mercredi 29 juin 2022

Embourbés dans les montagnes •Escal'A2roues#20•

Pour fêter notre départ de Turquie, je n'ai rien trouvé de mieux que de me payer une galipette à vélo dans les tout derniers kilomètres.

Aussi, c'est avec un coude abîmé, une hanche éraflée et une ou deux côtes félées ou cassées que nous passons la frontière Géorgienne.



Pour la première et sûrement seule fois de notre vie, nous doublons une centaine de poids lourds en une quinzaine de minutes. Nous filons à toute allure et eux sont à l'arrêt forcé pour des heures voir des jours. La queue pour passer la frontière est interminable. On révise notre géographie avec les plaques d'immatriculation et on s'amuse du comportement des uns et des autres conducteurs. Certains discutent entre eux, d'autres en profitent pour faire l'entretien du moteur et d'autres encore le ménage de la cabine. Les chauffeurs turcs bien à l'ombre du camion lancent à notre passage de grands "merhaba", les conducteurs russes, affalés sur des chaises de camping, torse nu, en mode bronzette en plein soleil, restent impassibles. Vu la durée de l'attente, on espère pour eux que la douane géorgienne laisse entrer les écrevisses dans le pays !

En tout cas, ils laissent passer les cyclistes et même les cyclistes un peu handicapés et on a droit à notre deuxième tampon sur les pages de nos passeports.


Je n'ai pas souvenir d'avoir déjà vu un changement aussi radical au passage d'une frontière. Routes goudronnées et parsemées d'énormes nids de poule, pistes en terre boueuses, maisons basiques en pierre, on ne nous offre plus de thé mais du café et de la vodka. L'attitude des hommes à mon égard, change aussi un peu. Quelques croix et de discrets clochers remplacent les minarets. Tracteurs et camions d'un autre âge, wagons de trains désaffectée, préfabriqués métalliques rouillés jusqu'aux os ponctuent le paysage, maisons à l'abandon, grandes forêts et vastes étendues fleuries, visages plus fermés aussi... Tout a un peu cet air sinistré ou de désolé...

On vient de faire un bond en Russie !






Les formules russes "Priviet" et "Spasiba" sont d'ailleurs de mise avant qu'on ne les remplace quelques kilomètres plus loin par "Barev" et "Abris" tant la proportion d'Arméniens est grande dans la région.


Un coude tout gonflé, un bras douloureux et des côtelettes qui font mal, je ne pouvais espérer mieux comme programme de convalescence que cette toute première semaine en Géorgie !


L'état des routes principales n'est déjà pas irréprochable mais lorsque le GPS vous joue des tours et vous conduit sur des pistes en terre ou des sentiers et qu'à cela s'ajoute quelques jours de pluie d'affilés, c'est juste cadeau pour les bobos ! J'ai l'impression de passer des heures dans un shecker !
Ici on ne parle pas d'asphalte abîmé, on parle de flaque de goudron au milieu d'un champs de nids de poule, et d'îlots terreux au milieu de lacs d'eau boueuse. Et encore je ne vous parle pas de nos labourages de champs, des garde-boue qui bourrent, des roues bloquées, des herbes hautes et des traversées de rivières et de canaux !
Que du bonheur !



On a beau dégonfler les pneus, chaque secousse est pour moi une véritable petite torture.

Après quelques jours à s'entêter, la météo nous oblige à temporiser et c'est finalement pas si mal car cela me permet d'enfin, pouvoir me reposer un peu.
Un jour et demi à écouter tomber la pluie sous la tente me fait le plus grand bien ! Sans compter que je viens soudain d'avoir la lumineuse présence d'esprit que nous avons dans nos sacoches une pharmacie ! Cinq jours après m'être gamellée... mieux vaut tard que jamais !


Cette pause forcée nous permet d'étudier aussi davantage la carte. Il faut se rendre à l'évidence : il y a erreur sur l'itinéraire et craquage en règle de l'appli GPS. Une partie du profil présente une belle aiguille avec des soit-disant pentes à 35%. On croirait la Dibona !


