vendredi 28 octobre 2016

Second round à l'Esfinge !

 

L'Esfinge, c'est un peu LE "big wall" Péruvien. Un bout de caillou de 750 mètres de haut planté au beau milieu d'un tas de sommets neigeux, ça ne passe pas inaperçu... Tenter de grimper dessus, ça laisse aussi de sacrés souvenirs !

 Ma première visite à cet énorme morceau de granit remonte à quelques années déjà...

Mai 2013 : Premier round !


Alors accompagnée de François (eh oui... souvenirs, souvenirs...), nous avions atteint le sommet après avoir gravi la "Ruta 1985". Bien qu'étant une voie classique, la parcourir dans des conditions un peu bizarres n'avait pas été une simple balade de santé !

Après des kilomètres à pied sur une piste interminable en mode sherpa, un départ tardif du bivouac pour cause de pluie matinale, des premières longueurs humides, une averse de neige au milieu de la voie, une sortie dégoulinante, de l'escalade nocturne, nous avions atteint le sommet dans la nuit noire et froide mais heureux de vivre ça en amoureux !
S'en suivait ensuite une arête verglacée en baskets, des rappels avec des cordes trop courtes et une galère pour désescalader des dalles trempées, nous avions enfin retrouvé le bivouac et nos duvets à 2h du matin... L'épopée s'était terminée le lendemain par 40 kilomètres à pied jusqu'à Caraz ! ... Cela aurait été trop facile sinon !
Comment oublier une aventure pareille !


 

Ce bon Sphinx avait alors marqué des points alors que nous, nous avions laissé quelques plumes dans la bataille !


Août 2016: Second round !

Le Puscanturpa plié, il nous reste quelques jours avant notre vol de retour.
Me voici donc de retour dans la Cordillera Blanca.

Holà l'Esfinge, c'est encore moi !

Cette fois, j'annonce la couleur : je n'y retourne que si la météo est optimiste, si un taxi nous évite 40 bornes de marche et si on y va en mode léger et rapide pour sortir avant la nuit !
Bref, j'ai pas vraiment envie de me mettre la trash !
Mission presque accomplie... à un gros détail près : la nuit ! Ce ne sera pas la trash mais la MEGA trash !

Mélaine et Benoît partent dans la classique alors qu'avec Ihintza et Pulpo, nous optons pour "Killa Quillay", une voie située juste à gauche de la "85", dans un niveau similaire mais beaucoup moins parcourue que cette dernière...
Bien consciente que cette ligne s'annonce plus aventureuse que sa petite voisine, que l'itinéraire parait moins logique, que les deux cordées sont loin d'être équilibrées, qu'à trois ça risque d'être (très) long et que notre première partie de voyage dans la Cordillera Huayhuah nous a sûrement un peu fatigués, j'hésite un moment entre aller faire la touriste au dessus des lignes de Nasca ou passer en mode guerrière pour tenter de tirer mes compagnons de cordée vers un sommet où je suis déjà montée.

Finalement (comme souvent), l'envie de grimper l'emporte ! En "grande fille", je prends donc ma décision que j'essayerai d'assumer jusqu'au bout (de la nuit...). Je sais que ça va être compliqué, aussi je me prépare secrètement à faire une nouvelle fois l'Esfinge à la rame mais je n'en souffle mot...

Dès la marche d'approche, on s'aperçoit avec Ihintza que notre petit homme, Pulpito, est très très fatigué. Malgré tout, il insiste pour grimper avec nous le lendemain... On verra bien !


Une fois au camp de base, nous partons vers la face pour fixer la première longueur (6b+/expo nous dit le topo...). Surprise ! Habituellement, j'aime bien les surprises mais celle ci, je ne la trouve pas très rigolote...
Une longueur de 60 mètres tout en traversée dans une dalle assez verticale et hyper lisse, un pauvre spit à perpette, un second tout aussi loin, puis plus rien dans cette diagonale infernale jusqu'au relais... L'affaire est vite réglée : Moi, j'y vais pas ! Hors de question de m'écraser par terre maintenant et ici, j'ai encore trop de rêves à vivre !
Pulpo et Ihintza ne sont pas plus enthousiastes alors voilà comment prendre un but avant même d'avoir enfilé des chaussons !


