dimanche 11 septembre 2022

Quatre mois sur la route •Escal'A2roues#37•

 Un quatrième mois sur la route c'est :


◇ 9 pays 🇮🇹 🇬🇷 🇹🇷 🇬🇪 🇦🇲 🇰🇿 🇺🇿 🇹🇯 (🇺🇿)🇰🇬

◇ 4253 km 🚲

◇ 1 capitale 🗽

◇ 1 fête nationale 🎉

◇ De chouettes découvertes 🧐

◇ De belles rencontres toujours 🍀


◇ Des cols qui grimpent fort 🥵


◇ Des paysages magiques 🌄


◇ Du camion-stop 🚛


◇ Des bivouacs au bord la nationale, dans les champs et au bord des rivières 🛣


◇ Des jolis lacs 🏞


◇ Des bazars 🛒



◇ 1007 chevaux 🐎, 876 moutons 🐑, 764 vaches 🐄,  37 yaks 🦬, 5 chameaux 🐫


◇ Un but Visa Russe ❌

◇ Un Visa Indien ✅

◇ Un changement de direction ⤵️


◇ Des champs 🍅🥒🌶🌿🌽🍉🌻🌾


◇ Des wagons 🚃


◇ Des petits dessins ✏


◇ Des yourtes 🛖


◇  Un orage 🌩

◇ Du repos 😴


◇  10 kg de pastèque 🍉


◇ Du lait de jument fermenté 🥛

◇ 15 petites glaces chacun🍦



samedi 10 septembre 2022

Au jeu des 10 000 bornes, la partie continue •Escal'A2roues#36•


Aujourd'hui, on plonge dans le carnet de voyage pour illustrer ces lignes... Bienvenue !

Le 10 000 bornes, Le jeu qui fait mal aux mollets… et parfois aussi aux méninges.

En rejoignant Bichkek, on accroche à notre tableau de cyclotouriste, notre sixième entrée dans une capitale sans se faire écrabouiller. 

Après quelques tours de chauffe à Athènes, Tbilissi, Yerevan, Tachkent et Douchanbé, on commence à négocier à merveille le trafic citadin aux heures de pointe : minibus, camions de livraison, bus sur cable, taxis, quelques vélos, motos et voitures de gens pressés.

Toujours est-il qu'ici, on reste aussi parfois bien sagement sur le trottoir... S'offre alors à nous, une belle partie de slalom entre les piétons qui marchent de travers en regardant leur portable et ceux qui ont des écouteurs dans les oreilles n'entendant pas les sonnettes. Il y a aussi les poussettes, les enfants qui jouent, les personnes âgées qui tentent d'avancer, les bébés qui apprennent à marcher, les handicapés en fauteuil, les marchands de fruits et légumes installés sur les trottoirs, les arbres, les bouches d'égout sans plaque, les caniveaux profonds, les poteaux et les grilles avec des fentes bien ajustées, pile à la largeur de nos pneus... 

Autant dire que l'on n'a pas le loisir de flâner le nez en l'air. 

Bref, retour sur la case "grande ville"... Une capitale, le jour de la fête nationale en plus... 

Bon, pour être honnête, en ce 31 août, à part quelques drapeaux qui flottent et un peu de musique le soir, il ne se passe pas vraiment grand chose.

Je crois bien que Lénine ne se retournerait pas dans sa tombe s'il voyait cette fête de l'indépendance ! 

La véritable fiesta, c'est plutôt tous les jours au grand marché de Bichkek.

Faire un tour de vélo aux alentours du Osh Bazar c'est comprendre véritablement le vrai sens du mot "bazar"

Y a-t-il quelque chose qui porte aussi bien son nom ?

Au bazar, il faut se faufiler entre les piétons chargés de commissions, éviter les pastèques qui traversent, se méfier des livreurs en chariottes, des bagnoles qui nous reculent dessus, des étals qui envahissent la route... ça grouille de partout et on vient nous-même, avec nos deux roues et nos trajectoires quelque peu aléatoires, apporter notre part d'eau à ce drôle de moulin ! 


Mais ce n'est pas dans ce grand marché que notre voyage prend un nouveau virage mais devant l'ambassade de Russie. 

Pénétrer dans l'enceinte de l'ambassade sans rendez-vous semble au moins aussi compliqué que vouloir sortir d'un goulag. 

Une fois à l'intérieur, tout semble étonnamment simple comme bonjour, enfin disons plutôt, simple comme "priviet".

Mais arracher un sourire ou un "priviet" à un russe n'est pas toujours aisé. Les choses se compliquent... 

Infos contradictoires et voucher (lettre d'invitation) hors de prix... 

Bref, c'est la retraite de Russie ! 

Bilan des opérations : Impossible de faire une demande de visa hors de son pays de résidence. 

On patine quelques jours sur la case "réflexion". 


Vous vous demandez comment font donc les voyageurs qui sont loin de chez eux depuis des mois ?

Ligth is rigth, ils allègent sacrément porte-monnaie ! On est toujours mieux à voyager léger. 

Une agence qui gère toute la paperasse pour eux, des passeports qui font un aller-retour en France grâce à un transporteur privé.

Agence+envoie du passeport+voucher+prix du visa = environ 400€ !

Le visa Russe, c'est  nieto ! On laisse passer notre tour. 


C'est comme ça que nos rêves de rejoindre le bout du continent asiatique par voie terrestre (en passant par le Kazakhstan, la Russie, la Mongolie et re par la Russie) s'envolent... C'est le cas de le dire ! 

Alors que nous sommes un peu perdus, le jeu prend une nouvelle direction inattendue. 

Nous avons la possibilité de jouer deux fois d'affilées. Je pioche la carte "voyage dans les airs".

Bruno reçoit, lui, la carte "destination". Sur celle-ci, nous lisons d'une même voix : "Rendez-vous chez les indiens !" 

Ah chouette, l'Amérique du Nord, on va ressortir les chaussons d'escalade et les gants de fissure !

Non, non...pas les indiens avec des plumes et des tipis ! Les indiens d'Inde. 

L'Inde... 

Peut-être un des seuls pays où je ne m'étais jamais imaginée aller pédaler.

L'Inde... 

Ça grouille de monde, c'est bruyant, il fait chaud et humide, les odeurs fortes, la saleté, les castes, la nourriture épicée, le trafic, les singes... 

L'Inde, c'est dur, c'est rude. 

L'Inde ce n'est pas les vacances. 

L'Inde à vélo, c'est chaud... 