Un dafalgan ou deux et on saute sur la première éclaircie venue pour s'échapper de ce traquenard !
Le plan B sera LA plus belle journée de vélo depuis le début du voyage. 70km de pistes d'états variables, du dénivelé, un beau col dans des conditions hivernales. La descente sur l'autre versant sera si longue qu'il nous faudra même la couper en deux !
Tout vient à point à qui sait attendre !




De l'autre côté de la montagne, on enrichit encore notre lexique : "Camadjoba" et "Madloba". Ici on parle géorgien.
Asphalte confortable et bande d'arrêt d'urgence d'autoroute nous conduisent jusqu'à Gori. Ce sont les vacances ou presque...

"Méfiat", quand même aux voitures et aux camions qui nous frôlent de près et aux chiens qui surgissent, de nulle part, babines retroussées ! 


Un matin en Cappadoce •Escal'A2roues#19•

 


mardi 28 juin 2022

1000km pour les gambettes ! •Escal'A2roues•

 

Cap ou pas cap(padoce) ? •Escal'A2roues#18•

Quelques jours pluvieux nous mènent jusqu'aux portes de la Cappadoce. L'avantage de pédaler sous la pluie, c'est qu'on ne meurt pas de chaud, surtout quand les poids lourds nous arrosent à chaque flaque !

L'inconvénient, c'est que sous ma capuche enfoncée jusqu'au bout du nez, je n'y vois pas grand chose et que je rate donc la sortie d'autoroute.

Heureusement, après quelques kilomètres à pédaler seule sur la bande d'arrêt d'urgence, Bruno qui a fini par s'inquiéter (si, si, ça peut arriver !) de ne pas me voir arriver parvient à me rattraper : 

"Demi-tour ! La Cappadoce, c'est par là bas !" 

Les pauses dans les cafés pour se faire un peu sécher autour d'un thé chaud sont toujours les bienvenues. Station-services en état ou non, nous offre aussi un toit le temps de laisser passer le déluge. 



Peu dans le paradis géologique qu'est la Cappadoce. Canyons, cheminées de fée, falaises de sable, habitats troglodytes... je ne vais pas vous faire un dessin (quoique, je pourrais essayer !), les photos parleront d'elles mêmes. C'est magnifique ! 




Dans ce parc national, point de réglementation, pas d'interdiction, pas d'accès payant ou je ne sais quoi... C'est bien appréciable de pouvoir se balader librement, de faire du vélo au milieu de ces tours de sable et dans ces petits canyons, de bivouaquer dans un cadre de rêve et même de grimper où bon nous semble, qui plus est, sans corde ! 


L'envers du décor, c'est que si tout le monde peut faire ce qu'il veut, c'est vite la foire à la saucisse. L'activité principale des beaufs, venus de tout horizon en vacances, semblent être la balade en quad. Imaginez-vous des centaines de quads qui se suivent à la queuleuleu au milieu de ce cadre idyllique ! Le moniteur devant et tous les pinpins derrière : la cata !

Évidemment c'est bruyant, c'est moche, ça pue, ça défonce les chemins et puis c'est dangereux pour les cyclistes qu'ils manquent d'applatir de justesse sur leurs passages ! 
Heureusement comme la tendance est  de tous faire la même chose au même moment, quand l'heure de l'excursion en quad est passée, tout redevient désert, calme et magique ! 
On est seul au monde ! Comme quoi les p'tits moutons, ça a du bon... 




On ne pourrait vous parler de Cappadoce sans vous parler de cette explosion de montgolfières qui a lieu tous les matins au lever du jour. Un ballet de couleurs dans le jour naissant.


Des dizaines de ballons qui flottent dans un ciel éclairé par les tout premiers rayons du soleil. Ça monte, ça descend, ça se gonfle et se dégonfle. 
Tout se déroule si vite que cela donne un véritable caractère éphémère au spectacle. 
On se sent presque chanceux d'avoir ouvert l'œil à 4h30, éveillés par le ronflement des moteurs de ventilateurs et d'avoir pu apercevoir les toutes premières flammes emprisonnées dans ces immenses bouts de tissu. Telles des lucioles, les premières lanternes se gonflent d'air chaud et s'élèvent lentement : le défilé peut commencer.
La nuée se déplace, se densifie, se disperse. Très vite, il y en a dans tous les coins du ciel et déjà trop pour pouvoir les dénombrer alors on profite de ce spectacle incroyable qui s'offre à nous dans ces paysages splendides. 