Ca sent le plan B, enfin... disons plutôt le plan "85" ! Retour au camp de base !
On recopie comme on peut le topo de la voie classique et je tente timidement une renégociation de la composition des cordées, sans succès...

Ce soir là, je peine un peu à m'endormir... J'ai la sensation de m'embarquer à reculons dans une aventure, qui je le sais d'avance, nécessitera que j'y mette toute mon énergie et toute ma motivation !
Le problème est que justement le curseur de cette dernière n'est pas aussi haut que d'habitude... Venir ici en fin d'expé et refaire une voie et un sommet que j'ai dejà faits une fois en galérant n'y est sans doute pas pour rien...
Je sais aussi que mes compagnons de cordée sont un peu fatigués et que je me sentirai sûrement par moment un peu seule aux commandes... Finalement, je finis par m'endormir en me disant que c'est une expérience comme une autre et puis que, comme d'habitude... on verra bien !


Réveil très matinal ! (il faut mettre toutes les chances de son côté !)
Il fait nuit noire quand nous rejoignons le pied de la voie. Benoît et Mélaine partent devant. Ils seront sans aucun doute plus rapides que nous.
Nous attendons qu'ils démarrent et les suivons tant bien que mal... (et plutôt bien que mal dans un premier temps !)
Les premières longueurs sont fraîches pour ne pas dire glaciales. Dans les chaussons, les orteils sont durs comme du bois, ils peinent à adhérer sur ce caillou éclairé à la frontale et parfois bien glissant.
Il a été convenu que je grimpe en tête toute la première partie puis que je passe le relais à Pulpo jusqu'à la vire intermédiaire. Ensuite suivant l'état des troupes, on avisera !




Le soleil arrive (enfin !), nous réchauffe (enfin !) et éclaire (enfin !) le caillou : il est magnifique !
La beauté de cette voie me revient peu à peu en mémoire. Les longueurs ultra classes se succèdent, de beaux dièdres, de belles fissures, une cheminée, une belle dalle à réglettes...
C'est beau et je me régale de parcourir tous ces beaux passages que j'avais complètement oubliés...






Devant, Mélaine et Benoît grimpent en réversible et je les rejoins à chaque longueur, partageant régulièrement le relais avec eux... Ihintza et Pulpo me suivent tout sourire !
Ca avance bien, on grimpe au soleil, il fait super bon et je commence à me dire que vraiment je m'inquiétais pour rien !


A R8, c'est l'heure du changement ! Pulpo passe devant pour des longueurs encore pas faciles... Il commence à artiffer, ce qui nous fait perdre pas mal de temps mais a le mérite d'être efficace, ça passe !
Nous perdons Mélaine et Benoît de vue et continuons notre chemin sous les derniers rayons de soleil...




Arrivés à la vire intermédiaire, le vent se lève, le soleil s'en va et l'heure tourne...
Ce petit replat surnommé "Vire des fleurs" situé à mi paroi marque la fin de la session dure et le début de la session paumatoire. Elle est habituellement utilisée comme chambre à coucher par les gens qui réalisent la voie en deux jours. Pour nous, il n'est pas l'heure d'aller au lit, mais nous sommes plus proche de l'heure de la sieste que de celle du repas de midi...
Nous apercevons, 4 ou 5 longueurs au dessus de nous, nos copains qui nous font de grands gestes pour nous indiquer le chemin à suivre : "Là, ici... Vers la droite ! ...ça grimpe encore et ça se protège pas si facilement que ça ! A toute à l'heure !" ... Euh j'en doute !

Pulpo garde la tête de la cordée pour quelques longueurs encore... Le vent ne se calme pas et derrière, on commence à vraiment se refroidir et bientôt on est complètement frigorifiées.