L'Inde... s'en faire sa propre idée.

Quelques appréhensions déjà mêlées à la curiosité de découvrir tout ça, de mes propres yeux, par mes propres narines, papilles et oreilles... 

À la fois un peu peur et à la fois hâte de découvrir ce "nouveau monde" et ces indiens. 

Aussitôt un nouveau défi s'offre à nous, se mettre en quête du graal du cycliste téléporté : le carton à vélo.

Ce précieux trésor de papier est l'objet de toutes les convoitises et fait circuler bons nombres de rumeurs chez les cyclos.

"J'ai lu dans le journal que deux bike box auraient été aperçues vers tel hôtel." 

"Mais on me dit dans l'oreillette, qu'une aurait déjà disparu."

"J'ai entendu dire qu'il y en aurait dans ce bikeshop. 

"Non, impossible. Le magasin est minuscule, pas de place pour des cartons."

"Allez voir du côté de ce bar, il y en avait la semaine dernière."

"Des cartons auraient été abandonnés suite à une course cycliste."

... les mecs viennent faire une course au Kirghizistan et repartent sans leurs vélos ?!? 

Billets d'avion en poche, la chasse aux cartons est ouverte ! 

Bingo, ils sont toujours là, dans l'enceinte du jardin de ce bar. Sauf que ce dernier est fermé. Quelques pas de varappe,  une traversée au dessus d'un chien plutôt vénère, un p'tit saut et Bruno en déniche deux d'un coup. 

Bien joué ! Droit de rejouer !

Doublé gagnant, nous nous retrouvons avec deux visas indiens en poche.


Reste plus qu'à s'envoler le 11 septembre... (Une bonne date pour embarquer dans un avion, vous ne trouvez pas ?!) 

India nous voilà, Delhi nous voici !

Que la partie continue ! 


4000 km •Escal'A2roues•


Et c'est en pédalo... euh en pédalant au lac Issy Kul qu'on a passé le cap des 4000 !

Bichkek ! •Escal'A2roues#35•


Bichkek !

En fait, je viens de me souvenir que j'avais déjà fait du vélo une fois dans ma vie dans tes rues ! 

En mémoire, me reviennent aussi cette folle équipe du GEAN - Groupe Excellence d’Alpinisme National de la FFCAM , ces jolies longueurs de granit fissurées sous la neige, ces hauts sommets du Pamir et cette épique fin de soirée avec des flingues braqués devant notre nez !


Un peu de lecture de cet épisode Kirghiz qui date déjà un peu par ici :

https://laraamoros.blogspot.com/2014/10/expe-pamir-episode-1-visa-pour-laventure.html?m=1


Là pour la grimpette :

https://laraamoros.blogspot.com/2014/10/expe-pamir-mission-tour-russe-episode-2.html?m=1


Et aussi ici pour la fiesta et l'after au poste :

https://laraamoros.blogspot.com/2014/11/expe-pamir-tout-est-bien-qui-fini-bien.html?m=1

Des peupliers qui dansent •Escal'A2roues#34•

Là-bas au loin, des peupliers qui dansent dans le vent. 

Oasis de verdure, oasis de vie dans ce désert de pierres, de terre et sable. 

L'eau.

Elle jaillit du captage de la source puis et acheminée par des béals pour enfin être répartie ici et là dans chaque champs. Donner l'eau et donc la vie à chaque lopin de terre, à chaque graine plantée est une préoccupation quotidienne. Une pelle sur l'épaule pour seul outil, de petits bourrelets de terre humide et l'eau circule d'un canal à l'autre, d'une culture à sa voisine...

Sans eau courante dans les maisons, la fontaine du hameau est un lieu névralgique, point de rencontre, de partage, de vie. On y remplit ses seaux, on y lave ses patates, on y fait sa lessive, sa vaisselle, on y boit une gorgée en passant à proximité, on s'y retrouve pour discuter, on s'y amuse. Des fois même, on y observe, curieux, des voyageurs y remplir leurs gourdes ou s'y asperger. 

Des murets en pierres sèches soutiennent ou délimitent les parcelles et des jardins parfois tout fleuris. Ils servent d'enclos à quelques animaux qui pâturent. Ici et là, des véhicules délabrés, souvent à l'état d'épaves dont on se demande par quels moyens ils sont arrivés jusqu'ici. 

Des enfants qui jouent quand ils ne vaquent pas aux mêmes tâches que les adultes. 

Des habitations basiques en terre sèche aux petites ouvertures et de formes rectangulaires. Sur leurs toits plats, du foin qui sèche ou les abricots de l'année, étalés sur des nattes, attendent que le soleil fasse son œuvre. 

A l'ombre de la végétation, des plates-formes en bois ou en métal couvertes de matelas colorés et garnis de cousins fleuris offrent un repos mérité. 

Parfois une petite boutique. Cela peut être l'épicerie au comptoir bien agencée où l'on trouve presque tout, excepté fruits, légumes, pain, viande et fromage ! Avec un peu de chance, un réfrigérateur en état de marche et une boisson allant de tiède tirant sur le chaud à bien fraîche. 

Parfois le "magazine" est une simple petite pièce ouverte à la demande où l'on ne trouve presque rien. Des denrées posées à même le sol, mélange de sable et de gravier. Deux cartons ouverts de biscuits en vrac se remplissant de poussière, une bouteille d'huile, quatre paires de chaussures d'enfants et trois cahiers d'écoliers. En insistant un peu, on vous dénichera sûrement un paquet de pâte ou de riz sortis d'on ne sait où ! 

Depuis les champs, les jardins, l'entrée des maisons, des mains se tendent, des "salamalekums" s'élèvent. 

Et toujours cette même question : "Atcouda ?" ... D'où venez-vous ? 

Évidemment, d'où peut-on bien arriver à deux roues... De l'autre bout du monde peut sembler si surréaliste. La curiosité n'est alors pas un vilain défaut. Elle ouvre au monde et élargit l'esprit.

Pour ceux qui n'ont pas la chance de pouvoir bouger c'est alors un peu le monde qui vient à eux, comme par magie. 

Les invitations au thé sont nombreuses et nous ne pouvons pas toutes les honorer. 

Assis sur des tapis, autour d'une table basse sur laquelle trône la théière fumante, un peu de pain, parfois même une soupe ou quelques abricots, la discussion se poursuit. 

Elle est entravée par la barrière de la langue mais à l'avantage d'aller très vite à l'essentiel sans détour et sans gêne.