A 6h30 du matin, tout est déjà replié et rangé. C'est à s'en frotter les yeux et à se demander si finalement on n'a pas simplement rêvé ! 
Et si le monde appartenait à ceux qui se lèvent tôt ?...





Alors oui, les places dans les paniers d'osier semblent demander un petit budget, le voyage dans les airs de courte durée, un diplôme et une coupe de champagne sont délivrés aux touristes volants à l'arrivée (!!). Ils repartent ensuite dans leur hôtel, dans le même minibus pour prendre probablement le même petit déjeuner !
Bref, ce commerce de la montgolfière florissant, c'est très certainement la "beauf attitude" qui a encore une fois frappé mais quand même... 
Cap ou pas cap(padoce) de voyager en Turquie sans venir profiter de cet incroyable spectacle ?

Vie de chienne •Escal'A2roues#17•


Bien des gens nous renvoient nos saluts lorsque nous pédalons. Souvent leur enthousiasme se manifeste par un coup de klaxon, venu de derrière et bien appuyé.  Frayeur … Mais ça redonne un peu d'énergie quand le faux plat s'éternise. L'ambiance, les codes changent un peu au gré des villages traversés. Qu’il est bon ce rare « merhaba » tout sourire venu de cette  femme au détour d'une ruelle. Le commun étant ces regards masculins qui se braquent sur nous dès l'angle de la place tourné. Que dire des entrées dans les cafés ! Il ne m'a pourtant pas semblé voir un écriteau interdit aux femmes 🤔… Le thé souvent offert compense-t-il ce sentiment trouble ?

Pas vraiment … Nous nous régalons d'un kilo de cerises sur un banc qui jouxte le café.  Les thés s'enchaînent. De l'autre côté de la rue une enseigne de vétérinaire me fait sourire… Les cerises fraîchement ramassées sont divines. Soudain, une scène capte mon attention. Ça va très vite. À l'arrière d'un camion d'éboueurs, deux hommes empoignent par la peau du dos un de ces gros vieux chiens crème. Ses yeux disent tout… pas même un jappement, et il est dans la benne. Un troisième homme vient prêter main forte. 

Dans l'indifférence totale, le camion poursuit … Nous sommes sans voix … Ces paroles de Renaud me viennent aussitôt en tête  :

https://m.youtube.com/watch?v=v28HCO71AxQ

Bruno

Alada(gla)ğlar •Escal'A2roues#16•


A l'Aladağlar, nous étions venus chercher un coin sauvage, du caillou et la fraîcheur des montagnes.
Ces ingrédients furent au rendez-vous. On aura même eu la chance de partager du temps avec Maud et Florence, venues grimper par là, alors qu'on aurait certainement eu un mal fou à faire coïncider nos agendas en France ! Comme quoi le hasard fait parfois bien les choses ! 
Grâce à elles, on agrandit même le champs des possibles !! Un brin de corde de 60m, de la cordelette pour rappeler, quelques friends, parfois un taxi et la possibilité de faire quelques grandes voies va s'offrir à nous ! 
Grand merci les filles ! 


C'est dans Kazikli canyon que nous nous mettons en bras. Escalade dans un style plutôt physique au programme sur ce conglomérat orangé. Falaises verticales voire déversantes de toutes les orientations ou presque ! On peut donc grimper à l'ombre et même sous la pluie dans les gros devers ! Renversant ! 

Ici il nous faudra jongler avec les averses quasiment tous les jours. L'orage semble avoir une ponctualité assez redoutable ! Parfois même la grêle s'en mêle.
"L'après-midi, mieux vaut déguster des pâtisseries et boire du thé qu'être sur les sommets." (Proverbe de montagnard turc)




On grimpe la plupart du temps la toute dernière voie dans un concerto de coups de tonnerre, sous les éclairages intermittents des éclairs et sous les premières gouttes. 
Une bonne solution pour enchaîner à toute vitesse !

En se levant très tôt, on parvient à grappiller quelques longueurs dans la paroi de Yelatan où souffle soit disant un "vento d'estate". Finalement, il ne fait pas si chaud que ça et l'affaire est vite pliée avant que le soleil n'ait le temps de pointer son nez ! 7 longueurs, 6c+ max, semi équipées et un itinéraire un peu tiré par les cheveux....



