vendredi 28 octobre 2016

Second round à l'Esfinge !

 

L'Esfinge, c'est un peu LE "big wall" Péruvien. Un bout de caillou de 750 mètres de haut planté au beau milieu d'un tas de sommets neigeux, ça ne passe pas inaperçu... Tenter de grimper dessus, ça laisse aussi de sacrés souvenirs !

 Ma première visite à cet énorme morceau de granit remonte à quelques années déjà...

Mai 2013 : Premier round !


Alors accompagnée de François (eh oui... souvenirs, souvenirs...), nous avions atteint le sommet après avoir gravi la "Ruta 1985". Bien qu'étant une voie classique, la parcourir dans des conditions un peu bizarres n'avait pas été une simple balade de santé !

Après des kilomètres à pied sur une piste interminable en mode sherpa, un départ tardif du bivouac pour cause de pluie matinale, des premières longueurs humides, une averse de neige au milieu de la voie, une sortie dégoulinante, de l'escalade nocturne, nous avions atteint le sommet dans la nuit noire et froide mais heureux de vivre ça en amoureux !
S'en suivait ensuite une arête verglacée en baskets, des rappels avec des cordes trop courtes et une galère pour désescalader des dalles trempées, nous avions enfin retrouvé le bivouac et nos duvets à 2h du matin... L'épopée s'était terminée le lendemain par 40 kilomètres à pied jusqu'à Caraz ! ... Cela aurait été trop facile sinon !
Comment oublier une aventure pareille !


 

Ce bon Sphinx avait alors marqué des points alors que nous, nous avions laissé quelques plumes dans la bataille !


Août 2016: Second round !

Le Puscanturpa plié, il nous reste quelques jours avant notre vol de retour.
Me voici donc de retour dans la Cordillera Blanca.

Holà l'Esfinge, c'est encore moi !

Cette fois, j'annonce la couleur : je n'y retourne que si la météo est optimiste, si un taxi nous évite 40 bornes de marche et si on y va en mode léger et rapide pour sortir avant la nuit !
Bref, j'ai pas vraiment envie de me mettre la trash !
Mission presque accomplie... à un gros détail près : la nuit ! Ce ne sera pas la trash mais la MEGA trash !

Mélaine et Benoît partent dans la classique alors qu'avec Ihintza et Pulpo, nous optons pour "Killa Quillay", une voie située juste à gauche de la "85", dans un niveau similaire mais beaucoup moins parcourue que cette dernière...
Bien consciente que cette ligne s'annonce plus aventureuse que sa petite voisine, que l'itinéraire parait moins logique, que les deux cordées sont loin d'être équilibrées, qu'à trois ça risque d'être (très) long et que notre première partie de voyage dans la Cordillera Huayhuah nous a sûrement un peu fatigués, j'hésite un moment entre aller faire la touriste au dessus des lignes de Nasca ou passer en mode guerrière pour tenter de tirer mes compagnons de cordée vers un sommet où je suis déjà montée.

Finalement (comme souvent), l'envie de grimper l'emporte ! En "grande fille", je prends donc ma décision que j'essayerai d'assumer jusqu'au bout (de la nuit...). Je sais que ça va être compliqué, aussi je me prépare secrètement à faire une nouvelle fois l'Esfinge à la rame mais je n'en souffle mot...

Dès la marche d'approche, on s'aperçoit avec Ihintza que notre petit homme, Pulpito, est très très fatigué. Malgré tout, il insiste pour grimper avec nous le lendemain... On verra bien !


Une fois au camp de base, nous partons vers la face pour fixer la première longueur (6b+/expo nous dit le topo...). Surprise ! Habituellement, j'aime bien les surprises mais celle ci, je ne la trouve pas très rigolote...
Une longueur de 60 mètres tout en traversée dans une dalle assez verticale et hyper lisse, un pauvre spit à perpette, un second tout aussi loin, puis plus rien dans cette diagonale infernale jusqu'au relais... L'affaire est vite réglée : Moi, j'y vais pas ! Hors de question de m'écraser par terre maintenant et ici, j'ai encore trop de rêves à vivre !
Pulpo et Ihintza ne sont pas plus enthousiastes alors voilà comment prendre un but avant même d'avoir enfilé des chaussons !