Ici avec les gens du Pamir, dans le train au Kazakhstan, avec les marchands de pastèques en Ouzbékistan, lors de pauses en Arménie ou en Géorgie, avec les Turcs croisés et j'en passe, c'est à très peu de chose près le même déroulé à chaque fois. Je laisse souvent Bruno répondre car c'est en général les hommes que l'on salut, à qui l'on serre la main et à qui l'on s'adresse. 

Dessins à l'aide d'un bout de bois ou du doigt dans la terre, gestes et mimes sont de rigueur.

Sans fausse hypocrisie, les regards et expressions du visage parlent d'eux-mêmes à chacune des réponses.

Ton âge ? 54. S'en suit un geste pour dire que tu sembles plus jeune.

Et elle ? 34. Une légère incompréhension raye le visage...

Mariés ? On fait dans un premier temps mine de ne pas comprendre la question. 

"Copine". A leur tour de faire semblant de ne pas comprendre. Le traducteur est sorti mais la traduction ne semble pas les convaincre.

Quand cela devient un peu insistant, on cède : Da, da... mariés.

Enfants ? 4. Illico, on me montre à nouveau du doigt. 

Non, une autre femme. 

Un regard méprisant s'en suit à moins que ce soit celui de la pitié, peut-être différent d'ailleurs qu'ils s’agissent d'une femme ou d'un homme. Dans tous les cas, on ne me considérera plus du tout dans la suite de la conversation.

Leur âge ? Il ne sait pas. Ça change tout le temps !

Tu vas où ? Par là ! 

"Paca paca !" 

Bien que redondants et quelque peu intrusifs, ces échanges me confortent dans l'idée qu'être curieux, qu'aller vers l'autre et que s'intéresser à comment il vit à l'autre bout de la planète, est bien dans la nature humaine. L'indifférence n'est donc pas généralisée et c'est une bonne nouvelle.

Ces réactions spontanées et sans filtre me permettent néanmoins de comprendre un peu mieux pourquoi si loin, ailleurs, chez nous, on considère si peu "la copine" de second choix... Comme quoi, sans parler la même langue, je peux presque mettre des mots et appréhender un peu mieux ce malaise.

Il m'aura fallu traverser un bout de continent, pédaler des heures, des jours, des semaines et des mois. J'aurais vu défiler ces paysages, il m'aura fallu faire toutes ces rencontres pour cerner cette "non place", ce "rien" de la famille...

Nous quittons alors le village avec des enfants qui courent à nos côtés, qui expérimentent leurs quelques mots d'anglais ou qui nous accompagnent sur un bout de chemin, sur leur vélos déglingués...

Insouciance de l'enfance, bonheur partagé d'équilibristes ! 

Ça rend le cœur un peu plus léger... 

Quelques dizaines, parfois quelques centaines de kilomètres de solitude et d'effort avant d'apercevoir à nouveau là-bas, au loin... des peupliers qui dansent. 

Ce qui est bien avec les peupliers, c'est qu'ils ont beau onduler, il savent garder leur ligne et rester droits comme des "i".

Ce qui est sûr aussi, c'est qu'il y aura toujours du vent et que quoiqu'il arrive les peupliers danseront toujours. 

Croisière Doushanbé-Bichkek •Escal'A2roues#33•

 


850 km et 10 000 mètres de dénivelé, ça use les mollets !

Croisière en velocipède,TadjikiSTAN-KirghiziSTAN avec virage énergiSTAN par l'OuzbékiSTAN...

PASseports à présenter,  PAStèques à déguster.

Grimpettes de cols, bivouacs dans les tournesols,

Interminables lacets ( toujours sans chaussure) pour rejoindre le sommet et enfiler enfin une veste...

Plantations de poivrons, citrouilles, tomates, concombres, pommes, prunes, maïs...  cocktail vitaminé, ah les champs !

ASphalte sans AS du volant... Toujours l'œil dans le rétro si tu ne veux pas 1finir KO...

Lac menthe à l'eau et collines couleur paille.

Chut... chanvre en train de pousser et fleurs de coton en éclosion !

Chevaux, moutons, vaches en troupeaux, berger en estives, ours et loups à l'affût...

Ruches arc en ciel, abeilles qui butinent et "med" en pot qui attend le gourmand.

Yourtes à gogo et yaourt fermenté pas gégé...
Roulottes sans roue, wagons sans rail, maisons sans voisin.

Camionstop : tunnels tout noir, fumées asphyxiantes , nids de poules et grands coups de klaxons...

Bruyères en fleur, foin en meules, gens en joie, cœurs en fête.

Bières en bouteilles plastiques et pots de glace en papier...

Orages d'étoiles, retour des goutes et des éclairs... plus de deux mois qu'on ne s'était pas fait mouiller le nez !

Montagnes russes, des haut, des bas... un seul panneau dans un sens comme dans l'autre et deux seuls chiffres : 12%. Menu unique !

Soleil levant sous le nez, soleil couchant dans le dos, soleil écrasant au dessus de la tête...

Nuits dans l'herbe et sous la voie lactée, journées au guidon, programme simple du voyageur selleste.

J6, une histoire à 3 voix •Escal'A2roues#32•


La bicyclette :
Un nouveau jour se lève sur les montagnes du Pamir. J'ai encore dormi debout et à la belle étoile à côté de leur abri de toile.
J'aime cette vie de nomade. Je vois défiler du paysage et je me nourris de tous ces kilomètres.

Le vélocipédiste :
Qu'il fut bon ce bivouac dans l'herbe moelleuse avec la tente pour maison et le glouglouti du ruisseau pour berceuse. Le confort est une perle rare ces jours-ci. Aussi chaque instant de repos, chaque zone ombragée, abritée du vent ou de la poussière et chaque aliment s'en trouve transformé en un véritable petit trésor.
Petits plaisirs simples du voyageur mis à rude épreuve.


Le toutou :
Lorsque je suis allée vers ces deux bipèdes là, au delà d'un peu d'eau et d'un manque cruel de nourriture, je crois que c'est surtout d'un peu affection dont j'avais besoin.
J'ai vu le jour, il y a quelques mois à peine, sur les hauteurs de la vallée du Whakan. J'y ai fait mes premiers pas face aux grandes montagnes Afghanes... depuis j'erre à la recherche d'un cœur qui m'adopterait.
Peut-être aurais-je eu davantage de chance sur la rive voisine ?
Cette nuit, alors que je frissonnais, je me suis délicatement glisser sous l'auvent en toile et me suis blottie contre l'un d'eux endormi. Délicieuse chaleur ! 


