samedi 17 juin 2017

"Le raid à ski avec pulka pour les nulles" #Groenland 2

  Cela fait des heures que je marche. Devant moi, je vois Flo et les aérations situées à l’entre-jambe de son pantalon violet qui sont ouvertes… Il fait chaud, nous transpirons. Voici maintenant une dizaine de jours que nous ne nous sommes pas lavées et nous devons commencer à sentir le fennec… ou plus exactement le phoque en rut !
Mon ventre gargouille, il semblerait que ce soit la faim qui lui fasse faire ce bruit de machine à laver !
Une cordelette passée sous mes bras me reliant à la ceinture du sac à dos de Flo me contraint à être pliée en deux vers l’avant et me cisaille les aisselles. Le visage vers le sol, je regarde mes skis qui enchaînent rarement plus de 20 pas consécutifs. Dans ma tête je compte le nombre de foulées me séparant de la prochaine pause tant espérée, tant méritée ! Les os de mon bassin sont douloureux et mon ventre est tout serré par la ceinture à laquelle est amarrée la pulka qui me tire de tout son poids ,en arrière. Ecartelée entre Flo, devant, et la pulka derrière, comptant jusqu’à trois pour unir nos forces afin de mettre cette dernière en mouvement après une courte pause ou son immobilisation dans un passage à l’inclinaison trop forte.



Deux filles en mode chiens de traîneau, on ne doit pas avoir l’air très malin. Je me dis que la situation doit être assez comique, vue de l’extérieur, et cela me rappellerait presque quelque chose !

Il y a un an, presque jour pour jour, nous mettions toutes nos forces à haler nos trois sacs de hissage le long de la grande paroi d’El Cap au Yosémite.



Tout comme aujourd’hui, nous sentions mauvais, nous n’avions pas grand- chose à manger. Nous avions enchaîné quelques bonnes journées et quelques drôles de bivouacs, nous étions alors un peu désorganisées et quelque peu maladroites dans une activité qui n’était pas vraiment la nôtre. Cependant en sortant au sommet de cette grande paroi californienne , après cinq journées d’effort, nous étions aussi heureuses qu’en bouclant un raid de 10 jours en traînant une put… de pulka au pays des ours polaires !


Bien des fois, nous nous étions alors dit, qu’avant de partir, nous aurions peut-être eu l’air moins cruches si seulement nous nous étions un peu renseignées. Effectuer quelques recherches sur les bivouacs en paroi, les cacas dans des boîtes, le hissage de sacs méga lourds, les pendules, les remontées sur corde… Bref, lire tout simplement « Le big wall pour les nul(les) ». Après les nazes au Nose, nous voici dans le rôle « des nouilles (surgelées) au Groenland » !



 

14 avril 2017,

Voici déjà deux jours que nous avons quitté l’Islande, le petit aéroport de Kulusuk et l’héliport de Tasiilaq. Deux journées riches en rencontres et en kilomètres : deux aventuriers accompagnés d’un attelage de 32 pattes et de 8 langues roses pendantes, un fjord puis des lacs, une cabane, de grands plats, des montées, des descentes et finalement un glacier !

C’est ici que nous avons installé notre petite tente et avons passé notre première nuit dehors au Groenland. Au réveil, il neige !



Dehors, tout est blanc et nos affaires sont à moitié ensevelies. Pour la première fois du séjour, nous nous sentons seules, enfin presque ! Il y a bien eu une alerte à l’ours dans la nuit mais impossible de vérifier si celle- ci était fondée puisque, ce matin toutes les traces ont disparu sous la neige fraîche !

Toujours est-il que nous voici donc (presque) seules comme des (presque) grandes filles avec notre tente, notre fusil, nos skis et notre pulka !