Petit à petit, notre petit homme poursuit son chemin vers le haut mais aussi vers... la gauche. "Hé non ! On avait dit à droite !"

Au relais suivant, c'est officiel, nous ne sommes plus dans la voie mais en ayant parcouru la suite de nuit, il y a quelques années, je crois me rappeler que dans cette zone plus couchée, ça passe un peu partout !

Double erreur : ce n'est pas si couché que ça et il y a des endroits où ça passe moins bien que d'autres...
Bref, on se retrouve au pied d'un ressaut vertical fissuré et il fait de plus en plus sombre.
Je repasse devant pour une joyeuse partie de feu d'artifice, faisant je ne sais combien d'aller retour dans cette longueur interminable afin de récupérer du matos. Tout y passe jusqu'au minuscule 000 ! Au dernières lueurs du jour, je pendule dans une dalle et réussis installer un relais 30 secondes avant qu'il ne fasse nuit noire... Ouf !!!

Ihintza et Pulpo me rejoingnent non sans mal (Ben oui... Pulpo a remis ses baskets puisqu'il avait froid aux pieds... sans blague !) et je tente de les assurer avec plus de mal encore ! Bref, Pulpo se casse la voie à hurler "Piiiaaaaaaa !" pendant que je m'épuise à essayer d'avaler une corde déjà super tendue et que je me broie les doigts entre la corde sous tension et le caillou... La situation pourrait être comique mais allez savoir pourquoi, ce coup-ci, ça ne me fait pas rire !

Nous continuons notre chemin dans la nuit noire... Pulpo repasse devant mais une centaine de mètres plus haut, il cale ! Impossible de trouver un cheminement dans ces grandes dalles improtégeables surtout par visibilité plus que réduite !

Cette fois, il faut bien l'admettre, nous sommes complètement paumés ! Il n'y a pas de doute, nous sommes vraiment beaucoup trop à gauche et pour une fois, être trop à gauche, ça fait ch....

Ca cherche de tous les côtés, en haut, à droite... ça grimpe, ça désescalade, ça remonte, ça redescend, ça s'automouline et ... ça pendule !
C'est quand je comprends quels types d'accrobaties est en train de réaliser Pulpo au dessus de nos têtes que je me dis qu'il faut arrêter ce cirque maintenant, sans quoi, on va tous finir en bas... et ce ne sera pas un tour de magie !
Un pendule sur un seul piton avec 40 mètres de corde déroulée, c'est un numéro plutôt engagé mais pas vraiment raisonnable...

A en entendre Ihintza hurler : "Ruben ! Ven aquí !", je me dis qu'elle n'a pas l'air d'apprécier le spectacle non plus!
J'ai presque envie de rire quand je vois la tête de Pulpo se décomposer quand on lui annonce, toutes les deux en même temps, que l'on va passer la nuit ici !

"Mais on peut même pas s'allonger ?!" ...ça tombe bien, on ne va pas s'allonger puisqu'on n'a pas de duvet ! ... et puis on n'a pas dit "dormir", on a dit "passer la nuit" !

La décision met un peu de temps à être acceptée mais quand je sors la couverture de survie que j'avais discrètement glissée dans mon sac à dos en quittant le camp de base ce matin, tout va mieux ! (enfin presque !)
C'est fou ce qu'un petit bout d'alu peut parfois mettre du baume au coeur à tout le monde !

Assis en boule, serrés les uns contre les autres, nous voici prêts à affronter une longue nuit d'hiver, à 5200m d'altitude, sans duvet et sans rien à manger ni à boire ! ... Encore une drôle d'occupation pour des congés d'été ! Et dire qu'il y en a qui à la même heure sont affalés sur des plages de sable chaud... On n'a vraiment rien compris nous !

Livanos disait : " Si ceux qui ont déterminé la vitesse de la rotation des astres avaient fait des bivouacs, leurs calculs n'auraient pas donné les mêmes résultats". Encore une fois, je me dis qu'il n'avait pas complètement tort !
Qu'est ce que c'est long une nuit dehors en plein hiver et en plein vent !