La bicyclette :
Je me demande bien pourquoi ce jeune chiot se fatigue à nous suivre depuis deux jours. Il gambade à mes côtés, parfois il me devance même lorsque que le terrain fait des siennes. Dans chaque descente, je l'entends au loin japper et pleurer parce que mes roues tournent beaucoup trop vite pour ses petites pattes.


Le vélocipédiste :
Cette petite chienne, arrivée de nulle part, nous a adopté depuis deux jours. Elle ne semble encore appartenir à personne. Preuve en est, ses oreilles encore intactes. Ici, on les coupe à ses congénères dès leurs plus jeunes âges. Elle a au moins échappé à cette torture mais pour autant je crois qu'elle donnerait tout (y compris ses oreilles !) pour devenir la compagne d'aventure d'un humain.

Le toutou :
Je suis toute flagada. Mes cousinets sont tout usés, mes pattes sont bien  fatiguées, mon ventre est vraiment vide... J'ai tellement faim, j'ai si soif et j'ai juste une profonde envie de fermer les yeux, pourtant je me relève, je me secoue et je me remets en chemin après chaque pause. Je suis  tant bien que mal, cette drôle caravane. Pas question de les lâcher d'une semelle !
Un regard, un mot, une caresse et mon cœur est tout rempli de bonheur !


La bicyclette :
Voilà maintenant six jours que mes roues tournent sur ce qu'ils appellent la Pamir Highway. 


Tu parles d'une route... cela avait pourtant bien commencé, mais peu à peu la route asphaltée a rapidement laissé place à un chemin de terre.
On suivait tranquillement un énorme fleuve mais voilà que maintenant on s'élève à vue d'œil sur les flancs de la montagne... Mon compteur altimètre s'affole...

Le vélocipédiste :
Aujourd'hui nous quittons le Whakan corridor et la rivière Panj pour basculer sur l'autre versant de la montagne et rejoindre la classique M41, Alichur puis Murghab.
Sur l'altimètre, ça défile... on prend doucement de la hauteur. La route est loin d'être parfaitement carrossable et il nous faut parfois descendre du vélo, marcher, pousser dans des bancs de sable ou dans des champs de galets !
Grrr le sable... ça fait grincer les dents et cela nous stoppe instantanément !

Le toutou :
Malgré les kilomètres qui défilent, je tiens le rythme. Je gambade à côtés de ces deux équilibristes, parfois même je baisse la cadence pour les attendre un peu. Seraient-ils fatigués, serait-ce le pourcentage élevé de la pente qui les ralentit ou l'altitude qui les assomme ?
Je saute de galets en galets, c'est assez ludique cette randonnée !
Et ce sable est si doux pour mes coussinets meurtris. Un délice, le rythme ralentit et j'ai même le temps de rêvasser un peu : La plage, les cocotiers, une glace à la vanille, une sieste...


La bicyclette :
Ces galets sont vraiment affreux. Ça ricoche sous mes pneus encore un peu surgonflés, ça cogne dans mes jantes et ces chocs répétés vont finir par me faire mal au cadre ! Quant à ce sable qui bloquent net les roues et fait grincer des mécaniques !
Un grain de sable dans l'engrenage, l'expression est toute trouvée !

Le vélocipédiste :
Encore quelques lacets et le col se dévoile enfin : 4300 mètres d'altitude. Bonheur d'avoir grimpé si haut à vélo !


On partage quatre graines, deux photos et trois caresses avec la petite chienne. Nous arrivons à la fin de notre autonomie en nourriture, au bout de nos réserves en eau. Voilà plus de deux jours que nous n'avons pas croisé un seul village dans lequel on espérait "abandonner" notre jolie boule de poil.
Bientôt la descente du col puis l'asphalte, jamais elle ne tiendra ce rythme effréné...

Le toutou :
Deux graines... Ce n'est pas ça qui va remplir mon estomac mais je vois bien qu'ils n'ont rien de mieux à m'offrir. Eux aussi semblent un peu affamés !
Ne vous souciez pas de moi, je peux encore tenir le coup et vous accompagner sur un bout de chemin...

La bicyclette :
Place à la descente ! Je sens qu'on se cramponne à mes freins, on lève les fesses de ma selle, on serre mon cadre entre les cuisses et mes deux pédales sont au même niveau. Ça guidonne entre les cailloux mais ça file à bonne allure !
Déjà, j'entends couiner le p'tit chien. Déjà il est loin... ce coup-ci, il semblerait qu'on l'ait perdu !

Le vélocipédiste :
On plonge dans la descente avec entrain, on sait que tout au bout il y a de la vie, de l'asphalte et de quoi manger !
Ça secoue pas mal mais ça reste agréable.
Ce qui devait arriver, arriva... La chienne est vite distancée et nous faisons quelques pauses régulièrement. Un petit point noir au loin qui s'accroche de toutes ses forces !
A chaque fois, qu'elle nous rejoint, elle semble de plus en plus épuisée et finit parfois par se coucher avant même arriver à notre hauteur et tarde de plus à plus à se relever quand nous nous remettons en selle.

Le toutou :
Cette descente m'épuise, ça va décidément beaucoup trop rapidement pour moi. Et s'ils partaient trop vite devant, si personne ne m'attendait, si je me retrouvais à nouveau seule dans ce désert minéral ?
Je suis tellement fatiguée !

La bicyclette :
Qui a dit que les descentes étaient plus faciles que les montées ?
Celle-ci est vraiment l'exception qui confirme la règle ! Me voici en train de ramer dans une immense flaque de sable... C'est éreintant !

Le vélocipédiste :
Ensablage en règle ! On pousse, on marche, on tire, on s'en met plein les pieds, on grogne...
Ce sable, quelle horreur !


Le toutou :
Ah, du sable ! Quel bonheur !
Ça avance tout doucement...
On y va ou quoi ?! Ce n'est pas à ce rythme que vous rejoindrez ce soir la civilisation !

La bicyclette :
Finalement, il y a pire que le sable. Il y a ce sol couvert de vaguelettes qui te secoue pire qu'un prunier. Ça en décrocherait presque une de mes sacoches et ça en ferait presque tomber mon rétro... Quel enfer !
Je vibre de tout mon être ! Il ne manquerait plus que mes soudures lachent ici, on aurait l'air malin, tient !

