samedi 23 janvier 2021

Glace pimentée mais "Not hot Chili" !

Un froid mordant associé à des glaçons qui poussent un peu partout dans l’hémisphère nord ces jours-ci, me fait penser à d'étranges cascades que nous avions découvertes en plein mois de juillet, dans l’hémisphère sud, il y a quelques temps ! "Not hot Chili", pourtant de la grimpe plutôt pimentée !

Je vous explique !


Fin juillet 2019, au plus fort de l’été, nous partons affronter l’hiver austral ! Au beau milieu de ma saison estivale d'aspirant guide et juste avant le stage final clôturant la formation, je m'envole, en compagnie de Bruno et de Yann vers la Cordillère des Andes : direction Chili !… Dans nos bagages des très très grosses doudounes (ce voyage a pour autre mission de tester des prototypes de doudounes de la célèbre marque Pyrénéenne Pyrenex), des crampons et des piolets afin d’affronter de très basses températures et de jouer sur l’eau gelée qui dégouline des hauts sommets. 


Depuis Santiago, nous filons en quelques heures vers le Cajon de Maïpo où différents sommets culminent à plus de 6000 mètres. Nous avons jeté notre dévolu sur l’un d’entre eux. Le 6000 le plus austral du monde : le volcan Marmolejo, 6108m.
Quelques jours sont nécessaires pour parfaire les derniers préparatifs. On en profite pour engloutir quelques empanadas avant de se jeter dans la gueule du Marmolejo ! 

Transition thermique, nous passons de l'été à l'hiver...




Skis aux pieds, il nous faudra deux jours de marche pour rejoindre la base de la montagne. Nous partons pour une semaine en autonomie, avec pas mal de nourriture, de quoi bivouaquer par -30 degrès et le nécessaire pour grimper sur des cascades gelées. Les sacs sont bien lourds et nous tirons une pulka avec tout le chargement ne rentrant pas dans nos sacs à dos. 



Un grand plat et des ruisseaux à traverser, suivis d'une longue vallée à remonter nous attendent. Peu à peu la face Ouest se dévoile : rocher rouge, noir, blanc, gris et parfois même orangé parsemé de quelques lignes de glace bleutée. C’est juste magnifique !




Nous installons ce qui sera notre maison pour les sept prochains jours : un camp de base sur un îlot de terre et d’herbe au milieu d’un océan de neige à 3800 mètres d'altitude. Étonnant ? Pas tant... Des sources d’eau chaude coulent à proximité et font donc fondre la neige. Vingt degrés, ce n’est pas suffisant pour y barboter paisiblement mais cela permet néanmoins d’avoir de l’eau liquide pour boire et pour cuisiner (même si cela n’a pas toujours très bon goût !) sans avoir à faire fondre de la neige durant des heures sur un réchaud. Une quantité non négligeable de temps et de carburant économisée !





Sitôt installés et un peu impatients de nous attaquer à des choses plus sérieuses, nous scrutons l'immense face au dessus de nous. Les jumelles tournent entre nos six mains... Nous repérons rapidement quelques lignes en glace bleue sur la gauche de la face. Nous avons, avant le départ, glané quelques infos par ci, par là. Ces lignes là, logiquement, y apparaissaient... 


Ce qui nous a aussi conduit sur les flancs du Marmolejo aujourd'hui, ce sont des souvenirs de photos aperçues dans un magazine, il y a des années, où un certain Harry Berger grimpait pendu au plafond d'un immense toit de glace grise... Une ligne surprenante qu'il nommera "Senda real" avant de malheureusement disparaître quelques mois plus tard dans les Alpes... 


Ce toit semblant être formé d'une sorte de glace fossile sera-t-il toujours là, presque 20 ans plus tard ou aura-t-il subi les attaques du réchauffement climatique ? Toujours est-il que nous l'imaginons situé beaucoup plus haut et plutôt loalisé sur le flanc Sud-Ouest de la montagne, invisble d'où nous nous trouvons... 
Alors que nous émettons déjà quelques hypothèses sur le programme de la journée du lendemain, le soleil continue sa course quotidienne... Bientôt ses faibles rayons de fin de journée d'hiver éclairent quelques minutes la face. Deux surprises de taille se dévoilent alors. Deux grandes cascades de glace sortent de l’ombre. Une surprise en cachant une autre, la glace qui les compose a une couleur pour le moins atypique : blanc, gris foncé, gris clair et parfois presque noir… Voilà pourquoi nous n’avions pas pu les apercevoir lorsqu’elles n’étaient pas éclairées par le soleil ! Là encore, il pourrait s'agir de glace fossile où les cendres du volcan se seraient mêlées à la glace, lors de sa formation. 