Ca sent le plan B, enfin... disons plutôt le plan "85" ! Retour au camp de base !
On recopie comme on peut le topo de la voie classique et je tente timidement une renégociation de la composition des cordées, sans succès...

Ce soir là, je peine un peu à m'endormir... J'ai la sensation de m'embarquer à reculons dans une aventure, qui je le sais d'avance, nécessitera que j'y mette toute mon énergie et toute ma motivation !
Le problème est que justement le curseur de cette dernière n'est pas aussi haut que d'habitude... Venir ici en fin d'expé et refaire une voie et un sommet que j'ai dejà faits une fois en galérant n'y est sans doute pas pour rien...
Je sais aussi que mes compagnons de cordée sont un peu fatigués et que je me sentirai sûrement par moment un peu seule aux commandes... Finalement, je finis par m'endormir en me disant que c'est une expérience comme une autre et puis que, comme d'habitude... on verra bien !


Réveil très matinal ! (il faut mettre toutes les chances de son côté !)
Il fait nuit noire quand nous rejoignons le pied de la voie. Benoît et Mélaine partent devant. Ils seront sans aucun doute plus rapides que nous.
Nous attendons qu'ils démarrent et les suivons tant bien que mal... (et plutôt bien que mal dans un premier temps !)
Les premières longueurs sont fraîches pour ne pas dire glaciales. Dans les chaussons, les orteils sont durs comme du bois, ils peinent à adhérer sur ce caillou éclairé à la frontale et parfois bien glissant.
Il a été convenu que je grimpe en tête toute la première partie puis que je passe le relais à Pulpo jusqu'à la vire intermédiaire. Ensuite suivant l'état des troupes, on avisera !




Le soleil arrive (enfin !), nous réchauffe (enfin !) et éclaire (enfin !) le caillou : il est magnifique !
La beauté de cette voie me revient peu à peu en mémoire. Les longueurs ultra classes se succèdent, de beaux dièdres, de belles fissures, une cheminée, une belle dalle à réglettes...
C'est beau et je me régale de parcourir tous ces beaux passages que j'avais complètement oubliés...






Devant, Mélaine et Benoît grimpent en réversible et je les rejoins à chaque longueur, partageant régulièrement le relais avec eux... Ihintza et Pulpo me suivent tout sourire !
Ca avance bien, on grimpe au soleil, il fait super bon et je commence à me dire que vraiment je m'inquiétais pour rien !


A R8, c'est l'heure du changement ! Pulpo passe devant pour des longueurs encore pas faciles... Il commence à artiffer, ce qui nous fait perdre pas mal de temps mais a le mérite d'être efficace, ça passe !
Nous perdons Mélaine et Benoît de vue et continuons notre chemin sous les derniers rayons de soleil...




Arrivés à la vire intermédiaire, le vent se lève, le soleil s'en va et l'heure tourne...
Ce petit replat surnommé "Vire des fleurs" situé à mi paroi marque la fin de la session dure et le début de la session paumatoire. Elle est habituellement utilisée comme chambre à coucher par les gens qui réalisent la voie en deux jours. Pour nous, il n'est pas l'heure d'aller au lit, mais nous sommes plus proche de l'heure de la sieste que de celle du repas de midi...
Nous apercevons, 4 ou 5 longueurs au dessus de nous, nos copains qui nous font de grands gestes pour nous indiquer le chemin à suivre : "Là, ici... Vers la droite ! ...ça grimpe encore et ça se protège pas si facilement que ça ! A toute à l'heure !" ... Euh j'en doute !