Le vélocipédiste :
Tôle ondulée party !
Les bras tremblotent, les mains sont pleines de fourmis, les dents claquent et les yeux essaient de maintenir le cap !
Oh hé, c'est pas bientôt terminé ce chantier ?!.


Le toutou :
J'adore ces petites vagues ! Je rebondis d'une bosse à l'autre et j'ai l'impression d'aller à toute allure, c'est tellement amusant !
Je vais plus vite que tout le monde sans me fatiguer plus que de mesure et on avance tranquillement ! Que demander de plus ?! Un peu plus de tôle ondulée s'il vous plaît !

La bicyclette :
Hors de question ! Je préfère encore rouler dans les cailloux !

Le vélocipédiste :
Moi aussi !

Tiens un lac ! Ça tombe bien on commençait à terriblement manquer d'eau. Mais pourquoi les berges sont-elles si blanches ?

Le toutou :
Morte de soif ou presque ! Je me rue sur cette immense flaque.
Trois lapées par ci, deux par là... ce n'est pas très bon tout ça !
Essayons encore là où là bas ou bien par ici... Pareil !
Je rêve ou j'ai davantage soif à présent ?!

La bicyclette :
Appuyée sur ma béquille, je profite de la pause. La vue est magnifique ! Une succession de lacs, des jolis blocs, des couleurs magiques !
Finalement, tout le monde revient de la corvée d'eau avec sa gourde vide... Étrange.

Le vélocipédiste :
Quel piège ! Ces lacs sont salés !
Pour se désaltérer, il faudra encore patienter...

Le toutou :
Faim, soif, fatiguée... ce coup-ci, je n'en peux plus les amis !
J'en ai vraiment plein les pattes !


La bicyclette :
Encore une dizaine de kilomètres sur cette piste dont l'état laisse clairement à désirer, c'est usant.
J'en ai plein les pédales...

Le vélocipédiste :
Rira bien qui crevera le dernier !
Mais que vois-je là ?

Le toutou :
Un truc noir, lisse, dur, qui chauffe les pattes... c'est bien la première fois que je vois une chose pareil !

La bicyclette :
Asphalte chérie te revoici !

Le vélocipédiste :
Le goudron, c'est si bon !


Le toutou :
La suite est un peu floue... Je me retrouve, par je ne sais pas quel miracle enfouie dans un grand sac jaune. La route défile à toute vitesse devant mon nez sans que je produise le moindre effort ! 



J'en profite pour admirer le paysage puis assommée de fatigue, je m'endors comme un bébé !



La bicyclette :
5 kg supplémentaire sur mon porte-bagage pour finir cette épuisante journée !
En même temps, je ne peux pas vraiment me plaindre, c'est de l'asphalte et ce n'est pas moi qui pédale !

Le vélocipédiste :
Sauvetage de chien activé !
Encore 20km de goudron et on aura fait tout ce qu'on pouvait !

Il fait quasiment nuit lorsque nous débarquons notre mini passagère clandestine.
Elle sort du sac en frétillant puis s'assied face à ce nouveau spectacle. Nous profitons qu'elle admire toute surprise son nouveau village pour nous éloigner rapidement après lui avoir donné un caresse d'adieu.
Une route, des véhicules, des gens, des fermes, des chiens, des épiceries, des poubelles, une rivière et des fontaines... Ce sera toujours mieux que le désert de pierres.
Bienvenue à Alichur !

Le toutou :
Il y a tant de bruits, tant de choses à regarder ici ! C'est donc ici que je vais vivre ?
Mince ils sont déjà partis...
Aujourd'hui était donc le premier jour du reste de ma vie...


La bicyclette :
Née dans la Whakan, passé un col à 4300m et grandi de l'autre côté de la montagne à Alichur. Il n'y a que nous qui connaîtront cette petite histoire.
Ce sera notre secret de ce 6ème jour sur la Pamir Highway.

Le vélocipédiste :
Ce soir, en me couchant, j'ai le cœur un peu lourd et la gorge toute serrée...

C'est fou comme on peut si vite s'attacher à ces bestioles. Néanmoins, on s'endort en ayant la certitude que l'on aura fait notre possible...

Aujourd'hui la Whakan valley, c'est terminé. Une première page du Pamir est déjà tournée...


En souriant, nous nous prenons à penser que, si durant le long périple qui nous attend, nous devions nous faire attaquer par un énième chien, ce ne serait vraiment pas juste !
Karma, quoi !

Peut-être qu'aujourd'hui dans cette aventure nous avons même gagné notre immunité face aux crocs qui claquent, qui sait ?!


Naitre Afghan aujourd'hui ? •Escal'A2roues#31•

Sur quelques centaines de kilomètres,  la rivière Panj a délimité sa frontière. Nullement arbitraire, l'impétuosité des flots avait cette évidence naturelle pour nous séparer de l'Afghanistan. 

Même si l'existence d'une frontière peut interroger, la rive gauche était parsemée de hameaux reliés par une étroite piste. Fort peu de trafic en comparaison avec la nôtre déjà bien réduite,  des piétons majoritairement accompagnés parfois d'un âne,  de rares motos et de plus rares autos encore. 

Mais si le photographe avait inversé la photo,  je défie quiconque de nommer les états. Architecture basique en terre ou pierres, l'existence d'un lieu de vie tient ici du génie de l'irrigation. 
Soudain, alors que le minéral règne en roi, des générations ont eu l'intelligence par la création de réseaux d’amener l'eau sur des distances parfois considérables et de faire naître tout simplement et justement la vie. Chacun s'affaire indifféremment,  et avec le même savoir, à la faire naître, prospérer et s'épanouir. 

Et il en faut de l'inventivité et du labeur pour "boucler confortablement l'année" !
Les cultures sont identiques, et pour notre plus grande chance, cette saison, les abricotiers croulent sous le poids des fruits. Une harmonie, un équilibre existent dans ce recoin du monde qui est ni plus ni moins l'œuvre de l'homme. 

Si l'on se prend au jeu du photographe : y a-t-il une rive mieux qu'une autre ? 
Les mains se lèvent pour nous saluer, il y a fort à parier que la rive gauche envie celle où nous sommes de ne pouvoir aussi offrir le thé de bienvenue… 
Mais alors,  je reformule la question : existe-t-il une rive « mieux » qu'une autre pour pointer son nez dans ce monde ?  