Le programme du lendemain est alors tout trouvé et celui du jour d'après aussi d'ailleurs !!





Deux journées incroyables nous attendent. Même scénario ou presque pour les deux jours. Une approche dans des couloirs de neige raides à la frontale, suivie de quelques longueurs de glace bleue plutôt classique à un détail près, nous sommes à 4000m d'altitude en plein hiver : la glace ultra dure garantie ! 
Il fait si froid que ces grands pans de glace sont rayés de toutes parts par des fissures, pour autant rien d'inquiétant si ce n'est de devoir taper une dizaine de fois au même endroit avant de parvenir à ancrer le piolet !
Ces longueurs là me sont à chaque coup réservées. Les garçons, eux, se chamaillent pour se partager les longueurs en glace noire au dessus. 
"On se calme, il y en aura pour tout le monde !!! Et laissez m'en aussi !!"





Finalement après quelques mètres d'escalade, je découvre une très bonne alternative Mieux que faire le marteau piqueur avec chacun de mes piolets, je vise les multiples fissures et je plante les lames dans ces lignes de faiblesse. Bingo ! ...ça fonctionne et mes petits bras s'en trouvent soulagés !




Après quelques ressauts en glace entrecoupés de pentes de neige et après avoir traversé je ne sais combien de sortes de strates de rocher différents, nous voici au pied de grandes coulées grises qui dégoulinent du plateau sommital en frôlant souvent "l'eau delà de la verticale".  
Si la glace paraît plus que compacte, le rocher, quant à lui, semble être de qualité douteuse un peu partout ! On préfèrera les broches aux friends, c'est certain !







Méduses, toits, grottes, dévers et même murs lisses très très raides à trous... de surprises en surprises, nous prenons de la hauteur dans cette incroyable architecture glacée. Chaque longueur est une découverte tant par son profil étonnant que par la qualité de la glace qui la compose. Nous sommes maintenant bien au delà des 4000m et bizarrement cette glace noire semble plus tendre que la bleue des premières longueurs. 








Escalade technique et bien physique au rendez vous : ça penche copieusement ! 
Voilà de quoi se réchauffer à coup sûr après les longues minutes d'attente passées au relais. Le mercure est plutôt bas, les grosses doudounes font le job, les phantoms 6000 et les grosses moufles aussi !


Chacune de ces deux lignes nous aura offert une grande escalade originale. Il aura fallu improviser un cheminement, à la montée, pour profiter de tous ces glaçons suspendus dans cette immense face, et avoir du nez à la descente, pour chaque fois rejoindre efficacement la tente avant la nuit... 








Des cascades couleur "milk shake Oréos", de quelques centaines de mètres de haut, situées entre 4000 et 5000 mètres d’altitude, raides voir même parfois carrément renversantes, une méteo froide mais clémente, du bon matos... Que demander de plus ?
Ah si ! Deux cerises sur ce beau gâteau ! Aucune trace de passage avant le nôtre, ni sur place, ni sur le papier, ni même dans la mémoire des alpinistes locaux du Cajon de Maïpo ! Deux chouettes ouvertures donc !




On nommera l’une d’elles, « couleur café », une chanson qui réchauffe les garçons rien que d'y penser ! ... Ils auraient pu aussi songer à "50 nuances de gris", mais on y a échappé !
Pour la seconde cascade, ce sera un clin d’œil à notre Pyrénéiste préféré, Louis Audoubert et un gros coup de cœur pour la doudoune Pyrenex qui nous aura gardés au chaud malgré des températures polaires durant ces deux ascensions, la veste « Audoubert ». Cette ligne s’appellera donc « Fashion Luis » !