jeudi 17 mars 2022

L'autobus des Balkans

Fin octobre, les dernières journées de boulot sont derrière nous. L’automne s’installe doucement et le bus magique part en tournée ! Dans la soute, matériel d’escalade et de quoi gribouiller sur du papier, le minimum et l’essentiel à la fois !
 

On cherchait l’été indien et c’est tout d’abord l’automne slovène que l’on rencontre. Autrement dit, on fait un saut illico en plein hiver ! Les doux rêveurs, que nous sommes, imaginent un temps tenter d’atteindre le "sommet" des sommets slovènes par sa célèbre face Nord. 


Le Triglav semble être un passage obligé pour tout slovène qui est capable de mettre un pied devant l’autre. Autant dire qu’il est plus que tentant pour les touristes que nous sommes d’aller voir de plus près ce sommet mythique. On imagine sans trop de difficultés, la cohue qui doit régner ici, les belles journées d’été. Aujourd’hui, le coin est plutôt désert et en même temps, on est bien loin d’une belle journée estivale. Il fait froid, ultra froid ! La journée est déjà pas mal avancée et nous partons pour un petit repérage rapide de la face pour nous faciliter la tâche du lendemain. Les quelques minutes de marche au pas de course qui nous permettent de gagner le pied de la face Nord ne parviennent même pas à nous réchauffer et c’est frigorifiés que nous scrutons bientôt à la jumelle cette immense paroi. 


Enorme paquebot de rocher clair qui émerge d’un océan de feuillages aux teintes automnales. Splendide ! On parvient à décrypter peu à peu l’itinéraire de la voie choisie. Vire, dièdre, éperon, traversée, cheminée, vire, couloir facile… Les lignes de faiblesses se succèdent mais nos observations sont régulièrement parsemées de quelques obstacles : flaques de neige et stalactites de glace en nombre ! Il semblerait que l’hiver se soit déjà emparé de la face Nord, nous laissant sur le carreau ! 



Déçus, nous abandons là nos ambitieuses observations et nous décidons de nous consoler en parcourant la très classique voie normale. La journée est bien avancée mais il nous reste encore quelques heures de jour. On peut encore imaginer atteindre le sommet aujourd’hui, à condition d’accélérer vraiment le mouvement ! Nous voilà donc partis, emmitouflés comme des esquimaux grimpant vers le haut sous un vent glacial. Graduellement, le chemin se transforme en sentier puis en via ferrata. La terre gelée et les plantes couvertes de givre laissent place à de grandes étendues de neige puis à des flaques de glace. A quatre pattes, en baskets dans la neige béton, on est loin d’avoir la classe des alpinistes slovènes ! En équilibre au dessus de la face Nord, je ne peux m’empêcher de penser à ces belles journées estivales où on doit pouvoir rencontrer toutes sortes de gens : des grands-mères slovènes avec une cane dans une main et un panier de piquenique dans l’autre, des bébés slovènes de trois ou quatre ans, un doudou dans une main et un biberon dans l’autre ! Tout ce joyeux petit monde qui se baladent sur ce sentier du vertige et dans cette via ferrata (sans ligne de vie !)
Pas de doutes les Slovènes sont des solides ! 



Quelques centaines de mètres sous le sommet, nous commençons à un peu trop jouer aux équilibristes soloïstes. Il faut nous résigner, il manque clairement à notre équipement d’alpiniste, crampons et piolet voir même baudrier et bout de corde ! Demi-tour : nous ne serons pas de vrai slovènes sur ce coup là ! 

La descente nous rappelle encore à quel point l’itinéraire est vertigineux et exposé. La zipette est formellement interdite par le comité d’éthique des randonneurs slovènes et pour reprendre la réplique d’un célèbre film « tu ne chantes pas fleurette ! » sur ce sentier.

De retour dans la partie boisée, je passerai, au grand désarroi d’un Bruno surgelé, les dernières heures glaciales du jour, les yeux rivés dans les jumelles à chercher des nounours car pour moi, qui dit « Slovénie » dit évidemment « ours ». Chaque souche d’arbre et chaque tache foncée dans l’herbe fait faire de petits sauts à mon cœur. Je frétille, je m’emballe… pour rien ! Le froid mordant a déjà sûrement poussé les ours à hiberner en cette fin octobre. Pour le Triglav tout comme pour les ours, on reviendra dans les montagnes slovènes en été ! 


Après un peu de tourisme à Ljubljana, il est temps de passer en mode couenne au soleil ! Le bus magique prend la direction du Sud. Un grand coup de frein avant de franchir la frontière croate, on ne peut quitter la Slovénie sans une pause à Osp !