Là où nous roulons, le choix pris a été de faire patrouiller, à intervalles réguliers, des très jeunes soldats armés. 
Rien de bien exaltant dans leur journée, ils marchent par trois à cinquante mètres de distance les uns des autres, sans lunettes de soleil ni même d'iPod ! Bon, ils font de l'exercice au moins…
Aucune présence de cet ordre en face ! Ça vaque aux occupations quotidiennes des champs et de l'élevage. 

Sur le site Web dédié aux voyageurs comme nous, par exemple, la région est rouge… 
Parfois, un gamin au biclou déglingué qui nous accompagne quelques centaines de mètres lâche au cours de la conversation minimaliste le mot "taliban" avec de gros yeux tout en matant la rive opposée. 

Mais dans les faits rien, nada… ah si, il y a quelques temps,  au beau milieu de cette interminable vallée se tenait sur une espèce d'île un bazar où le troc devait régner en maître. Mais ça, c'était avant… 

Alors, il me plait d'imaginer,  d'espérer qu’ici, au Pamir,  le milieu et sa rigueur impose plus qu'ailleurs sa condition et que ses habitants vivent dans une sorte d'harmonie dictée par les saisons et les récoltes, et non pas par l'interprétation et l'imposition de croyances dont personne n'a besoin en définitive !

J'aimerais tellement que l'humanité grandisse autour du respect mutuel, du libre arbitre et de la bienveillance.
L'accueil prodigué tout au long de cette Pamir highway avait en tout cas ces fondements !  
Merci merci …

Bruno



Pamir highway revisitée •Escal'A2roues#30•

Pistes cyclables, voies vertes, eurovélo, vélodysée... 

Certains de ces tracés suivent d'anciennes voies de chemin de fer, d'autres reprennent d'anciens chemins de halage le long d'un canal et d'autres encore longent les berges d'un fleuve. Ces itinéraires réservés aux deux roues ont fleuri, un peu partout ces dernières années, pour le plus grand bonheur des petits et grands équilibristes à deux roues.
La route de nos vacances est parfois plus large mais souvent bien moins carrossable et nous devons aussi la partager avec quelques rares "machines", comme on dit ici, et aussi parfois avec quelques animaux. 


Cet itinéraire un peu fou serpente au beau milieu du massif du Pamir, il remonte d'interminables vallées, gravit des cols en altitude, franchit des montagnes, traverse des hauts plateaux, longe des lacs et saute des rivières.
Il mène à la grande nature, belle, sauvage, rude et aride... 


La "Pamir highway", ou route M41, est cet axe qui relie le Nord Est de l'Afghanistan à Douchanbé au Tadjikistan puis à Osh au Kirghizistan avec à mi-chemin, une bifurcation menant à la frontière chinoise.
Aujourd'hui quand on parle de la "Pamir Highway", c'est au tronçon Douchanbé-Osh auquel on fait allusion.

Elle a été construite sous l'ère soviétique dans les années 40 en un temps record. On évoque une centaine de jours à peine pour la partie Douchanbé-Khorog, soit près de 500 km, c'est à dire une avancée d'environ 4km par jour. Vu le relief géologique et les moyens supposés de l'époque, c'est juste lunaire ! 


À cela doit-on ajouter que bien que soutenu par le gouvernement de la république soviétique, le chantier a été  réalisé dans un effort commun et collectif ("khashar", effort mutuel en persan ) comme c'est seulement imaginable dans des états communistes ! 

C'est aujourd'hui un des réseaux routiers principal du Tadjikistan même si l'aspect de la route peut parfois sembler bien éloigné de celui d'une nationale tel qu'on se l'imagine !
Principalement fréquentée par des poids lourds chinois chargés d'énormes containers, on peut également y croiser quelques 4x4 faisant office de taxis et aussi... quelques vélos ! 


La "Pamir Highway" est très certainement un rêve pour beaucoup de cyclovoyageurs. Elle est pour certains, qui viennent spécialement la parcourir, un réel objectif à elle seule. Pour d'autres, elle est une étape de taille dans un voyage au plus long cours en Asie Centrale.

Une parenthèse. 
Un voyage dans le voyage. 

Nous ne sommes pas encore de grands cyclovoyageurs mais cette route à travers les montagnes du Pamir nous faisait rêver.


Cyclorêveurs, cyclovoyageurs... 
Peut-être qu'au terme de cette épopée sur cet itinéraire mythique, serons-nous un peu des deux ?! 

Brut mélange d'asphalte décrépis, de nids de poule géants, de terre battue, de sable, de gravier, de galets, de tôle ondulée, de flaques, de passages à gué, de vents durement établis, de poussière qui vole, elle met voyageur comme matériel à rude épreuve sur plus de 1000 km. 


Suite à des affrontements armés, plus ou moins récents, entre Tadjiks et Kirghizs, la frontière entre ces deux pays est désormais strictement fermée. Impossible donc de parcourir les deux cents derniers kilomètres de la célèbre route se trouvant en Kirghizie. Dommage...
Pour autant, une fois la déception passée et après réflexion, ce nouveau paramètre s'avère finalement être une sacrée aubaine. 

Quand une traversée des montagnes du Pamir se transforme en une boucle, cela signifie que l'on passe deux fois plus de temps dans ces paysages splendides, davantage de jours en altitude et que l'on reste plus longtemps au cœur du massif.



Afin de ne pas emprunter le même chemin à l'aller qu'au retour, on se met alors en quête de variantes et de vallées habituellement délaissées, de pistes peu parcourues, de chemins plus que de routes à proprement parler. On prend alors des voies beaucoup moins carrossables où les véhicules motorisés disparaissent parfois complètement.
La "Pamir Highway" est à réinventer ! 


Autre avantage à cette frontière condamnée, il n'y a plus aucun camion à destination du Kirghizistan sur la M41 et seuls quelques poids lourds chinois empruntent toujours une partie de l'itinéraire mais là encore, covid oblige, leur nombre est beaucoup plus restreint qu'habituellement. Les quelques véhicules de touristes, quant à eux, contraints de faire l'aller-retour par la même route se font également plus rares. Nous n'en croiseront aucun.
Bref, la route est libre. À nous la "Pamir Highway" ! 


Nos passeports tamponnés, il nous faut maintenant également composer avec un délais de trente jours maximum dans le pays, créneau déjà quelque peu grignoté par le temps de rejoindre Douchanbé depuis Samarkand et un peu de logistique sur place :

S'alléger de ce qu'il peut rester de superflus dans nos sacoches et effectuer les quelques démarches administratives nécessaires pour entrer officiellement dans la région du Pamir.
Permis GBAO en poche, courses pour être un peu autonomes en nourriture, taxi rudement négocié et partagé avec trois autres cyclos.
 

