Un quatrième mois sur la route c'est :
◇ 9 pays 🇮🇹 🇬🇷 🇹🇷 🇬🇪 🇦🇲 🇰🇿 🇺🇿 🇹🇯 (🇺🇿)🇰🇬
◇ 4253 km 🚲
◇ 1 capitale 🗽
◇ 1 fête nationale 🎉
◇ De chouettes découvertes 🧐
◇ Du camion-stop 🚛
◇ Un Visa Indien ✅
◇ Un changement de direction ⤵️
Un quatrième mois sur la route c'est :
En rejoignant Bichkek, on accroche à notre tableau de cyclotouriste, notre sixième entrée dans une capitale sans se faire écrabouiller.
Après quelques tours de chauffe à Athènes, Tbilissi, Yerevan, Tachkent et Douchanbé, on commence à négocier à merveille le trafic citadin aux heures de pointe : minibus, camions de livraison, bus sur cable, taxis, quelques vélos, motos et voitures de gens pressés.Toujours est-il qu'ici, on reste aussi parfois bien sagement sur le trottoir... S'offre alors à nous, une belle partie de slalom entre les piétons qui marchent de travers en regardant leur portable et ceux qui ont des écouteurs dans les oreilles n'entendant pas les sonnettes. Il y a aussi les poussettes, les enfants qui jouent, les personnes âgées qui tentent d'avancer, les bébés qui apprennent à marcher, les handicapés en fauteuil, les marchands de fruits et légumes installés sur les trottoirs, les arbres, les bouches d'égout sans plaque, les caniveaux profonds, les poteaux et les grilles avec des fentes bien ajustées, pile à la largeur de nos pneus...
Autant dire que l'on n'a pas le loisir de flâner le nez en l'air.
Bref, retour sur la case "grande ville"... Une capitale, le jour de la fête nationale en plus...
Bon, pour être honnête, en ce 31 août, à part quelques drapeaux qui flottent et un peu de musique le soir, il ne se passe pas vraiment grand chose.
Je crois bien que Lénine ne se retournerait pas dans sa tombe s'il voyait cette fête de l'indépendance !
La véritable fiesta, c'est plutôt tous les jours au grand marché de Bichkek.
Faire un tour de vélo aux alentours du Osh Bazar c'est comprendre véritablement le vrai sens du mot "bazar"
Y a-t-il quelque chose qui porte aussi bien son nom ?
Au bazar, il faut se faufiler entre les piétons chargés de commissions, éviter les pastèques qui traversent, se méfier des livreurs en chariottes, des bagnoles qui nous reculent dessus, des étals qui envahissent la route... ça grouille de partout et on vient nous-même, avec nos deux roues et nos trajectoires quelque peu aléatoires, apporter notre part d'eau à ce drôle de moulin !
Pénétrer dans l'enceinte de l'ambassade sans rendez-vous semble au moins aussi compliqué que vouloir sortir d'un goulag.
Une fois à l'intérieur, tout semble étonnamment simple comme bonjour, enfin disons plutôt, simple comme "priviet".
Mais arracher un sourire ou un "priviet" à un russe n'est pas toujours aisé. Les choses se compliquent...
Infos contradictoires et voucher (lettre d'invitation) hors de prix...
Bref, c'est la retraite de Russie !
Bilan des opérations : Impossible de faire une demande de visa hors de son pays de résidence.
On patine quelques jours sur la case "réflexion".
Vous vous demandez comment font donc les voyageurs qui sont loin de chez eux depuis des mois ?
Ligth is rigth, ils allègent sacrément porte-monnaie ! On est toujours mieux à voyager léger.
Une agence qui gère toute la paperasse pour eux, des passeports qui font un aller-retour en France grâce à un transporteur privé.
Agence+envoie du passeport+voucher+prix du visa = environ 400€ !
Le visa Russe, c'est nieto ! On laisse passer notre tour.
C'est comme ça que nos rêves de rejoindre le bout du continent asiatique par voie terrestre (en passant par le Kazakhstan, la Russie, la Mongolie et re par la Russie) s'envolent... C'est le cas de le dire !
Alors que nous sommes un peu perdus, le jeu prend une nouvelle direction inattendue.
Nous avons la possibilité de jouer deux fois d'affilées. Je pioche la carte "voyage dans les airs".
Bruno reçoit, lui, la carte "destination". Sur celle-ci, nous lisons d'une même voix : "Rendez-vous chez les indiens !"
Ah chouette, l'Amérique du Nord, on va ressortir les chaussons d'escalade et les gants de fissure !
Non, non...pas les indiens avec des plumes et des tipis ! Les indiens d'Inde.
L'Inde...
Peut-être un des seuls pays où je ne m'étais jamais imaginée aller pédaler.
L'Inde...
Ça grouille de monde, c'est bruyant, il fait chaud et humide, les odeurs fortes, la saleté, les castes, la nourriture épicée, le trafic, les singes...