 
Changement radical de style et de climat à Mišja Peč. Imaginez une grande falaise calcaire déversante, un soleil qui cogne très très fort, des voies essentiellement dans le 7 et le 8 et plein de très jeunes grimpeurs de toutes les nationalités accrochés un peu partout. Parmi eux, la même championne que l’on a vu sur de grandes affiches RedBull dans les rues de la capitale slovène, Janja Garnbret ! Voilà, vous y êtes… C’est Mišja Peč ! Quand on s’approche encore d’un peu plus près, on constate que le rocher est si lustré que l’on pourrait se recoiffer en s’y regardant, que faire une adhérence de pied tient du miracle et qu’il fait vraiment surchaud ! Pour une reprise de l’escalade, on aurait pu imaginer plus progressif ! Peu importe, on profite du spectacle offert par ces jeunes mutants. Jamais, je n’aurais imaginé qu’il y ait tant de grimpeurs si forts ! 

Le lendemain, on visite la falaise voisine, Osp. Jolie surprise puisque c’est du crépis adhérant et de belles envolées de 35 à 40 mètres que l’on découvre. Les sensations reviennent peu à peu et une fois de plus, je me dis que décidément, c’est trop bien l’escalade !


Quelques jours plus tard, nous sautons la frontière et nous voici en Croatie ! Nous passerons un peu de temps dans la région de Buzet où du beau caillou nous régalera encore ! Entre deux averses, deux dessins et des popcorns aux truffes, on grimpe de belles voies. 



La pluie nous chasse ensuite vers le sud et nous continuons à visiter l’Istrie. Cette péninsule où l’Italie, la Slovénie et la Croatie se rencontrent. Un jour, nous visitons Pula et son amphithéâtre en pierre et le lendemain nous grimpons justement dans la carrière d’où les romains ont extrait ces tonnes de cailloux blancs pour construire ce monument.




A la visite culturelle, historique et géologique s’ajoute un côté artistique : le cubisme ! Défi beaux-arts validé pour ce coup ci ! Picasso était-il un grimpeur ? 


On s’amuse une journée durant dans cette ancienne carrière désaffectée. Tout y est : dévers et concrétions, dalles lisses comme du marbre parsemées de profonds trous, fissures coupées au couteau, piliers, cheminées, plafonds… Ils sont fous ces romains ! 







Nous longeons ensuite la côte en direction de Rijeka. Le bus magique fait deux stops pour les joyeux grimpeurs qu’il a à son bord : Brseč et Medveja. Tantôt de beaux murs techniques, tantôt de grandes envolées sans fin sur de belles concrétions avec parfois des points douteux, corrodés par l’air marin. Des spots sauvages avec vue sur la mer ou dans les terres… bref il y en a pour tous les goûts ! On adore ! 


Où est Charlie ?!

Nous ressautons dans le bus qui met le cap à l’Est : « Mesdames et messieurs, prochain arrêt : Paklenica, affutez vos chaussons pour la dalle à friction ! » 


Je profite de ce nouvel arrêt pour poursuivre le « défi d’art d’art », après le cubisme place à l’impressionnisme ! Paklenica est un parc national avec un accès payant (étrange pour un accès à l’art et à la nature, non ?). C’est un massif calcaire, rayé par de profondes gorges. Au creux de celles-ci, il y a bien un joli petit ruisseau avec des petits ponts en bois et presque les nénuphars de Monnet mais il y a aussi de grandes parois de rocher gris. Pas de doute, on est impressionnés ! Allez clic-clac, c’est dans la boîte ! 


Mise en bouche, à Debeli Kuk, pour parcourir le célèbre « Big wall speedclimbing », un beau pilier de 200 mètres. Six longueurs que les "speedclimbers" parcourent lors de la compétition, en une vingtaine de minutes à peine !! Impressionant ! Il nous aura déjà fallu plus de vingt minutes pour ramper dans le sévère 6c+ !! 



Nous continuons la visite en nous rendant à Anica Kuk pour grimper une autre très grande classique Plakeniquienne: Bears on toast. Cent vingt mètres, quatre longueurs à peine et une qui vaut à elle seule le grand détour ! 


Des cannelures géantes ouvrent le bal avant de s’évaser à vue d’œil pour finalement devenir presque inexistantes. On se retrouve ensuite sur une dalle certes un peu couchée mais toute lisse et parsemée de quelques spits à peine ! Nous voici comme deux ours sur une biscotte qui risqueraient de la réduire en miettes au moindre mouvement ! Le genre d'escalade où tu te retrouves scotché sur place, où tu peux pourtant lever les mains en l'air et en même temps ne pas être capable d'avancer d'un centimètre !!