Vélos ficelés sur le toit, excitation à son comble, c'est parti pour 17h de voyage : Pamir en ligne de mire ! 


C'est à Khorog que débutera notre épopée Pamirienne ! À la classique M41 plus directe, nous préfèrons tout d'abord emprunter le chemin des écoliers : la Whakan valley (en bleu sur la carte !).


Cette interminable vallée remonte sur plusieurs centaines de kilomètres la rivière Panj, énorme cours d'eau et frontière très naturelle entre Tadjikistan et Afghanistan. 
Les eaux grises sont déchaînées et les vagues parfois gigantesques. 


Nous remonterons plusieurs jours durant ce corridor dans lequel le vent s'engouffre avec fureur chaque après-midi. Pour notre plus grand bonheur, il souffle dans notre dos et ça file parfois à toute vitesse !


On peut profiter ainsi du panorama sur les grands sommets enneigés de l'Indu Kouch et saluer de temps à autres les afghans sur la rive opposée. 
Côté Tadjik, ce sont les militaires qu'il faut "saluer" à intervalle régulier. Checkpoints et patrouilles qui se baladent en permanence, arme à la main et œil fixé sur les Afghans bien occupés, quant à eux, à vaquer aux simples tâches de la vie quotidienne !


Quelques petits villages ou simples hameaux rencontrés égayent le trajet. Des enfants qui courent à nos côtés ou qui pédalent quelques centaines de mètres avec nous, des paysans au retour des champs tout sourire qui nous saluent, une micro boutique et une boisson fraîche à se mettre dans le gosier ! 

Après quatre jours à jouer aux montagnes russes le long des flots, on quitte la vallée principale pour prendre de la hauteur et aller à la rencontre des montagnes Tadjiks. 


Adieu l'asphalte !
Bonjour le sable, les cailloux et la tôle ondulée !
L'altimètre grimpe et les pédales moulinent....

À 4300 mètres d'altitude, tout le monde stoppe sa course : Voilà un premier col dans la poche ! 
En short et en jupette s'il vous plaît ! 


Le paysage s'ouvre plus largement et chaque virage est une jolie surprise à condition de pouvoir lever le nez de son guidon ! 
La descente s'avère être presque plus exigeante que la montée : Piste raide, caillouteuse et grand plat dans lequel on s'ensable copieusement. 


De la tôle ondulée de qualité supérieure fait suite et nous mène de lac salé en lac salé... 

Dommage, on avait justement une grande soif ! Il faudra encore patienter quelques dizaines de kilomètres... 


Enfin un dernier virage et une surprise de taille nous attend : noire, lisse et chaude.
Aurait-on pu un jour imaginer que retrouver du goudron provoquerait en nous une si grande joie ?


Bien que défoncée et au dénivelé largement positif, on se laisse porter par l'enthousiasme de l'asphalte retrouvée (et aussi par la soif !) le long de ce tronçon de la M41 que nous venons de rejoindre (en jaune sur la carte !)

Du vélo jusqu'à ce qu'il fasse nuit noire suivie d'une grande étape de cent kilomètres au milieu de paysages incroyables, sur cet immense plateau, le lendemain nous mène jusqu'à LA ville du coin : Murghab.



Changement de décor : C'est par une grande plaine verdoyante et humide que l'on rejoint la civilisation. Un ultime checkpoint et contrôle de nos passeports. Il ne s'agirait pas que l'on soit deux afghans déguisés en cyclistes ayant traversé la Panj à bord de nos pédalos pour venir acheter deux cannettes de bières à Murghab !


Douche chaude, lits, bières (justement !), soupe et emplettes au bazar local.
Changement d'ambiance, ici on porte des chapeaux en feutre et des foulards fleuris, on vend fromage et viande à l'intérieur de yourtes en béton (!) et un village de containers décrépis abrite tout plein d'autres petites boutiques.








Ce petit bazar est un vrai spectacle dans lequel on serait tenté de déambuler des heures.
Les sacoches reremplies de ce qu'on a pu trouver à acheter au container épicerie et c'est reparti ! 


La M41 fait une grande courbe vers le nord en direction du Kirghizistan.
À présent, le vent est contre nous et il va bien falloir s'y résoudre. 
Sauf imprévu ou conditions climatiques exceptionnelles, le vent dominant et nous, serons désormais à contre-courant !
La route pour la Chine ayant bifurquée à droite, on a la M41 juste pour nous ! Plus un camion et deux ou trois voitures par jour tout au plus !
Pas un chat et pas un chinois, pourtant la Chine et sa grande muraille de barbelés sont à quelques mètres à peine ! Des kilomètres et des kilomètres de poteaux et de clôtures plantés au milieu de ce no man's land minéral. 
Sait-on jamais qu'un Tadjik veuille aller cueillir un caillou sur ce flanc là de la montagne ! 
Vu la taille du pays, si tout le périmètre est barricadé ainsi, ils ont intérêt à être nombreux les planteurs de poteaux chinois ! 


La route se redresse peu à peu, la terre et la poussière reprennent leurs droits sur l'asphalte et quelques épingles s'enchaînent.



Ak Baïtal en vue ! 
Un joli col à 4660 mètres. Qui aurait dit qu'on grimpe un jour si haut... à vélo !? 


L'idée nous vient alors qu'on a, enfouis au fin fond de nos bagages deux paires de baskets. Et si on les emmenait se balader un peu ? 
Des globules plein les sacoches, c'est le moment d'en profiter ! 
Un peu de marche à pied pour se dégourdir les gambettes et rejoindre cette crête haut perchée. L'alti affiche 4900 mètres. 




La barre du "record" annuel est dépassée mais croyez-le ou non, cette presque traditionnelle virée estivale à 4810 mètres ne me manque pas du tout.
La cohue de guides, les refuges blindés et les cailloux qui dégringolent encore moins ! Y retournerai-je, je me le demande à cet instant...

Sur mon vélo, je me nourris parfois néanmoins de ces belles journées d'avril qui ont précédé notre départ. Atlas marocain, sierras espagnoles, caillou chaud, calme, tranquillité, sourires et bonheur d'être là...