L'Inde, c'est dur, c'est rude.
L'Inde ce n'est pas les vacances.
L'Inde à vélo, c'est chaud...
L'Inde... s'en faire sa propre idée.
Quelques appréhensions déjà mêlées à la curiosité de découvrir tout ça, de mes propres yeux, par mes propres narines, papilles et oreilles...
À la fois un peu peur et à la fois hâte de découvrir ce "nouveau monde" et ces indiens.
Aussitôt un nouveau défi s'offre à nous, se mettre en quête du graal du cycliste téléporté : le carton à vélo.
Ce précieux trésor de papier est l'objet de toutes les convoitises et fait circuler bons nombres de rumeurs chez les cyclos.
"J'ai lu dans le journal que deux bike box auraient été aperçues vers tel hôtel."
"Mais on me dit dans l'oreillette, qu'une aurait déjà disparu."
"J'ai entendu dire qu'il y en aurait dans ce bikeshop.
"Non, impossible. Le magasin est minuscule, pas de place pour des cartons."
"Allez voir du côté de ce bar, il y en avait la semaine dernière."
"Des cartons auraient été abandonnés suite à une course cycliste."
... les mecs viennent faire une course au Kirghizistan et repartent sans leurs vélos ?!?
Billets d'avion en poche, la chasse aux cartons est ouverte !
Bingo, ils sont toujours là, dans l'enceinte du jardin de ce bar. Sauf que ce dernier est fermé. Quelques pas de varappe, une traversée au dessus d'un chien plutôt vénère, un p'tit saut et Bruno en déniche deux d'un coup.
Bien joué ! Droit de rejouer !
Doublé gagnant, nous nous retrouvons avec deux visas indiens en poche.
Reste plus qu'à s'envoler le 11 septembre... (Une bonne date pour embarquer dans un avion, vous ne trouvez pas ?!)
India nous voilà, Delhi nous voici !
Que la partie continue !
Bichkek !
En fait, je viens de me souvenir que j'avais déjà fait du vélo une fois dans ma vie dans tes rues !
En mémoire, me reviennent aussi cette folle équipe du GEAN - Groupe Excellence d’Alpinisme National de la FFCAM , ces jolies longueurs de granit fissurées sous la neige, ces hauts sommets du Pamir et cette épique fin de soirée avec des flingues braqués devant notre nez !
Un peu de lecture de cet épisode Kirghiz qui date déjà un peu par ici :
https://laraamoros.blogspot.com/2014/10/expe-pamir-episode-1-visa-pour-laventure.html?m=1
Là pour la grimpette :
https://laraamoros.blogspot.com/2014/10/expe-pamir-mission-tour-russe-episode-2.html?m=1
Et aussi ici pour la fiesta et l'after au poste :
https://laraamoros.blogspot.com/2014/11/expe-pamir-tout-est-bien-qui-fini-bien.html?m=1
Là-bas au loin, des peupliers qui dansent dans le vent.
Oasis de verdure, oasis de vie dans ce désert de pierres, de terre et sable.
L'eau.
Elle jaillit du captage de la source puis et acheminée par des béals pour enfin être répartie ici et là dans chaque champs. Donner l'eau et donc la vie à chaque lopin de terre, à chaque graine plantée est une préoccupation quotidienne. Une pelle sur l'épaule pour seul outil, de petits bourrelets de terre humide et l'eau circule d'un canal à l'autre, d'une culture à sa voisine...
Sans eau courante dans les maisons, la fontaine du hameau est un lieu névralgique, point de rencontre, de partage, de vie. On y remplit ses seaux, on y lave ses patates, on y fait sa lessive, sa vaisselle, on y boit une gorgée en passant à proximité, on s'y retrouve pour discuter, on s'y amuse. Des fois même, on y observe, curieux, des voyageurs y remplir leurs gourdes ou s'y asperger.
Des murets en pierres sèches soutiennent ou délimitent les parcelles et des jardins parfois tout fleuris. Ils servent d'enclos à quelques animaux qui pâturent. Ici et là, des véhicules délabrés, souvent à l'état d'épaves dont on se demande par quels moyens ils sont arrivés jusqu'ici.
Des enfants qui jouent quand ils ne vaquent pas aux mêmes tâches que les adultes.
Des habitations basiques en terre sèche aux petites ouvertures et de formes rectangulaires. Sur leurs toits plats, du foin qui sèche ou les abricots de l'année, étalés sur des nattes, attendent que le soleil fasse son œuvre.
A l'ombre de la végétation, des plates-formes en bois ou en métal couvertes de matelas colorés et garnis de cousins fleuris offrent un repos mérité.
Parfois une petite boutique. Cela peut être l'épicerie au comptoir bien agencée où l'on trouve presque tout, excepté fruits, légumes, pain, viande et fromage ! Avec un peu de chance, un réfrigérateur en état de marche et une boisson allant de tiède tirant sur le chaud à bien fraîche.