Il y a quand même des ours plus délicats que d’autres et Bruno parvient après une belle bataille à enchaîner la longueur en évitant ainsi un vol long courrier vers le bas ! Chapeau ! 



Klin n’aura pas eu le temps de sécher avant la perturbation suivante et nous quittons Paklenica en nous disant que là encore, il nous faudra revenir ! 

Le bus reprend sa route vers l’Est, fait quelques pauses pour regarder la pluie tomber puis il continue encore...





Ruines et façades impactées de traces de balles, chant du muezzin et mosquées, églises catholiques ou orthodoxes qui se côtoient, plaqueminiers, grenadiers… Nous voici en Bosnie ! 




Encore un pays des Balkans où le calcaire semble être roi, paradis du grimpeur et du spéléo ! C’est la mort dans l’âme que mon grotteux d’amoureux a laissé tout le matériel de spéléo à la maison. Je souris en le voyant frémir à chaque panneau routier indiquant une cavité à visiter ou à la vue de chaque soupçon de creux entre deux cailloux !! Je me moque mais que ferais-je sans chaussons et sans sac à pof plantée devant ces falaises de rêves ?! 


A ce sujet, d’une pierre deux coups, ce que nous découvrons à Blagaj fait son effet sur le spéléo et la grimpeuse ! Nous découvrons une immense falaise d’où s’échappe un débit d’eau hallucinant. Une résurgence incroyable, d’où sort un véritable fleuve qui inonde toutes les terrasses des bars et restau alentours. C’est un peu intrigués que nous regardons chaises et tables flotter sans que cela ne semble inquiéter personne !! 


Un peu de grimpe et une dégustation de jus de grenade occupent le restant de notre journée. Le développement de la grimpe, ici, n’en est qu’à ses balbutiements… Evidemment, le potentiel est énorme et la Bosnie ne tardera pas à devenir un de ces spots où les grimpeurs se retrouvent en nombre au printemps ou à l’automne. Durant ce trip dans les Balkans, nous nous ferons régulièrement cette même remarque en terme de développement de l’activité et d’affluence. Nous profitons d’autant plus de la tranquillité quand on sait qu’au même moment les falaises de Léonidio sont saturées ! 



A Mostar puis à Sarajevo nous sommes vraiment confrontés aux traces encore très présentes de la guerre de Yougoslavie. Géographiquement, loin de nous mais finalement pas tant et à la fois si proche dans le temps. On découvre que rares sont les bâtiments sans trace d’impacts sur les façades. On observe de nombreux bâtiments détruits et des ruines encore relativement nombreuses en plein centre-ville, sans parler des coins à ne pas fréquenter pour cause de présence de mines et des cimetières à rallonge… On repart de Sarajevo avec le ventre plein de bureks (miam !), une nouvelle palette d’aquarelle aux jolies couleurs en poche et des images de cette sombre période plein la tête… 





C’est par le chemin des écoliers que nous quittons la Bosnie pour rejoindre le Montenegro. Une mini route parfois en terre et qui emprunte des ponts en bois nous conduit dans la nuit noire à un poste frontière complètement paumé. Nous faisons un peu distraction dans le quotidien de la douanière qui est en admiration devant tant de tampons sur nos passeports. Japon ? Russie ? Wouah… Elle appelle même son collègue pour lui montrer le catalogue « Costa Croisière » que doit représenter nos passeports pour elle ! 
Nous traversons tout le nord du pays en découvrant de beaux paysages. On se croirait presque en Russie ou en Scandinavie. 

Le bus bleu fera ensuite une belle halte au Montenegro. Rester plusieurs jours à la même falaise, ce n’est pas courant pour nous et pourtant ça arrive ! Heureusement qu’on a pris ce temps car il aura fallut au moins deux jours pour que Bruno et Etienne, que nous rencontrons sur place, se reconnaissent !! Et oui, les deux asticots avaient passé, jadis, du temps ensemble dans des contrées plus australes mais leurs mémoires semblent filer comme le vent de Patagonie !



A Smokovac, on profite des conseils des grimpeurs locaux de Podgorica et des équipeurs locaux des Vigneaux ! Etienne et Flo nous baladent d’une voie à l’autre, nous conseillent, nous encouragent et nous offrent la primeur de parcourir des belles voies toutes neuves équipées par leurs plus grands soins ! 



