sur terre. Septiques, nous trouvions la formule un peu osée et tout un tas de questions jouaient au ping-pong dans nos esprits. Étions-nous vraiment prêts à plonger dans ce Disneyland de la grimpe ?

Les cyclo-grimpeurs croisés furent tous catégoriques : vous ne pouvez pas passer à côté sans vous arrêter. Le bon plan d'un bungalow à prix défiant toute concurrence finit de nous convaincre et c'est curieux que nous avons finalement franchi la porte du grand palais "Tonsai-Railay".

Venus pour y grimper deux ou trois jours, répartis finalement après une dizaine de jours sur place, qu'en avons-nous réellement pensé ? La réponse est dans la question !

Si c'est dans un spot comme ça qu'on atterrit après la mort, on veut bien aller au paradis !

Thakhek, LE spot de grimpe laotien a également, à peu près, tous les atouts du spot populaire. Site développé par une équipe d'allemands, il y a quelques dizaines d’années, le spot offre à présent une multitude de secteurs aux parois de toutes orientations, de toutes inclinaisons et aux itinéraires de tous niveaux ! Le cadre est superbe, le caillou est magnifique et le potentiel aux alentours est encore énorme !

Le « Green climber home » est un campement pour grimpeurs, une sorte de village vacances pour escaladeurs. Plus qu’un camping, c’est un hameau de bungalows avec quelques tentes en location, un restau et un bar situés au cœur du spot, tous les secteurs étant accessibles à pied. Une affaire qui roule. Une américaine à la gestion, des laotiens en cuisine et à l'entretien et de jeunes occidentaux qui travaillent gratuitement comme volontaires en étant nourris logés en échange. Leur travail consistant à réceptionner les nouveaux arrivants et à leurs expliquer les règles du camp (!!), à servir au bar et au restaurant mais aussi à donner les cours d'escalade. La plupart étant d’ailleurs aussi débutants eux même que les élèves qu’ils encadrent (!!). Évidemment les tarifs « dodo-miam-miam-glou-glou » sont adaptés aux visiteurs et n'ont clairement rien à voir avec ce qui se pratique dans le reste du pays. Ça fait partie du jeu ! (Et personne ou presque ne s’en rend d'ailleurs compte puisque les grimpeurs ne vont pas voir le reste du pays !)

Mais quand même…

Dans ce camping "à la cool" où l'on fait confiance aux hôtes en leur laissant noter leurs consos sur un petit carnet, tous les touristes, ne sont pas vraiment tous logés à la même enseigne. Ce qui est étonnant ici et qui en dit long sur l'état d’esprit des gérants (aussi grimpeurs qu’ils soient…), c’est que lorsque tu pédales depuis des mois, que tu arrives ici avec ton matos de grimpe sur ton porte bagage, que tu plantes ta propre tente au milieu des bungalows et bien, on te demandera de payer plus cher que deux vacanciers qui débarquent en taxi avec leurs valises à roulettes et qui louent une tente déjà installée pour leurs deux semaines de congés annuels.

Business is business, on n’est pas là pour faire du social et puis ici, c’est un camping de grimpeurs, pas de cyclistes !

J'ouvre une petite parenthèse pour illustrer mes propos :

Palme d'or du manque du savoir- vivre quand une famille de cyclo-voyageurs avec 4 enfants âgés de 7 à 13 ans vient faire une halte d’une nuit et qu’on leur demande de payer aussi cher pour dormir dehors dans leurs tentes que s'ils s’étaient payés le luxe d’un bungalow. Demander un tarif plus élevé pour un enfant de 7 ans, qui se donne chaque jour le mal de pédaler pendant deux mois et qui vient prendre une douche, qu'à un grimpeur adulte qui vient louer une tente parce qu’il n’en a même pas une chez lui…

Là je crois que c’est juste n’avoir rien compris à la vie ! Ce n'est ni valoriser la motivation, ni les efforts fournis, ni même l'originalité de la démarche… Ce n'est certainement jamais avoir posé ses fesses sur une selle, pédalé plusieurs jours d'affilés et n’avoir jamais eu à motiver des enfants à faire une activité physique et itinérante …

Finalement plus qu’agaçant, c’est triste pour ces grimpeurs entrepreneurs basicobasiques et c'est dommage pour l’image que ce feront ces enfants de ce camping « décontract' » et de la grande communauté grimpante !