Soigneusement emballée dans mon manteau d'alu, j'ai la sensation d'être un gros bonbon.
Une papillote géante emballée dans son conventionnel papier doré et argenté. Mais cette nuit c'est loin d'être Noël !
Sous les rafales qui se déchaînent, la couverture s'agite en se froissant et en se déchirant, faisant tellement de  bruit, que quand bien même on n'aurait pas si froid, le "pppsshsssgrsssss griiissssshtthhtsssssss" incessant nous empêcherait de dormir !

Pas facile la vie d'un bonbon en plein vent !

De toute façon, ce dérangement sonore s'améliore puisque la durée d'attente est inversement proportionnelle à la surface de la couverture de survie qui se déchiquette de minute en minute... Peu à peu, au fil de la nuit, nous passons de Noël à Carnaval, notre bout de papier doré devenant guirlande puis confetti... Mais toute comparaison avec une fête s'arrête là !
Il fait vraiment très froid et il faut se concentrer pour ne pas trembler dans tous les sens...

Bref, après une attente interminable, le jour finit par enfin pointer son nez, nous rafraîchissant encore davantage...
On n'est pas prêts d'oublier cette folle nuit !
Ihintza se rappellera d'ailleurs de trois choses qui l'ont empêché de passer une bonne nuit : Le froid, les injures de Pulpo toutes le 3 minutes et un caillou pointu dans les fesses !


Autant dire qu'au "réveil", nous ne sommes pas bien frais !
Dès les premières lueurs du jour, je regarde à droite, à gauche, en haut... espérant que la sortie ne se trouve pas vers en bas car sans marteau ni piton cela va être compliqué ! Heureusement, nous sommes plein Est et les premiers rayons du soleil sont pour nous ! ...Pas si mal situé ce bivouac me diriez vous ! ... Oui franchement, je ne sais pas de quoi on se plaint !


Après deux longueurs horizontales, je retrouve un spit et quelques traces de passage. Ouf ! Je peux enfin me remettre à grimper dans le bon sens ! La sortie se fera par le haut et c'est tant mieux ! Je reprends un peu plaisir à grimper malgré les pieds encore bien endoloris par le froid de la nuit et mes mains un peu abimées à force de tirer les cordes . Le terrain est plus roulant mais parfois difficile à protéger...
Il me semble (et je crois que ce n'est pas qu'une impression !) que nous mettons une éternité à gravir les 100 derniers mètres...

Enfin le sommet est en vue ! Je n'avais encore pas vu le sommet de jour alors voilà une belle première ! On immortalise le moment, même si nous ne sommes pas prêts de l'oublier !


Un tout petit bout d'arête puis un véritable sentier de rando nous mènent au premier relais de rappels. A notre vitesse de progression, je prends davantage conscience de l'état de fatigue de Pulpo et je me dis que l'on a vraiment beaucoup de chance qu'il fasse beau sinon tout deviendrait bien plus compliqué...
Ihintza nous guide dans les trois longs rappels qui nous permettent de rejoindre l'immense pierrier au pied de la face... Cette fois on y est !

Reste plus qu'à récupérer nos sacs gentiment allégés par Benoit et Mélaine  (qui eux sont en bas depuis bien longtemps), à se laisser dégringoler jusqu'à la piste, à sauter dans le taxi que nos copains ont réussi à négocier (pas gagné quand on a 12h de retard ! Merci !!!!), à attraper un "colectivo" pour Huaraz, à prendre un bus pour Lima puis à s'envoler pour Madrid... Tout ça en 24h !

Quelle aventure !

Allez, c'est quand même chouette l'escalade, demain on grimpe à l'Ossau ! Notre Esfinge à nous !

lundi 3 octobre 2016

"C'est Pérou les vacances ??"





Un bout de carte intitulée « Cordillera Huayhuash »… Des montagnes, des glaciers, des noms, des altitudes... une ribambelle de sommets !