En écrivant ces lignes, je pense aussi inévitablement à Marine, déjà un mois ; à Adèle, quelques jours à peine... Chutes fatales encordées à leur client(e). Des vies parties en poussière en montagne mais surtout au travail. "Métier passion", le mot est beau mais le jeu n'en vaut largement pas la chand'elles... 
☆ 

Cette grande descente dans une tôle ondulée impeccablement sculptée me sort de ces sombres réflexions. Se faire secouer de la sorte est non seulement désagréable mais il semblerait que cela accentue irrémédiablement les effets de l'altitude. Un mal de tête tenace s'installe !

C'est un peu sonnés que nous croisons nos premières yourtes et apercevons nos premiers yaks au loin. Avec ces nomades là, nous nous observons un moment, incrédules. Je ne sais pas qui prend le plus l'autre pour un extra-terrestre ! 


Quelques dizaines de kilomètres plus tard, il est temps de quitter à nouveau la M41 pour se jeter à corps perdu dans la grande nature sauvage.


La Bartang valley (en rouge sur la carte !) mériterait un récit à elle seule.
De vagues traces de roues dans la pampa, une vallée mal définie, un cours d'eau qu'il faudra parfois traverser... 

Ici le goudron n'est plus qu'un très lointain souvenir, les ponts sont en option et mieux vaut avoir fait ses provisions de nourriture et de carburant avant de s'engager plus profondément dans la Bartang.



Pour peut-être la toute première fois depuis le début du voyage, nous roulons vers l'Ouest ! 
Le soleil nous réchauffe le dos quand nous pédalons aux premières heures du jour où la gelée blanche est encore installée. L'après-midi, il nous brûle le nez et nous le poursuivons jusqu'à installer notre bivouac et le voir jouer à cache-cache entre les sommets, pour finalement disparaître derrière l'horizon acéré.


Le vent, quant à lui, est ici désespérément établi, il nous souffle de reprendre notre chemin vers l'Est ! En milieu de matinée, il se réveille timidement puis par quelques bourrasques s'installe confortablement jusqu'en milieu de nuit. Il lève alors la poussière, le sable, il assèche la peau, la bouche, il pique les yeux. Il ralentit les cyclistes qui tentent de se frayer un chemin à contre-vent, il secoue la toile de tente et vient perturber la flamme du réchaud.


Après quelques jours sur ce grand plateau à pédaler entre 3800 et 4000 mètres, nous plongeons dans la vallée à présent mieux dessinée. 

Coulée de boue durcie, pont écroulé, passages à gué nombreux, champs de galets, avalanches d'éboulis qui ont envahie un bout de piste, blocs qui ont degringolés, chemin trop raide et trop caillouteux, route parfois rongée par les eaux en furies. Il y a quelques fois tout juste de quoi laisser l'espace pour le passage d'un vélo et on comprend mieux pourquoi ce sentiment de solitude se ressent si fort ici.

Pas de village à des kilomètres, pas de nomade en estive, le haut de la vallée est isolée, comme coupée du reste du monde. Quel privilège !


Dire qu'il suffirait de se laisser glisser le long de la vallée, de suivre les flots de la Bartang ne serait pas vraiment réaliste. Bien que majoritairement descendant, il faut ici être présent à tout moment. Les yeux rivés sur les quelques mètres à venir, concentré sur où va passer sa roue avant et tonique pour maintenir le cadre dans l'axe de sa trajectoire. 
En montée, on guidonne, on mouline, on souffle. En descente, on se cramponne aux freins, on tente d'amortir les chocs trop nombreux et de se frayer un chemin entre les obstacles en maintenant un équilibre plus ou moins précaire.

Serait-ce cela que l'on appellerait le vélo tout terrain ?


Une fourche avec amortisseur nous aurait très certainement bien soulagé les poignets. Pour autant, bien qu'ayant parfois la sensation d'être dans un shecker, on ne lâche ni guidon ni l'affaire ! 

Une fois n'est pas coutume ! Dans une grande descente, j'enfilerai même mon casque. Si on quittait nos tongs, on ressemblerait peut-être même à des vttistes !


Une fatigue (bien crevante) accompagnée de quelques problèmes gastriques (bien emmerdants) me videront de toute mon énergie quelques jours durant. Je ferai mon possible durant une semaine pour avancer d'une distance correcte chaque jour, dans cette vallée qui me semble de plus en plus interminable, jusqu'à ce qu'une pause d'une journée s'impose. 

Dur cependant de reprendre des forces quand il n'y a rien à manger. Nous avons cinq jours d'autonomie et en avançant plus lentement que prévu cela s'avère être un peu léger. 



Je pédale au ralenti, je pousse parfois le vélo dans les montées ou dans les descentes trop techniques mais je teste quand même un truc assez génial, le VAM : vélo à assistance musculaire.
C'est assez simple, il suffit d'un vélo, d'une meuf complètement carpette et de son copain qui pousse tout ça ! Et dire que le soir, ça écoute des podcasts féministes... Au secours ! 


Le retour à la civilisation est lent, progressif, réconfortant... 
Premier signe de vie humain, une yourte inoccupée puis quelques dizaines de kilomètres plus loin, une bergerie perdue au milieu de nulle part et une poignée de personnes qui y passe l'été avec leurs troupeaux. 
Une centaine de kilomètres plus tard, un tout premier village sans véhicule et sans boutique mais déjà une invitation à partager le thé.


Il faudra encore attendre une quarantaine de kilomètres supplémentaires pour reremplir notre garde manger en s'offrant deux paquets de pâtes dans une épicerie qui n'a de l'épicerie que l'appellation ! 

Peu à peu les habitations se font plus nombreuses, plus élaborées, les jardins sont agrémentés de fleurs, les premiers véhicules motorisés réapparaissent et la tôle ondulée qui y est associée.

Les invitations se multiplient, on ne peut toutes les honorer.


De fil en aiguille, le chemin s'élargit pour devenir une route et, cerise sur le gâteau, une dizaine de kilomètres avant de sortir de la vallée et de rejoindre la M41, l'asphalte réapparaît comme par enchantement. Évidemment, le revêtement est loin d'être parfait mais cela nous donne l'impression qu'un boulevard s'offre à nous pour rejoindre Rujan.

Ce coup-ci, c'est le retour à la vraie ville : un hôtel, une douche et un restaurant. 

Voilà déjà dix-sept jours que nous pédalons dans ces fabuleux paysages si sauvages. Aujourd'hui, nous avons un peu de mal à réaliser que ça y est... le Pamir, c'est terminé. 
Il ne reste plus qu'à se reposer un peu et à inventer le prochain épisode !


On rêverait bien de plage et de farniente mais il n'y a encore rien de tout ça à proximité... 
Il va falloir pédaler ou patienter !