Pulpo garde la tête de la cordée pour quelques longueurs encore... Le vent ne se calme pas et derrière, on commence à vraiment se refroidir et bientôt on est complètement frigorifiées.



Petit à petit, notre petit homme poursuit son chemin vers le haut mais aussi vers... la gauche. "Hé non ! On avait dit à droite !"

Au relais suivant, c'est officiel, nous ne sommes plus dans la voie mais en ayant parcouru la suite de nuit, il y a quelques années, je crois me rappeler que dans cette zone plus couchée, ça passe un peu partout !

Double erreur : ce n'est pas si couché que ça et il y a des endroits où ça passe moins bien que d'autres...
Bref, on se retrouve au pied d'un ressaut vertical fissuré et il fait de plus en plus sombre.
Je repasse devant pour une joyeuse partie de feu d'artifice, faisant je ne sais combien d'aller retour dans cette longueur interminable afin de récupérer du matos. Tout y passe jusqu'au minuscule 000 ! Au dernières lueurs du jour, je pendule dans une dalle et réussis installer un relais 30 secondes avant qu'il ne fasse nuit noire... Ouf !!!

Ihintza et Pulpo me rejoingnent non sans mal (Ben oui... Pulpo a remis ses baskets puisqu'il avait froid aux pieds... sans blague !) et je tente de les assurer avec plus de mal encore ! Bref, Pulpo se casse la voie à hurler "Piiiaaaaaaa !" pendant que je m'épuise à essayer d'avaler une corde déjà super tendue et que je me broie les doigts entre la corde sous tension et le caillou... La situation pourrait être comique mais allez savoir pourquoi, ce coup-ci, ça ne me fait pas rire !

Nous continuons notre chemin dans la nuit noire... Pulpo repasse devant mais une centaine de mètres plus haut, il cale ! Impossible de trouver un cheminement dans ces grandes dalles improtégeables surtout par visibilité plus que réduite !

Cette fois, il faut bien l'admettre, nous sommes complètement paumés ! Il n'y a pas de doute, nous sommes vraiment beaucoup trop à gauche et pour une fois, être trop à gauche, ça fait ch....

Ca cherche de tous les côtés, en haut, à droite... ça grimpe, ça désescalade, ça remonte, ça redescend, ça s'automouline et ... ça pendule !
C'est quand je comprends quels types d'accrobaties est en train de réaliser Pulpo au dessus de nos têtes que je me dis qu'il faut arrêter ce cirque maintenant, sans quoi, on va tous finir en bas... et ce ne sera pas un tour de magie !
Un pendule sur un seul piton avec 40 mètres de corde déroulée, c'est un numéro plutôt engagé mais pas vraiment raisonnable...

A en entendre Ihintza hurler : "Ruben ! Ven aquí !", je me dis qu'elle n'a pas l'air d'apprécier le spectacle non plus!
J'ai presque envie de rire quand je vois la tête de Pulpo se décomposer quand on lui annonce, toutes les deux en même temps, que l'on va passer la nuit ici !

"Mais on peut même pas s'allonger ?!" ...ça tombe bien, on ne va pas s'allonger puisqu'on n'a pas de duvet ! ... et puis on n'a pas dit "dormir", on a dit "passer la nuit" !

La décision met un peu de temps à être acceptée mais quand je sors la couverture de survie que j'avais discrètement glissée dans mon sac à dos en quittant le camp de base ce matin, tout va mieux ! (enfin presque !)
C'est fou ce qu'un petit bout d'alu peut parfois mettre du baume au coeur à tout le monde !

Assis en boule, serrés les uns contre les autres, nous voici prêts à affronter une longue nuit d'hiver, à 5200m d'altitude, sans duvet et sans rien à manger ni à boire ! ... Encore une drôle d'occupation pour des congés d'été ! Et dire qu'il y en a qui à la même heure sont affalés sur des plages de sable chaud... On n'a vraiment rien compris nous !