Tout en bas à droite, un petit triangle noir entouré au stylo bille : c'est ici, la destination de nos vacances !
Un sommet, une belle face : "Le Puscanturpa"
Un pilier, des orgues, des dièdres, des vires, des fissures, des cailloux en équilibre et du rocher bien compact... Un cheminement de haut en bas, une voie qui naîtra bientôt... Et cette ligne, c'est la nôtre !

Après quelques mois de préparation et six jours de gestation : bébé est arrivé !
C'est parti pour les présentations !
De son petit nom Quechua, "Puscaj Pucutai" ou "Hilandera de nubes" (pour les espagnols) ou encore "Fileuse de nuages" (pour nous !). La jolie mademoiselle pèse aux alentours du 7b max et mesure environ 650 mètres ! Sacré morceau !


Allez, je vous raconte tout ça !?

Fin juillet : les sacs sont prêts !
Cordes, dégaines, friends et coinceurs, chaussons, marteau, pitons, tamponnoir, spits, étriers, microtrac et poignée jumar, quelques centaines de mètres de stat., des portaledges… Autant dire que les sacs sont plutôt bien remplis et quand même assez lourds. La balance s’affole et les hôtesses tirent la tronche !

Direction le pays des Incas, des lamas, du Pisco, du ceviche, des cochons d'inde, des bonnets et des patates !

Benoît, Mélaine et Pulpo déjà sur place prennent le temps de s’acclimater tranquillement (et surtout raisonnablement !).

Pendant ce temps, avec Ihintza, nous sommes en maillot de bain en train de boire des cocktails multicolores sur les plages de Miami : Première phase d’acclimatation réussie !



Quelques heures plus tard, Lima, son fidèle ciel tout gris, les drapeaux rouges et blancs qui flottent dans les rues de Miraflores et des nuits bien courtes pour cause de fête nationale nous attendent ! Le premier "Ceviche" est avalé ! L'aventure peut commencer !

Entrons directement dans le vif du sujet ! Rallier la capitale péruvienne à la Cordillère Huayhuash s'annonce plutôt engagé voir même exposé : tapez ces deux mots "Bus" et "Cajatambo" dans la barre de n'importe quel moteur de recherche et vous comprendrez!

Nous sommes vite submergées par une avalanche d'articles de journaux, de gros titres : des accidents, des blessés, des morts par trentaines; de photos : des bus accidentés, des épaves au fond du ravin...

Si l'on en croit toute cette agitation, cette route semble être la championne en titre : "LA route la plus dangereuse du Pérou" ! Visiblement, on a tiré le gros lot !


Bien entendu, cet accès n'est pas la voie classique, ce dernier se faisant plus communément par Huaraz, sorte de "Chamonix Péruvien".

Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?!

A la voie normale, balisée et fréquentée, nous avons préféré les chemins de traverse, la voie moins classique, quelque peu oubliée, peu parcourue, plus "exotique" en somme ! C'est un "à vue" sans topo, certes un peu osé, mais qui a l'avantage de nous faire gagner pas mal de temps et (une fois n'est pas coutume) de maltraiter un peu moins nos pieds : Un jour de voyage contre deux et un jour de marche contre trois ! Malines les filles !... Ou inconscientes, encore faut-il arriver à bon port (ou à bon camp de base) en un seul morceau !


Après plus d'une douzaine d'heures de bus et quelques bols de poussière avalés, le crux est négocié avec succés ! Oufff ! L'aventure peut continuer !




1er août : Cette fois, on y est !

Huayllapa aux premières heures du jour...

Assises face à face, devant une grosse assiette de pommes de terre bouillies. Je regarde Ihintza amusée. Cette dernière manque de s'étouffer à chaque nouvelle bouchée tant ces patates sont sèches et farineuses ! La propriétaire des lieux, toute fière de sa production locale, revient à la charge toutes les deux minutes, refusant de nous laisser partir tant qu'il restera une pauvre patate dans cette foutue assiette si l'on veut avoir une chance de vaincre "la cumbre" !