La barre offre de très belles longueurs où le rocher semble avoir été créé pour y grimper dessus. Il y a tout ce qu’il faut, là où il faut ! On passe vraiment du bon temps sur cette falaise et on oublierait presque que l’on est à deux pas de la capitale et que juste en dessous il y a une grande route plein de trafic ainsi que des chinois qui construisent une autoroute !!! Après une visite improvisée à la salle d’escalade locale, style années 80, on est cette fois convaincu que si Sergian est si fort ce n’est sûrement pas grâce à un entrainement en SAE ! Continuons à grimper 100% falaise alors ! 


Petit cours sur le facteur de chute...


La pluie nous chasse une nouvelle fois vers le sud et c’est sous d’énormes orages que nous traversons toute l’Albanie. On fait bien quelques crochets pour aller voir le rocher albanais mais les colos semblent parties pour résurger un bon moment ! Lorsque la pluie se calme enfin, nous sommes à la frontière grecque ! 

Montagnes enneigées, panneaux mettant en garde contre la traversée d’ours sur l’autoroute, écriture à laquelle on ne comprend plus rien et bientôt de belles tours de conglomérat en vue ! A présent il n’est plus question de « Dober dan » pour se saluer mais d’ « Efcharisto ». 



On se dégourdit les pattes sur le caillou humide et sous le ciel menaçant des Météores. Quel plaisir de retrouver ce magnifique coin, d’autant plus magique avec ces couleurs automnales. Des galets, de la mousse et un seul point dans une longueur de 30 mètres. Pas de doute, ici rien n’a changé ! On profite de ce petit créneau de 2h sans goutte pour s’offrir une grande voie, en mode express, suivi d’un tour du massif pour que Bruno découvre un peu le quartier. 





Vroum vroum… L’autobus reprend sa tournée.
Prochain arrêt, Manikia… Manikia… Une semaine d’arrêt… 

Manikia est un petit village situé sur une presqu’île très vallonnée, non loin d’Athènes. Imaginez Siurana il y 30 ans. Un village tranquille, peuplé de gens qui travaillent la terre, entouré de belles falaises et pas un chat qui y grimperait dessus. Il y a des chances que Manikia devienne très vite aussi populaire que Siurana, Margalef ou encore plus récemment que Leonidio. Mais pour le moment, pas d’épicerie, pas de gîte, de chambre d’hôte ou de camping, simplement deux bars déserts. Pas de poster de grimpe accroché au mur, pas de grimpeurs célèbres qui boivent des bières, juste un papi et une mamie, une télé et un poêle qui ronronne en ces longues soirées de fin d’automne, réchauffant les nouveaux touristes que nous sommes.




Manikia, c’est tout plein de secteurs répartis sur différentes barres et plus concentrées encore de part et d’autre d’un profond canyon. Caillou neuf, superbes lignes et moins d’une dizaine de grimpeurs croisés en une semaine… Le rêve ! On grimpe, on grimpe et on grimpe ! C’est qu’on deviendrait presque de vrais falaisistes ! C’est tellement chouette qu’on veut tout essayer (enfin surtout moi !).
On rencontre Karin et Moritz qui non seulement sont de très chouettes compagnons de grimpe (et d'apéro !)  mais nous offrent aussi de jolies photos. Merci !




On prend quand même une journée de "vacances" pour tenter d’aller porter secours à deux chevreaux coincés dans des jardins suspendus et qu’on entend bêler désespérément depuis deux longues journées. Bartassage, solo organisé, bûcheronnage et construction d’un échafaudage pour inventer une issue à cette souricière. Sauvetage à demi raté puisque le lendemain il semblerait que les deux riquiquis soient toujours dans la même situation. On en parlera bien de notre problème aux gens du village, mais eux, ne semblent penser qu’aux deux petits chevreaux… à la broche ! 



Tut tut ! C’est reparti. Les jours passent et c’est trop triste mais la fin des vacances approche… 
Avec un peu d’élan, on saute le canal de Corinthe pour rejoindre Patras. Là encore, le caillou dégoulinant témoigne des belles saucées tombées ces derniers jours. 
Entre les flaques verticales et malgré un départ plus que tardif, on gravit les 600 mètres de paroi de Varasova pour admirer le Péloponèse vu d’en haut. On sort de ce « Travel of argonautes » pile à l’heure pour admirer notre dernier coucher de soleil grec ! Evidemment 600 mètres de dénivelé à descendre c’est long surtout quand il fait nuit noire et que le chemin n’est pas tellement marqué. Cela nous apprendra à commencer à grimper une voie de 18 longueurs à 14h au mois de décembre ! On finit par rejoindre notre maison à roulette. Et ce coup-ci, c’est fini… 


Terminus au port de Patras. On saute dans le camion qui saute dans le ferry qui vogue vers l’Italie ! Qu’il était chouette cet automne… 
Ciao les Balkans, on reviendra !