Le soleil fait finalement son apparition et après avoir mis environ deux heures à plier tout notre bazar (et il y en a !), nous jetons tout dans la pulka en environ… 2 minutes ! C’est bien simple : charger plus à l’arrache, on ne pouvait pas ! Ça penche dans tous les sens, ça manque de basculer à chaque pas et finalement tout se renverse au bout de 10 mètres !



Je sors donc immédiatement mon petit carnet pour prendre quelques notes en vue de l’écriture de notre prochain ouvrage : « Le raid à ski avec pulka pour les nul(les) » !

De cette première expérience nait donc : Chapitre 1 : "Ne range pas ta pulka comme tu ranges ta chambre (ou ta voiture) !"



Parties de Tasiilaq, il y a deux jours déjà, nous continuons notre traversée de l’île d’Angmasalik en direction de Tiniteqilaaq, tout petit village situé sur la rive gauche du Fjord Sermiliq.

Dès la première descente, on comprend que le bouquin va pouvoir rapidement s’enrichir de quelques chapitres supplémentaires…




Bientôt quelques maisons sont en vue et nous parvenons à rejoindre tant bien que mal l’immense bras de mer gelé qui nous sépare du village. Deux silhouettes sur cette immense étendue blanche, Boris et Seb partent à la pêche au phoque. Ni une ni deux, nous les suivons et partons aussitôt lever les filets avec eux, abandonnant là notre nouvelle copine, la pulka, que l’on commençait déjà à trouver quelque peu relou !



Flo guette le phoque !
Certains sont plus chanceux...
Nous rentrons bredouilles, l’eau était sûrement trop humide… Faute de phoque, nous mangerons des lyoph’ ! A ce sujet, il va falloir commencer à se rationner un peu puisque dans la précipitation, nous sommes parties un peu light niveau nourriture. Dommage le demi wagon de sachets de lyophilisé que l’on nous a donné avant de partir est resté à Tasiilaq! Bref… 

Chapitre 2 : "Pour tirer ta pulka, n’oublie pas de manger sinon c’est elle qui te tirera !".



Nous nous installons pour bivouaquer au bord du Sermilik et passons la fin d’après - midi à regarder passer les icebergs sur le fjord. Le trafic est plutôt dense en cette fin de journée, pourtant « Bison futé » annonçait « journée blanche »… Je ne comprends pas trop et je me demande bien ce qu’un bison peut bien comprendre à la banquise !

En tout cas, bien que situé au bord d’un axe à fort trafic, notre terrain de camping est vraiment magnifique !



Le lendemain est une journée repos pour la pulka mais c’est aussi une journée fatigante pour nos jambes et nos pieds qui essaient de traverser des distances interminables !

Pas de tente, pas de réchaud, pas de duvet, pas de bouffe (et pourtant une barre ou deux à se mettre sous la dent, nous aurait bien fait plaisir !)… Juste nos skis, nos petits sacs et notre fusil sur le dos, nous optons pour le titre du chapitre 3 : "Partir léger, c’est parfait !"

Flo passe la journée à m’assommer avec la crosse du fusil, qu’elle porte sur son dos, à chaque fois qu’elle se retourne. Serait-ce cela que l’on appelle prendre «un coup de fusil » ? …Cela ne fait pas du bien, c’est sûr, mais de là à dire que cela fait mal et à en faire tout un drame, c’est un peu exagéré ! Comme quoi, pour arriver à mettre un « coup de fusil » à un ours, il faut qu’il soit quand même sacrément proche !

Chapitre 4 : "Penser à s’entraîner à mettre des coups de fusil !"


Cette journée en mode « léger » est l’occasion d’aller skier dans de vraies pentes et de se rendre compte par la même occasion que nous évoluons sur un mille feuilles de couches fragiles. Voilà un problème qui n’en est pas vraiment un quand on se balade avec une pulka étant donné que l’on ne peut pas s’aventurer dans des pentes à plus… de 10° !