(... Purée ! Si elle pouvait nous les prémâcher, elle le ferait !) La prochaine fois, on évitera de parler de sommets et d'escalade et cela simplifiera la chose gastronomiquement parlant !

Ne nous demandez pas comment on s'est retrouvé ici, ce serait trop long à expliquer ! Toujours est-il qu'arrivées tard dans la nuit, on a trouvé un toit pour dormir, que nous avons un muletier et deux ânes pour transporter toutes nos affaires jusqu'au camp de base et qu'en prime on nous régale de ce succulent petit déjeuner !

La Cordillère Huayhuash est là et nous tend les bras ! Aussi nous ne tardons pas à nous mettre en chemin...

Des heures de marche et à peine quelques mètres de dénivelé plus tard (Put.... qu'est ce que c'est plat cette pampa!) nous sommes rattrapés par 6 mules qui portent des trucs vraiment étranges : des caisses en bois, des sacs, des patates de hissage et... un portaledge ! Pas de doute, on connaît forcément les asticots qui suivent !

Effectivement, Mélaine, Pulpo et Benoît ne tardent pas à apparaître ! Cette fois, l'équipe est au complet, l'expé peut commencer !



C'est donc tous les cinq réunis que nous apercevons pour la toute première fois, le Puscanturpa qui se dévoile au détour du sentier. Tel un géant de pierre dressé au milieu de la pampa d'herbe rase, c'est haut, c'est raide et c'est beau !



2 août : Camp de base, notre maison pour les deux prochaines semaines !

L'altimètre affiche 4700m, une clairière dans un éboulis géant, un coin plat, du sable, un ruisseau... En quelques minutes, les tentes poussent comme des champignons magiques puis bientôt les mules s'éloignent... Rendez vous dans 15 jours ! Nous voilà seuls, enfin seuls...



Impatients, nous remontons sans attendre le grand pierrier et allons faire un tour au pied de la paroi à la recherche de la ligne de fissures qui donnera les premières notes de la symphonie qui va se jouer ici les jours suivants... Dès le lendemain, les premiers friends raclent le rocher, le marteau résonne, les pitons chantent et le tamponnoir fume... à moins que ce ne soit les bras qui partent en fumée !




3 août: Aujourd'hui, objectif "nid d'abeille" !

Ce premier jour de grimpe, nous permet d'accéder à la première zone facile de la face. Deux très belles longueurs en fissures accompagnées de coincements de toutes tailles entre les orgues caractéristiques de la partie inférieure de la paroi.
Et le nid d'abeille alors, c'est quoi?!
Un empilement horizontal d'orgues observé depuis le camp de base, de près cela ressemble davantage à une carrière où tous ces blocs empilés ne semblent attendre qu'un "top départ" pour filer tous ensemble vers le bas !




Les jours passent et le "rythme expé" se met tranquillement en place. Manger, dormir, grimper !
Optimiser chaque heure de jour dans la paroi ou attendre que le temps passe au camp de base...

Drôle de rythme ! Alternance de jours pleins d'énergie et de jours tout calmes...
Des journées bien remplies où il faut marcher, porter, grimper, hisser, donner des coups de marteau, fixer des stat, tirer des rappels, être vigilants à chaque caillou branlant, à chaque friend posé, à chaque relais, du lever du jour au soleil couchant; et des journées off...
Des heures passées dans les duvets à tomber les bouquins les uns après les autres comme on tourne les pages d'un seul et unique gros livre; musique en boucle dans les oreilles, des morceaux écoutés mille fois qui s'échappent des écouteurs et qui invitent à la réflexion, qui ramènent à des souvenirs restés à l'autre bout du monde; à faire défiler les quelques photos emportées des gens qu'on aime, souvenirs de vie ou de voyages ça et là...
Journées au programme simpliste : s'appliquer à diminuer le stock de nourriture, enchaîner les siestes bercés par le bruit des bouts de séracs qui tombent et des pierres qui débaroulent, sans oublier de surveiller régulièrement la paroi aux jumelles... Sait-on jamais qu'il y ait des fissures qui poussent !