En voyage à vélo, on se sent en général plutôt libre mais dès lors que l'on doit pratiquer une autre activité, stationner en ville, visiter un musée, faire des courses… c'est plus compliqué. Que faite de tous nos bagages ? Pouvoir poser sa tente et y laisser sans crainte toutes ses affaires le temps d’aller grimper est la solution de facilité. Nous avons ainsi passé une dizaine de jours dans cette sorte de grande colonie de vacances pour adultes aux pieds de ces belles falaises. La mauvaise surprise concernant le tarif spécial « voyageurs au long cours » étant réservée au dernier jour, nous passons ici un agréable séjour, l’esprit léger. Ne pas démonter chaque matin sa tente, ne pas chercher un spot à la tombée de la nuit chaque soir, grimper chaque jour, avoir du temps et de la lumière le soir pour dessiner, se doucher après avoir transpiré toute la journée, ça ressemble à de vraies vacances ! ... Parenthèse refermée.

Passer du temps au sein de cette communauté et observer tous ces grimpeurs est pour moi une vraie distraction !

À a grande surprise, j'ai eu ici, le temps et le loisir de découvrir l'orientation que prend l'escalade, ainsi que les manières de faire et d'être de ses pratiquants. Activité et communauté que je pensais pourtant connaître un peu et dont j’imaginais même faire un peu partie !

J'y ai d'abord vu des grimpeurs se lever tôt… très tôt même puisque ce sont les cris de grimpeurs tapant leurs essais dans les secteurs à proximité qui chaque matin ou presque m'ont sorti du sac de couchage.

J'y ai vu des grimpeurs les yeux encore embrumés de sommeil prendre des postures de yoga, la séance ne pouvant durer que quelques minutes à peine, l'important étant plutôt d’être à la vue de tous ! J'y ai aussi vu des grimpeurs se payer le petit déj le plus cher de la carte avec des fruits exotiques, du muesli (sans gluten), du yaourt (sans lactose) et des graines (inconnues !)… et laisser la moitié de leur bol ! Gâchis…

J’y ai vu des grimpeurs se pendre sur deux doigts sur des poutres, faire de la corde à sauter, tirer sur des élastiques et faire des pompes avant d’aller grimper… « Mais ils vont être complètement cuits-rôtis avant même de commencer à grimper, non ?!? »

J’y ai vu des grimpeurs tenter des voies plus dures que leurs niveaux, échouer, ne pas s’énerver, recommencer, tomber, recommencer encore, saucissonner des heures. Je les ai écoutés, dubitative, m’expliquer des méthodes… « Mais de quoi ils parlent au juste ?! »

Et en même temps, j'ai vu bien peu de grimpeurs enchaîner de belles lignes… Le temps du "à vue" et des beaux combats serait-il révolu ?

J’ai aussi vu des grimpeurs faire du « pan gullich » comme des hamsters dans une roue alors qu’il faisait grand beau, qu’ils étaient à l’autre bout du monde et qu’il y avait tout un tas de voies géniales sur du caillou de ouf à grimper….

Là, je commençais à ne plus rien comprendre... trop de choses m'échappaient !

Quant à la tombée de la nuit, j’ai vu des grimpeurs se ruer sur leur petit tapis de gym pour s’étirer dans tous les sens plutôt que de se ruer sur le frigo et sur la bière, ce fut la goutte de trop : j’ai commencé à vraiment m’interroger !

Est-ce que c'est ça être grimpeur aujourd'hui ?

Est-ce qu’être grimpeur aujourd'hui c’est prendre un avion pour un pays lointain pour passer deux semaines de congés au pied d’une seule et même falaise ? Sans aller se balader jusqu’au village voisin, sans aller découvrir la falaise tout aussi bien équipée mais moins connue à proximité, sans partir explorer un peu le reste du pays, sans pousser la curiosité plus loin que leur seule et unique activité ?

Est-ce qu’être grimpeur aujourd'hui, c'est essayer des dizaines de fois la même voie, le même mouvement, la même section quand la falaise regorge de petits bijoux qui pourraient être réalisés de la plus noble des manières, « à vue » ? Est-ce que c'est forcément toutes ces heures et ces heures de labeur et de frustrations pour quelques secondes de joie, une fois le relais flippé au terme de l’enchaînement tant convoité ? Est-ce qu’être grimpeur aujourd'hui c’est crier de toutes ses forces restantes lorsqu'on échoue ou lorsqu'on l'on attrape le bac salvateur ?

Est-ce qu’être grimpeur aujourd'hui c'est se poser dans un gîte ou un camping spécial grimpeurs, est-ce que c'est dormir dans un vrai lit parce que dormir par terre, ça fait mal au dos ? Est-ce qu’être grimpeur aujourd'hui, c'est forcément être végétarien, végan, sans lactose, sans gluten, sans sucre et sans gras ?

Je m'étais déjà étonnée à ce sujet, ce printemps de découvrir que le sucre avait disparu du thé à la menthe chez Saïd à Taghia à la demande des grimpeurs m'avait- on expliqué. Ici c’est le milkshake à la banane qui est non sucré. Tristitude.