  
Chapitre 5 : "Avec une pulka, pas besoin de BRA !" (Bulletin Risques Avalanche)

En tout cas, on se régale à tracer des virages dans de la neige de cinéma et on est aussi heureuses qu’un inuit un jour de chasse au narval… ou que devant un pack de bières un samedi !




Les jours suivants se suivent et se ressemblent. La neige tombe jour et nuit ! Nous migrons à Tinit’ et passons trois journées dans une petite cabane où les aventuriers du Mt Forel finissent de boucler leurs bagages en vue de leur départ imminent. Nous assistons donc aux derniers préparatifs et participons comme nous pouvons : corvée d’eau à la citerne du village, préparation du délicieux pemmican (!), tricotage de bonnets, confection de chaussons pour les pattes des chiens et d’un fouet en cuir de phoque, déneigement du toit, évacuation des poubelles à la décharge à ciel ouvert, bonhommes de neige et batailles de boules de neige avec les petits esquimaux, balades en ski dans la neige fraîche et dans le vent, sieste, musique, écriture, lecture, craquages et fous rires…

Notre cabane au Groenland !
 


Après 3 jours de tempête de neige,
les bonhommes de neige sont plus grands ! 
Après trois jours d’attente, la tempête cesse enfin et c’est l’heure du départ pour tout ce petit monde ! L’équipe du Mt Forel, Seb, Boris et Max, les deux traîneaux chargés de plusieurs centaines de kilos et les 18 chiens prennent la direction du nord/ouest alors que nous partons vers le sud/est. La vraie aventure commence ! Ca tombe bien, on commençait à devenir folles !

Les conditions météo des derniers jours ont transformé l’eau gelée du fjord en eau liquide et glaciale. Comme on n’aime pas trop se laver, on évite de prendre un bain en choisissant de contourner la zone en question, de sonder, de prendre pied prudemment sur les blocs de glace craquelés, d’éviter les zones de courant comme le pourtour des îles ou les caps. Au moindre craquement suspect, nous poussons des cris à effrayer les quelques phoques susceptibles de se balader sous nos pieds. On opte aussi pour déclipser les ceintures du sac à dos et de la pulka afin de s’en débarrasser le plus rapidement possible, si par malheur, nous devions venir à plonger. Nager dans l’eau gelée, pourquoi pas, mais avec 40 kilos accrochés à la ceinture, on a préféré ne pas essayer !

Chapitre 5 : "Sur les fjords gelés, soit prêt à tout lâcher si tu ne veux pas couler !"







Nous voici donc parties pour traverser l’île d’Angmagssaliq dans le sens Nord/Sud cette fois, nous choisissons de remonter la vallée de Kûgarmit où nous sommes quasi sûres de croiser personne durant tout le trajet. Notre objectif principal est de rejoindre Tasiilaq d’ici quelques jours. Nos objectifs secondaires sont plus nombreux : ne pas se noyer, ne pas mourir de faim, ne pas se faire croquer par un ours, réussir à tirer la pulka et notamment passer un col à 700 mètres d’altitude, ne pas se perdre et surtout ne pas se faire mal…


Parties la fleur au fusil (ça a beau être le printemps, ici, il n’y a pas de fleur !), nous nous rendons rapidement compte que le moindre petit pépin (il n’y a pas non plus de fruit !) peut rapidement se transformer en grosse galère (pourtant on a vu que de petits bateaux de pêche).
Un petit bobo, une chute dans l’eau gelée, une attaque d’ours, un problème de réchaud, de tente ou encore une casse de pulka, de chaussure ou de ski pourraient vite nous faire regretter de ne pas avoir embarqué de téléphone satellite.

Je continue donc à noter dans mon carnet…
Chapitre 7 : "Sans téléphone satellite, pas de nouvelle, bonne nouvelle…"



Nous l’avions déjà constaté les jours précédents mais cela se confirme de jour en jour : ici, nous perdons toute notion de distance. Le moindre plat se compte en kilomètres et rien est là pour nous donner de point de repère si ce n’est des rochers. Et ces rochers-là sont bien trompeurs ! Il en existe de toutes tailles !