Ceux qui me connaissent un peu, se diront probablement qu'il n'y a peut être qu'ici, à un camp de base à l'autre bout du monde que je suis capable de vraiment me reposer... Ce n'est pas complètement faux !


Les journées d'escalade se suivent et se ressemblent... Au fil des jours, la marche d'approche s'allonge, passant d'une heure de marche pour remonter le pierrier séparant le camp de base du pied de la paroi à des centaines de mètres à remonter sur les stat' fixées les jours précédents.
La face est parfois entrecoupée de zones plus couchées et il nous faut alors porter les sacs de hissage sur le dos et ramper tant bien que mal jusqu'à la prochaine longueur verticale.


Le deuxième jour, le chantier continue : Nous poursuivons les "travaux" vers le haut !

Deux longueurs verticales, nous conduisent à nouveau à une vire. Une grande dalle puis un dièdre rayé d'une très fine fissure parfois bouchée offre une belle escalade, pas facile cependant !! Et voilà, première longueur en 7 de la voie !
En fin d'après midi, quelques flocons nous invitent à prendre tranquillement le chemin du retour... Rappels et désescalades s'enchaînent en même temps que le ciel s'obscurcit encore davantage.
Nous rentrons au camp sous les éclairs, le tonnerre et une bonne averse de neige. Ce soir, c'est ambiance hivernale, tout est blanc !
Ihintza qui est restée au camp pour se reposer, nous attend avec un délicieux repas ! On est vraiment trop gâtés ! Merci guapita !


Le lendemain, c'est repos en regardant la neige fondre et en écoutant les chutes de pierres incessantes... Aujourd'hui, nous sommes mieux ici que là haut !

On profite de la journée pour mettre au point des stratégies et nous décidons de nous diviser en deux équipes et d'alterner les jours de grimpe n'étant pas plus efficace à 5 qu'à 3... Equipe de "Chicos"/Equipe de "Chicas" !

6 août : Venga chicas !

Le troisième jour d'escalade est placé sous un concept que je commence à vraiment apprécier : "Girls Power"!
Aujourd'hui, je grimpe avec Mélaine et Ihintza. 


Il est 4h quand le réveil sonne. Nous remontons le grand pierrier à la frontale... Notre état n'est pas bien beau à voir. L'une tousse pendant que la seconde vomit, et que la troisième brassée par une bonne diarhée fait quelques pauses toutes les 10 minutes ! Le ciel est bien couvert et les températures plutôt très fraîches ! La journée s'annonce excellente... Aujourd'hui il va falloir serrer les dents... Et les fesses aussi!


Les premières dizaines de mètres de remontée sur cordes, nous remuent bien le ventre mais aussi les bras, sans compter que notre taux d'essoufflement nous rappelle que nous sommes quand même à 5000m d'altitude !

Partie devant, je constate complètement hallucinée en arrivant au premier relais que celui ci est tout couvert de poussière blanche. Visiblement hier ce devait être la fête aux pierres qui tombent ici ! La situation me réchauffe immédiatement et me laissera inquiète pour toutes les autres remontée sur corde du séjour... Par miracle les sangles du relais et la stat ne sont pas touchées.. Comme quoi les miracles peuvent parfois exister !

Le soleil arrive enfin, ce qui refait grimper le curseur d'énergie et d'optimisme (presque) à son maximum ! Les blagues reprennent... Plutôt bon signe !

Maintenant, nous sommes en terre inconnue ! Mélaine parvient à négocier sans trop de difficultés un ressaut plus vertical puis je prends le relais pour (encore!) une zone de terrain bien pourrie. C'est l'heure de l'apéricube, les pierres volent mais personne n'est touché.


Nous butons ensuite sur une zone de fissures très larges. Une longue cheminée parsemée de gros blocs (espérons bien) coincés nous dominent... C'est parti !

Plus impressionnant que difficile, ça passe en libre et j'arrive à surmonter tous ces énormes blocs sans écraser mes copines, plus de peur que de mal donc !

