dimanche 29 mars 2020

Marchande de glace...


Une température qui oscille davantage vers le haut que vers le bas, un isotherme 0°accroché au plafond, un thermomètre qui fait du yoyo acrobatique, des glaçons qui fondent plus vite qu'ils ne se créent, des cascades habituellement classiques qui se font de plus en plus rares et celles qui ne se forment que très rarement, qui apparaissent soudain… Quel drôle d'hiver !

Pour autant, en se remuant un peu les méninges, on parvient quand même à trouver de quoi régaler un peu les lames de ses piolets. Une fois n'est pas coutume, l'activité sollicite davantage la tête que les bras !

Cela à force de se questionner pour trouver des conditions dignes de ce nom… Ceci dit, réfléchir un peu plutôt que toujours tirer fort sur les bras, ça ne fait pas de mal non plus ! Prévoir de travailler un mois et demi en cascade de glace durant un hiver sans froid, c'est loin d'être gagné d'avance…

Une situation qui pourrait être à peu près comparable à vouloir vendre des esquimaux en plein mois de juillet sur la Côte d'Azur sans avoir de frigo à dispo !
Je vous laisse imaginer la tête du touriste, déconfit et croulant sous une chaleur torride, lorsque qu'il se retrouve avec un bâtonnet de bois dans une main et une flaque de crème (anciennement glacée) sur ses deux pauvres chaussettes blanches sortant de belles sandales.
Voilà ce à quoi, il aurait été fort probable qu'un de mes clients ressemble, un petit matin d'hiver, en découvrant l'état du glaçon promis la veille !

A la différence de ne pas se retrouver avec un bâtonnet Miko à la main mais avec une paire de piolets au bout de deux bras ballants et de se sentir humidifié de la tête aux pieds ou des chaussettes à la culotte par une eau toute glacée.
Un petit avantage à trouver à notre situation, serait que cette glace là, même fondante, tâche quand même moins qu'un sorbet à la myrtille qui dégoulinerait le long de la manche d'une doudoune aux tons clairs.
Néanmoins, on peut aussi trouver un inconvénient de taille : une boule de glace qui bascule d'un cône tout ramollit et qui vient s'écraser sur vos pieds, c'est quand même bien moins douloureux qu'une stalactite de dix tonnes se décrochant du rocher et venant s'exploser sur votre tête… ou plutôt venant exploser votre tête !
Port de casque recommandé pour les amateurs de glace…

Ces gourmands là, qui jusqu'à des heures plus que tardives, la veille au soir (et après le dessert !!), ont rêvé en passant en revue chaque page du topo de référence du secteur, en découvrant chacun des itinéraires présentés, leur mettant l'eau à la bouche. Ils hésitaient alors longuement comme devant un étal de glacier offrant un trop grand choix composé d'une multitude de parfums différents.

Un stage hivernal est pourtant l'occasion rêvée de se coucher tôt et de rattraper la carence de sommeil accumulée depuis des mois de travail harassant en ville, non ?... La prochaine fois, c'est certain, je préciserai cette petite note dans le programme du stage : "Au lit tôt et sans topo !".

En début de nuit, avant que le marchand de sable ne passe, la marchande de glace jette un énième et dernier coup d'œil désespéré au dernier bulletin météo avant de fermer ses deux yeux pour de bon ; les gourmands, eux, dorment déjà sur leurs deux oreilles (drôle d'expression quand même…).

Moulinette le jour, moulinage la nuit…
Les rêves délicieux vont bon train… Tranquilles, ils rêvent de glace lisse et douce. Les plus tendus rêvent de glace froide et cassante et les plus gourmands, de glace tendre et de sorbet. Certains rêvent de pentes de neige immaculée, de cascades volumineuses, toutes gonflées comme prêtes à éclater alors que d'autres imaginent des rideaux qui pendent et de belles draperies élégantes. Il y en a encore d'autres qui pensent à de belles petites éclaboussures scotchées au rocher, ici ou là, tel un chemin à décrypter. D'autres encore rêvent à de belles stalactites et de belles stalagmites qui après une timide approche, s'enlaceraient pour n’en faire qu'une. Il y en a encore d'autres qui pensent à de la glace grise, blanche ou bleue tirant sur le turquoise alors que les plus érotiques songent aux 50 nuances de… bleu !

Bientôt le réveil sonnera : Point de grasse mat' pour les glaciairistes et encore moins cette année…

Au pied de la cascade de glace, en plus ou moins bon état, il est certain que l'on aura une pensée pour tous ces photographes, pour tous ces auteurs ou éditeurs de topos qui ont, semble-t-il, toujours le chic pour présenter chaque cascade sous son plus beau jour, sous son plus bel angle, dans son plus bel apparat et avec la plus belle lumière… La cascade immortalisée alors qu'elle était formée comme jamais ! On les soupçonnerait même de jouer un peu sur les filtres ou encore sur le curseur de saturation des couleurs pour bleuter un peu l'ensemble de l'architecture ! On pourrait imaginer qu'ils ont aussi, pour l'occasion, fait pivoter la montagne pour être du côté ensoleillé… alors que tout le monde sait que la glace, c'est à l'ombre… et toute la journée en plus !

Si les gens connaissent assez bien cette ruse dont abusent sans compter les photographes de mariage (où tout le monde semble beau et gentil !), ou encore les magazines people (où tout le monde est mince et musclé !) ; il semblerait que les grimpeurs aient bien moins de discernement lorsqu'il s'agit de ces grandes coulées d'eau gelées…

Entre photos enjolivées et hiver caniculaire, c'est le grand écart. Quand nos mois de février ressemblent à des mois d'avril, que font les marchands de glace sans congélateur ? Comment présenter une extraordinaire carte des glaces : glaces faites maison et avec amour… glaces à ceci ou à cela… glace artisanale… glace à la violette ou à la myrtille… glaces bio… pour finalement n'avoir à offrir qu'un pauvre petit pot en carton de glace double parfum vanille/chocolat de Leader Price ! Glaces sans sucre, sans sel, sans lactose, sans gluten, sans viande, sans œuf, glaces végans, glaces sans ceci ou sans cela… mais jamais de glace sans froid !

Réchauffement climatique, étés caniculaires et hivers sans froid, nous laisseraient presque croire à tort que "marchand de glace" serait un métier d'avenir. Maintenant je sais que ce n'est qu'à moitié vrai…

Heureusement, il y aura toujours des gros gourmands et il y aura toujours des glaces aux marshmallows pour nous remonter le moral en regardant les photos, certes surfaites, des belles cascades de glace d'antan !