Visible à des kilomètres, on vise ce petit morceau de gravier. Après avoir marché de longues minutes, le nez dans les spatules, nous levons la tête : il semblerait que ce gravier soit finalement un caillou. Le nez au sol, nous continuons d’avancer durant je ne sais combien de fois 60 secondes, je ne sais combien de fois 60 minutes (j’ai même le temps de me demander s’il n’y a pas plus de 60 minutes dans 1 heure !) et voilà que quand on se risque à relever le regard une nouvelle fois, le caillou s’est transformé en rocher ! Le rocher devient ensuite bloc puis paroi (…euh non là, je m’emballe !). Tout ça pour dire que des histoires de petit gravier qui devient gros bloc, on en a connues quelques-unes et croyez nous, ces histoires -là, sont interminables !
Voilà pourquoi le chapitre 8 s’intitulera: "Avec une carte au 1/150 000, prévoir dans les complexes Fleurs de Bach "Courage et persévérance" ! "

Nous traçons peu à peu notre chemin vers le sud, pour ne pas dire que nous creusons notre tranchée vu toute la neige fraîche tombée ! L’une de nous deux porte le sac, marche devant et fait la trace pendant que l’autre tente de la suivre en traînant la pulka. Il lui faut parfois refaire une trace légèrement décalée sur le côté pour que la pulka puisse glisser normalement. Nous échangeons nos rôles toutes les heures environ ne parvenant pas à savoir ce qui est le plus reposant ou le moins fatiguant !



Terrains plats, traversées en devers, légères montées ou grandes descentes, lâché de pulka, attelage en mode chiens de traîneau, moulinage dans les pentes trop raides, chasse neige… Tout est permis !


Une bonne dose d’imagination (accompagnée d’une mise en pratique) plus tard, voici le cru du manuel :

Chapitre 9 : "Le raid avec pulka pour les nul (les)"




Dans ces quelques paragraphes illustrés vous trouverez tout ou presque ! Vous apprendrez comment descendre une pente inclinée à 10°, comment mouliner votre pulka à 60 mètres dans des pentes « raides » (soit 30° !!!), comment lâcher votre pulka (et la retrouver plantée dans une congère), comment marcher en dévers avec votre copine à quatre pattes derrière, comment tirer une pulka attelées à deux en tirant autant la langue qu’un chien de traîneau !









Bref, on en a bavé mais on a bien rigolé !

Ceci dit, le répertoire de ces diverses techniques est loin d’être exhaustif et tous conseils ou astuces sont, bien entendu, les bienvenus !





Tout ça pour vous dire que le raid à ski avec une pulka au Groenland, nous, on a adoré ! Et ce que l’on a peut-être encore le plus aimé, c’est d’ apercevoir dix jours après l’avoir quittée, la petite ville de Tasiilaq tout au loin, s’en rapprocher peu à peu, débarquer un samedi en chaussures de ski dans un supermarché et tout dévorer !


En rentrant, je n’ai pas tout compris. Mon copain était poilu comme un ours. A la maison, il n’y avait pas de fusil mais le jardin était tout fleuri. Il m’a simplement dit, qu’ici aussi, il y avait des supermarchés ouvert le samedi (et que d'après lui, rien ne m’interdisait d’y entrer en chaussures de ski au mois de mai !), que les placards étaient pleins de bonnes choses à dévorer… Alors pourquoi partir si loin ?


 
En regardant, quelques photos et quelques vidéos, en écoutant quelques anecdotes et en voyant mes yeux tout brillants : je crois qu’il a bien compris que «la classe de neige au Groenland » avec ma copine Flo, c’était… WAHOU ! 



1 commentaire:

  1. bon c'est le petit cousin Seb qui a aimé votre page , je me suis permise de lire votre récit et j'ai adoré , bravo les filles

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