Pour finir, je cale un relais dans le fond de la cheminée, autant dire que la promiscuité est à son comble quand nous nous retrouvons toutes les trois au fond de ce trou et qu'un compagnon supplémentaire s'invite à la fête: Le sac de hissage de 70l !

Souhaitant décaler le relais en dehors de la cheminée, nous sortons la trousse de "Bob le bricoleur" et les coups de marteau s'enchaînent, les bricoleuses se relaient, les insultes fusent, le caillou résiste et la mèche ne s'enfonce que de quelques malheureux centimètres largement insuffisants. Ce soir, il n'y aura pas de bouquet final, les coups de marteau cessent sans n'avoir suffit à mettre un seul spit... But "tamponnoir"!

La journée est déjà bien avancée, nous reprenons la direction du camp de base. Entre deux rappels, nous croisons Benoît et Pulpo qui montent dormir là haut pour poursuivre le chantier demain matin. Courage les gars !

Nous rejoignons la terre ferme à la tombée de la nuit. Bilan de la journée : une centaine de mètres de stat' fixée et une catastrophe frôlée de peu : une pluie de pierres nous accueille au pied de la paroi, les projectiles déferlent à quelques mètres de nous, nous sommes terrorisées. Finalement, on s'en sort très bien ! Il s'en fallait de peu pour que nos casques se transforment en passoires!

Les sommets alentours se teintent de couleurs incroyables et on rentre entières, que demander de plus ?!

...Des croques monsieur (merci Mélaine !), un bon duvet et un gros dodo !



10 août : Hasta la cima !


Quelques jours de repos et c'est reparti ! Hier les gars ont fixé les dernières cordes fixes et ont dormi là haut. C'est remontées à bloc que nous quittons le camp de base aux alentours de 3h du matin : aujourd'hui on sort au sommet !

Jumar, micro trac, étrier et mp3, les 400 mètres de stat' sont avalés dans la nuit noire. Au premières lueurs du jour, nous sommes au portaledge oú les copains roupillent encore : "Debout les gars, le p'tit dej' est servi ! Nous, on continue !"


Avec les premiers rayons de soleil, chaussons aux pieds ça se remet à grimper, il fait vraiment pas chaud et l'escalade est encore bien soutenue... Devant, nous nous relayons avec Mélaine, trouvant notre chemin sans trop de difficulté. Cheminées, fissures, dièdres... il y en a pour tous les goûts. Peu à peu le haut de cette paroi interminable se rapproche, Benoît prend le relais pour les deux dernières longueurs. Cette fois, on y est !





L'après midi est plus qu'entamée, le ciel est tout gris et le sommet ressemble franchement à un kairn géant, aussi nous ne nous éternisons pas ici. Après s'être balancé quelques cailloux les uns sur les autres, on file en direction du sol en même temps que l'horizon s'éteint.

Des pitons, des becquets, des relais, plein de rappels, des centaines de mètres de stat' à récuperer et des pierres qui tombent (encore !) ... "Aie, sur mon bras cette fois !"....




Quelques rappels plus tard, il fait nuit noire, nos sacs sont pleins à craquer et de petits flocons dégringolent du ciel... La neige s'intensifie en même temps que le sol et la maison se rapprochent. Il n'est pas loin d'1h du matin quand nous nous glissons dans les duvets, voilà presque 24h que nous sommes levées ! Heureux !


Ce soir là, je m'endors un peu fatiguée mais plutôt satisfaite que l'on ait su trouver "Pérou" il fallait passer pour grimper sur ce beau sommet !

De fil en aiguille, maintenant vous savez tout !

Voilà comment "La fileuse de nuages" est née cet été !



***


 Une belle voie certes, mais ce voyage, c'est aussi une belle histoire d'amitié... Je profite de quelques lignes ici pour envoyer une grosse et tendre pensée à ma marmotte préférée qui a perdu son papa sur notre chemin du retour... Merci pour tous ces moments partagés Guapita ! ... Je n'oublierai jamais ce champ de blé...

Mille bisous Ihintza !