Est-ce qu'être grimpeur aujourd'hui c’est savoir faire des tractions à deux doigts mais ne pas savoir pour autant tomber proprement ou assurer correctement ? Depuis quand prend-t-on le risque de chuter entre le premier et le deuxième point sur la tête d'un assureur qui a déjà ses lunettes à prismes vissées sur le nez !?

En quelques jours à peine, c’est pas moins de cinq personnes que l’on a vu revenir de la falaise en clopinant sur une seule patte, la seconde ayant sa cheville foulée suite à un mauvais plomb…

Est-ce qu’être grimpeur aujourd'hui c'est sociabiliser à outrance avec des gens de la même espèce et ne même pas s’apercevoir qu'il y en a d'autres un peu différents ?!

En deux semaines passées à leurs côtés, dans ce fameux camping pour grimpeurs, combien se sont interrogés sur le fait que nous étions les seuls à camper au milieu des bungalows, que nous étions les seuls à avoir notre propre tente ? Qui s'est demandé d'où nous arrivions ? Qui a été interpelé par l’idée que nous voyagions à vélo ? Qui nous a interrogé sur cette vie de nomades et qui nous a demandé depuis combien de temps nous roulions ? Personne ou presque…

Qui a jeté un œil par-dessus mon épaule alors que chaque soir dans l’espace commun je passais des heures le nez sur mon cahier et un pinceau à la main ? Personne ou presque….

Chacun s’intéresse à ce qu’il veut et chacun fait ce qu’il lui plaît me direz-vous… certes, c’est légitime. Les manières de pratiquer l'activité évoluent et c'est dans l’ordre des choses… peut-être. Évidemment si tout le monde s’empile ici, la tranquillité est à chercher ailleurs : c’est vrai aussi !

Mais ce que je me dis surtout c'est que "la curiosité est un bien chouette défaut" ! Plus que jamais, cultivons là ! Quittons les sentiers battus, sortons du moule, sortons du rang et éloignons nous un peu de la tribu des bipèdes qui jouent à imiter leurs très éloignés cousins !

Enfin je finirai ce trip asiatique de roc et de mots par vous parler de Crazy Horses.

Non loin de la bien animée Chiang Mai, nous avons découvert là- bas, du beau caillou à la fréquentation modérée. Spot fermé durant des années, la réouverture semble toute récente et c'était chouette de partager le temps d'un week-end, les falaises avec des grimpeurs locaux prêts à nous conseiller et à nous donner des infos sur leurs autres spots thaï préférés ! Une sorte de crémaillère pour fêter le retour des grimpeurs sur les rochers du secteur !

Ici, on a aussi rencontré d'autres cyclo-grimpeurs, on a grimpé sur des grosses concrétions, dans des murs à trous, au creux de drôles de goulottes et surtout, surtout... Le clou du spectacle : on a grimpé dans des grottes !

Accès improbables, éclairage minimaliste, silence assourdissant, tracés ingénieux et air conditionné garanti ! Il n'en fallait pas moins pour séduire les deux taupes que nous sommes !

Sur ces mots, je clôturerai cette modeste étude sociologique du grimpeur en voyage et ce petit tour d'horizon de cette virée grimpesque en Asie du Sud-Est...

De cette ligne incroyable dans l'obscurité de cette grotte, il me vient ces mots :

Et si grimper heureux était synonyme de grimper cachés, de grimper discret et d’être fous d'improviser sans arrêt ?

Et au risque de passer pour une rabat-joie sur le regard surpris que je pose sur les grimpeurs d'aujourd'hui et pour ceux qui connaissent « les bobos » de Renaud : qu’on le veuille ou non… on fait aussi partie du lot !

Mais rassurez-vous quand même... Comme des crevards, on a forcément fini les restes de ptit déj dans les bols de nos petits voisins. Comme des gourmands, on a ajouté 4 cuillères de sucre à notre banane milkshake et mangé une tonne de pancakes. Comme des voyageurs, on a dormi le plus possible par terre et on s'est douché le moins possible. On a utilisé des perches de bois pour aller clipper le troisième point quand les deux premiers manquaient à l'appel. Comme les anciens, on n'a presque pas volé et on n'a pas squatté les voies pendant des plombes. Promis, on n'a jamais laissé de dégaines installées parce qu'on n'en a pas assez… mais on a peut-être tchouré 2 ou 3 mousquetons inutiles, par ci par là mais ça … c'est un secret !

Enfin pour conclure la conclusion, voilà ce qu'on trouve dans les livres de grimpeurs de nos jours (on a pas tout compris, mais on va s'entraîner, on vous le jure !) :

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