Parfois le "magazine" est une simple petite pièce ouverte à la demande où l'on ne trouve presque rien. Des denrées posées à même le sol, mélange de sable et de gravier. Deux cartons ouverts de biscuits en vrac se remplissant de poussière, une bouteille d'huile, quatre paires de chaussures d'enfants et trois cahiers d'écoliers. En insistant un peu, on vous dénichera sûrement un paquet de pâte ou de riz sortis d'on ne sait où !
Depuis les champs, les jardins, l'entrée des maisons, des mains se tendent, des "salamalekums" s'élèvent.
Et toujours cette même question : "Atcouda ?" ... D'où venez-vous ?
Évidemment, d'où peut-on bien arriver à deux roues... De l'autre bout du monde peut sembler si surréaliste. La curiosité n'est alors pas un vilain défaut. Elle ouvre au monde et élargit l'esprit.
Pour ceux qui n'ont pas la chance de pouvoir bouger c'est alors un peu le monde qui vient à eux, comme par magie.
Les invitations au thé sont nombreuses et nous ne pouvons pas toutes les honorer.
Assis sur des tapis, autour d'une table basse sur laquelle trône la théière fumante, un peu de pain, parfois même une soupe ou quelques abricots, la discussion se poursuit.
Elle est entravée par la barrière de la langue mais à l'avantage d'aller très vite à l'essentiel sans détour et sans gêne.
Ici avec les gens du Pamir, dans le train au Kazakhstan, avec les marchands de pastèques en Ouzbékistan, lors de pauses en Arménie ou en Géorgie, avec les Turcs croisés et j'en passe, c'est à très peu de chose près le même déroulé à chaque fois. Je laisse souvent Bruno répondre car c'est en général les hommes que l'on salut, à qui l'on serre la main et à qui l'on s'adresse.
Dessins à l'aide d'un bout de bois ou du doigt dans la terre, gestes et mimes sont de rigueur.
Sans fausse hypocrisie, les regards et expressions du visage parlent d'eux-mêmes à chacune des réponses.
Ton âge ? 54. S'en suit un geste pour dire que tu sembles plus jeune.
Et elle ? 34. Une légère incompréhension raye le visage...
Mariés ? On fait dans un premier temps mine de ne pas comprendre la question.
"Copine". A leur tour de faire semblant de ne pas comprendre. Le traducteur est sorti mais la traduction ne semble pas les convaincre.
Quand cela devient un peu insistant, on cède : Da, da... mariés.
Enfants ? 4. Illico, on me montre à nouveau du doigt.
Non, une autre femme.
Un regard méprisant s'en suit à moins que ce soit celui de la pitié, peut-être différent d'ailleurs qu'ils s’agissent d'une femme ou d'un homme. Dans tous les cas, on ne me considérera plus du tout dans la suite de la conversation.
Leur âge ? Il ne sait pas. Ça change tout le temps !
Tu vas où ? Par là !
"Paca paca !"
Bien que redondants et quelque peu intrusifs, ces échanges me confortent dans l'idée qu'être curieux, qu'aller vers l'autre et que s'intéresser à comment il vit à l'autre bout de la planète, est bien dans la nature humaine. L'indifférence n'est donc pas généralisée et c'est une bonne nouvelle.
Ces réactions spontanées et sans filtre me permettent néanmoins de comprendre un peu mieux pourquoi si loin, ailleurs, chez nous, on considère si peu "la copine" de second choix... Comme quoi, sans parler la même langue, je peux presque mettre des mots et appréhender un peu mieux ce malaise.
Il m'aura fallu traverser un bout de continent, pédaler des heures, des jours, des semaines et des mois. J'aurais vu défiler ces paysages, il m'aura fallu faire toutes ces rencontres pour cerner cette "non place", ce "rien" de la famille...
Nous quittons alors le village avec des enfants qui courent à nos côtés, qui expérimentent leurs quelques mots d'anglais ou qui nous accompagnent sur un bout de chemin, sur leur vélos déglingués...
Insouciance de l'enfance, bonheur partagé d'équilibristes !
Ça rend le cœur un peu plus léger...
Quelques dizaines, parfois quelques centaines de kilomètres de solitude et d'effort avant d'apercevoir à nouveau là-bas, au loin... des peupliers qui dansent.
Ce qui est bien avec les peupliers, c'est qu'ils ont beau onduler, il savent garder leur ligne et rester droits comme des "i".
Ce qui est sûr aussi, c'est qu'il y aura toujours du vent et que quoiqu'il arrive les peupliers danseront toujours.
Sur quelques centaines de kilomètres, la rivière Panj a délimité sa frontière. Nullement arbitraire, l'impétuosité des flots avait cette évidence naturelle pour nous séparer de l'Afghanistan.
Bruno
Pistes cyclables, voies vertes, eurovélo, vélodysée...