jeudi 6 avril 2017

Chapeau l'artiste !

C'est un après-midi du mois de décembre, je marche dans les rues de Foix.
Aujourd'hui, j'ai rendez-vous avec un grand Monsieur ! 

Doudoune Pyrenex, casquette noire en feutre, Louis Audoubert m'attend sur le trottoir devant ce café où nous avions fixé notre rendez-vous quelques jours plus tôt...
Immobile, il cherche autour de lui du regard puis m'aperçoit, aussitôt son visage s'illumine d'un grand sourire. On ne se connaît pas vraiment mais on se reconnaît tout de suite...


Notre première rencontre date d'il y a quelques semaines à peine. Nous nous sommes très rapidement croisés lors d'une de ses très rares conférences près de Toulouse. Nous avions alors échangé deux mots autour d'une affiche, une grande photographie de l'Arête de Peuterey, dédicacée de sa main avec ses quelques mots :

"Pour Lara, 1972-2012, 40 ans après sur cette même arête !"

Je n'avais alors eu le temps ni de lui exprimer mon admiration pour ses ascensions et ses ouvertures, ni de le féliciter pour ces films de 16mm et toutes ces diapos que nous venions de visionner, ni de le remercier pour ce bon moment rempli d'humour et de bonne humeur que nous venions tous de passer en l'écoutant nous conter quelques unes de ses aventures... Dommage j'aurais bien aimé...

Je me dis, aujourd'hui, que ce désir était probablement un peu réciproque puisque le lendemain matin, Louis prenait le temps de m'écrire me disant qu'il aurait beaucoup aimé discuter avec moi la veille et m'écouter lui conter mon "Intégrale"...
Je souris en me disant que c'est un peu le monde à l'envers !

Comment avait-il pu trouver si rapidement mon adresse mail en ne disposant que d'un simple prénom inscrit sur une affiche ? On avait échangé quelques secondes à peine, au milieu du brouhaha, dans un hall d'entrée, à la fin de la conférence. 
Tout cela m'étonne un peu de la part d'un homme qui pourrait avoir l'âge de mon grand-père et à la fois, cependant cela me conforte dans l'idée que je me suis faite de lui en l'écoutant. L'âge ne change rien à l'affaire. Il m'avait déjà démontré cette vivacité et ouverture d'esprit par ses anecdotes et récits tellement vivants et bourrés d'humour.

Le courant était donc visiblement passé dans les deux sens. Je crois que j'étais aussi contente et surprise d'avoir reçu un mail de ce célèbre alpiniste de 82 ans que si un pigeon voyageur m'avait amené un parchemin écrit de la main de Kilian Jornet !

C'est autour d'un cidre et d'un chocolat chaud que nous avons passé quelques heures ensemble : à parler, à rigoler de telle ou telle histoire, à regarder des photos et des films, à s'écouter simplement...
Bien sûr, j'avais déjà lu son livre "Fantastique Intégrale" dès mon retour de ce fabuleux voyage dans le Massif du Mont Blanc en 2012, mais entendre cette aventure m'être contée de vive voix : c'est tout autre chose ! La première ascension française puis la première hivernale, l'association avec les frères Squinobal, les rappels de la Noire "à l'épaule", la perte des crampons, les confits de canard... Le style Pyrénéen : manger pour avancer ! 
L'occasion aussi de se questionner sur telle ou telle chose comme  par exemple la présence de Craveri, ce petit refuge comme un demi bidon perché entre la Blanche et les Dames Anglaises... "Je cherche Louis ! Je cherche !"

C'est aussi un plaisir de l'écouter me raconter le Pérou, les Alpes, les Pyrénées, de l'entendre parler de tous ces jeunes qu'il a initiés à la montagne, de tous ces gens qu'il a baladés partout, des Canyons de la Sierra de Guara au sommets du monde entier... Je découvre alors "Le plus grand guide sans médaille des Pyrénées" !

Tu me parles aussi de prises "de doigts et d'ongles" intenables alors que je parle de "croûtes" à serrer. Tu évoques les coins et les pitons et moi, les coinceurs, les friends et les microfriends. Nous nous amusons aussi à comparer le "Nose" d'aujourd'hui et le "Nose" d'autrefois : les gros camalots, les sacs de hissage, les portaledges et la surfréquentation... Assurément, nous ne sommes pas de la même génération de grimpeurs. Plus de cinquante ans nous séparent et pourtant ! Nos yeux brillent et nos visages s'illuminent de la même manière lorsque l'on évoque ces ascensions !
Serait-ce cela la magie d'une passion commune ?


Il y a quelques jours à peine, je fêtais l'arrivée du printemps en paroi de Catalogne à Montrebei en grimpant un magnifique dièdre, il paraîtrait qu'on le nommerait "Dièdre Audoubert" du nom de son célèbre ouvreur..

Aller parcourir cette voie me tenait à cœur depuis quelques temps... C'est chose faite !


C'est avec plaisir et non sans émotion que j'ai suivi quelques heures durant les traces de Louis et de Marc Galy qui, d'une pierre deux coups, est à la fois son beau frère et un fidèle compagnon de cordée.
Cheminées étroites ou fissures très larges, le résultat est identique : ce n'est pas une balade de santé ! Je dirais même que c'est parfois assez malcommode et que ça grimpe sacrément !
Coincé au fond de la fissure en "mode limace" qui essaie de monter mais qui glisse désespérément vers le bas, je n'ai cessé de me demander : "Mais comment sont-ils bien passés par là ?! Comment se protéger là dedans ?!? Louis, explique moi !"

J'ai ma réponse : "Tu sais, on ne pouvait pas bien se protéger ; je progressais au début  par coincement et j'ai eu peur de certaines pierres que j'ai envoyées en bas. Pitons et coins étaient notre panacée à l'époque..."

Quel talent ! Chapeau Louis !


Au delà du fait de parcourir une belle voie, escalader ce dièdre a été pour moi l'occasion de me remémorer cette chouette rencontre et ces bons moments passés ensemble en décembre dernier...

Alors merci Louis !
Merci pour l'inspiration, pour les itinéraires tracés et les voies à suivre, merci pour nous, pauvres répétiteurs !
Merci pour ces chouettes moments partagés, pour ton humour et ta sympathie, pour cette leçon de vie... Si seulement je pouvais être comme toi à 80 ans !


Merci aussi pour ce cadeau, ce beau livre "Baltoro" et toutes ses belles montagnes qui ne peuvent être qu'une magnifique invitation au voyage ! Merci enfin pour la plus belle des dédicaces que tu pouvais y ajouter...