Livanos disait : " Si ceux qui ont déterminé la vitesse de la rotation des astres avaient fait des bivouacs, leurs calculs n'auraient pas donné les mêmes résultats". Encore une fois, je me dis qu'il n'avait pas complètement tort !
Qu'est ce que c'est long une nuit dehors en plein hiver et en plein vent !

Soigneusement emballée dans mon manteau d'alu, j'ai la sensation d'être un gros bonbon.
Une papillote géante emballée dans son conventionnel papier doré et argenté. Mais cette nuit c'est loin d'être Noël !
Sous les rafales qui se déchaînent, la couverture s'agite en se froissant et en se déchirant, faisant tellement de  bruit, que quand bien même on n'aurait pas si froid, le "pppsshsssgrsssss griiissssshtthhtsssssss" incessant nous empêcherait de dormir !

Pas facile la vie d'un bonbon en plein vent !

De toute façon, ce dérangement sonore s'améliore puisque la durée d'attente est inversement proportionnelle à la surface de la couverture de survie qui se déchiquette de minute en minute... Peu à peu, au fil de la nuit, nous passons de Noël à Carnaval, notre bout de papier doré devenant guirlande puis confetti... Mais toute comparaison avec une fête s'arrête là !
Il fait vraiment très froid et il faut se concentrer pour ne pas trembler dans tous les sens...

Bref, après une attente interminable, le jour finit par enfin pointer son nez, nous rafraîchissant encore davantage...
On n'est pas prêts d'oublier cette folle nuit !
Ihintza se rappellera d'ailleurs de trois choses qui l'ont empêché de passer une bonne nuit : Le froid, les injures de Pulpo toutes le 3 minutes et un caillou pointu dans les fesses !


Autant dire qu'au "réveil", nous ne sommes pas bien frais !
Dès les premières lueurs du jour, je regarde à droite, à gauche, en haut... espérant que la sortie ne se trouve pas vers en bas car sans marteau ni piton cela va être compliqué ! Heureusement, nous sommes plein Est et les premiers rayons du soleil sont pour nous ! ...Pas si mal situé ce bivouac me diriez vous ! ... Oui franchement, je ne sais pas de quoi on se plaint !


Après deux longueurs horizontales, je retrouve un spit et quelques traces de passage. Ouf ! Je peux enfin me remettre à grimper dans le bon sens ! La sortie se fera par le haut et c'est tant mieux ! Je reprends un peu plaisir à grimper malgré les pieds encore bien endoloris par le froid de la nuit et mes mains un peu abimées à force de tirer les cordes . Le terrain est plus roulant mais parfois difficile à protéger...
Il me semble (et je crois que ce n'est pas qu'une impression !) que nous mettons une éternité à gravir les 100 derniers mètres...

Enfin le sommet est en vue ! Je n'avais encore pas vu le sommet de jour alors voilà une belle première ! On immortalise le moment, même si nous ne sommes pas prêts de l'oublier !


Un tout petit bout d'arête puis un véritable sentier de rando nous mènent au premier relais de rappels. A notre vitesse de progression, je prends davantage conscience de l'état de fatigue de Pulpo et je me dis que l'on a vraiment beaucoup de chance qu'il fasse beau sinon tout deviendrait bien plus compliqué...
Ihintza nous guide dans les trois longs rappels qui nous permettent de rejoindre l'immense pierrier au pied de la face... Cette fois on y est !

Reste plus qu'à récupérer nos sacs gentiment allégés par Benoit et Mélaine  (qui eux sont en bas depuis bien longtemps), à se laisser dégringoler jusqu'à la piste, à sauter dans le taxi que nos copains ont réussi à négocier (pas gagné quand on a 12h de retard ! Merci !!!!), à attraper un "colectivo" pour Huaraz, à prendre un bus pour Lima puis à s'envoler pour Madrid... Tout ça en 24h !

Quelle aventure !

Allez, c'est quand même chouette l'escalade, demain on grimpe à l'Ossau ! Notre Esfinge à nous !

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