De retour, on arrive juste à l'heure pour un barbecue improvisé sur le parking par Valentine et Philippe. Un chouette couple en vadrouille avec leur van, leurs skis, leur matériel d'escalade et leur enthousiasme depuis des mois !



Le lendemain, on change radicalement de style dans Pinarbaşi Canyon. Étroite et profonde gorge, rocher gris peu adhérant et lignes parfaites. Aujourd'hui, on sort les coincements en tout genre, grimpe en fissure au menu ! 
L'une d'elle capte notre attention depuis notre arrivée : fissure fine et élégante qui raye un grand mur gris. Oserons-nous aller y coincer nos doigts ?
On finit par se décider et c'est "so perfect" !


Le jour suivant apparaît comme LA belle journée sur le diagramme météo. On fonce en montagne ! 
Réveil matinal, vélo, auto-stop, marche à pied... quelques heures plus tard, nous sommes au pied du mur où plutôt de l'aiguille ! 



Parmakkaya, un monolithe de presque 300 mètres de haut qui nous fait penser au Naranjo de Bulnes sous son angle le plus impressionnant. On se croirait face à "Orbayu" ! 
C'est raide et le caillou orangé semble bien compact !
 Cotations soutenues dans le 7ème degré dans un style "pas grand chose dans les mains & tout sur les pieds". Ajoutez à cela un point tous les 5 ou 6 mètres, parfois plus et des départs de relais quasi toujours expo. Ambiance garantie !




"Orient" est une belle balade verticale engagée voire exposée, mieux vaut ne pas tomber... Pour clipper les deux premiers points de la dernière longueur, c'est presque un crashpad qu'il faudrait pour parer le crash sur la vire !
Ces sept longueurs nous occupent la tête et le corps toute la journée. 


Nous allons ensuite visiter Çimbar canyon. Ce coup-ci, ce sont des murs orangés qui nous attendent. 
Petites prises sur lesquelles il faut s'agripper fort si on veut avoir une chance de clipper le relais ! 


Journée plus qualitative que quantitative : deux voies pour quatre grimpeurs ! 
Ça laisse le temps de faire plein de photos, de manger, de papoter de méthodes, de se reposer et peut être même d'enchaîner ! 


Enfin pour notre dernière journée de grimpe dans le massif, nous optons pour une valeur sûre : Karayalak, une belle paroi de presque 300m. Dalles compactes, cannelures, fissures, piliers orangés, tout y est ! 
L'équipe s'agrandit. Maud et Flo s'encordent avec Christophe rencontré sur place et partent dans la classique "Freedom", tandis qu'on grimpe en parallèle dans une voie plus récente, "Kung Fulanda".
Les deux équipes ne tardent pas à se rejoindre dans la belle longueur 7a et c'est finalement une chouette combinaison de ces deux voies que nous grimperons. Pas une longueur à jeter, tout est beau ! 


Les jours suivants s'annoncent plus humides que la normale. Il est temps pour certaines de mettre le cap à l'Ouest alors que d'autres se remettent au guidon et continuent leur petit bout de chemin vers l'Est. 
Nous profitons de cette rencontre improvisée pour alléger considérablement nos sacoches en confiant tout notre matériel d'escalade aux filles pour un retour en France plutôt que de l'abandonner dans quelques semaines en Géorgie, Arménie, Iran ou ailleurs comme initialement imaginé. 
De toute façon, l'été semble avoir pris ses quartiers et nous, il nous faut bien avancer un peu ! 
... et peut-être qu'en laissant corde, baudrier et dégaines, on aura la place pour garder les p'tits dessins et la palette d'aquarelle ! 


Quitter ce bel endroit où nous venons de passer une petite dizaine de jours nous fait tout drôle. Poursuivre le voyage sans notre matériel de grimpe nous rend presque déjà nostalgiques. S'il fallait voir le bon côté des choses, on dirait qu'on se sentira probablement encore plus libres en étant plus légers pour passer les cols haut perchés. Evidemment qu'il nous tarde de nous remettre à grimper, dans quelques mois peut-être, à l'autre bout du continent... à condition d'y arriver ! 

Inchallah !