samedi 20 mai 2017

Classe de neige au 65° latitude Nord... #Groenland 1


 
« En avril ne te découvres pas d’un fil », j’ajouterais même volontier : « N’oublie pas ta doudoune, ta culotte en laine, tes skis, ta tente, ta pulka, tes lyoph’ et ton fusil ! »

Il y a quelques semaines à peine, je me demandais pourquoi aller chercher la neige et des températures négatives alors qu’ici les arbres étaient déjà tout couverts de fleurs et que la gomme des chaussons d’escalade ne demandait qu’à fumer sur le rocher !

Je n’aurais, sans doute, jamais imaginé sauter dans un avion avec une paire de ski dans mes bagages, c’est désormais chose faite !

Comme quoi, tout arrive à qui est disposé à se laisser surprendre !



Flo et moi, les surprises, nous, on adore ça! Et s’il s’agit d’essayer de faire des activités auxquelles on n’y connait rien, on trouve ça d’autant plus rigolo !

Ce qui est le plus drôle encore, c’est que nous avons dépensé quasiment deux mois de salaire en achetant un billet d’avion pour se rendre dans une ville où il n’y a ni hôtel 5 étoiles, ni restaurant, ni cinéma, ni même magasin Chanel (je vous rassure, il y a quand même un téléski !). Sans compter que l’on nous avait parlé de Greenland et je suis un peu déçue : ce n’est pas si vert que ça !

C’est donc avec plus une couronne danoise en poche que nous attaquons notre classe de neige au Groenland, aussi nous prenons l’option camping et comme faire une balade en chien de traîneau ça coûte beaucoup trop cher, on fera du ski et on tirera nous-même le traîneau !


21 avril 2017,
Voilà des heures, des jours même, que mes spatules se soulèvent alternativement au même rythme, essayant de tracer un chemin dans ce désert blanc… De la neige fraîche, immaculée à perte de vue, des sommets rocheux servent de barrière à droite comme à gauche, lacs et fjords patientent encore quelques semaines avant que le dégel ne libère leurs eaux. Aucune marque de présence humaine, pas une habitation, pas une trace de pas, de ski ni même de traîneau ou de motoneige, seules quelques empreintes d’un renard solitaire et un phoque qui plonge à notre approche nous rappellent qu’il y a bien de la vie ici. Nous nous sentons tellement seules... Seules dans le grand blanc, seules à faire notre propre trace, seules à chercher notre chemin, seules à monter et démonter notre tente chaque jour, seules à tirer notre pulka, seules avec notre fusil et la peur de l’ours polaire… Nous commençons à apprivoiser ce sentiment de solitude et cet isolement nous plait !


 

Après quelques journées tempétueuses, à présent, le soleil brille. Nous enlevons une à une les multiples épaisseurs de vêtements. Etonnants écarts de température grâce auxquels il est possible d’avoir froid, de crever de chaud, de transpirer puis enfin de se cailler dix fois dans la même journée !

Je sens les bretelles du sac faire pression sur mes épaules, je sens aussi sur mes hanches les marques du cisaillement de la ceinture nous permettant de traîner notre pulka, je sens mes pieds qui ne semblent pas apprécier ces interminables plats et toutes ces descentes sans que nous n’ayons pris la peine d’enlever nos peaux de phoque ou de retirer les cales de montées de nos fixations…

Ces quelques douleurs, nos joues rosies par le froid, nos nez grillés par le soleil et nos pantalons devenus subitement trop grands sont autant d’indices attestant que nos corps ont déjà quelque peu subi l’aventure !
 

 
Nos esprits, quant à eux, divaguent... Durant des heures, nous avançons et parlons peu mais dès qu'il s’agit de faire une pause, nous ne nous arrêtons plus de piailler comme pour rattraper toutes ces minutes de silence, nous éclatons de rire pour un rien et le débit de bêtises est bien meilleur que le rendement pour tirer la pulka !

 
 

Je découvre les joies d’une activité qui laisse enfin le temps de penser. Pas de réfléchir, non, simplement de penser… Prendre enfin le temps de ne penser à rien, ça aussi c’est bien ! Qu’il est agréable de laisser son esprit se balader en liberté comme est justement en train de le faire mon corps au beau milieu de ces paysages grandioses ! Mes pensées vont par ci, par là, se promènent !

Je pense à tout ce chemin parcouru, à toutes ces découvertes faites les jours précédents, à tout ce qui nous attend, à tout ce que nous vivons ici et à tout ce qui doit se passer ailleurs…

Je pense à Apoutsiak et à Paul Emile Victor, je pense à mon papa qui rêve de banquise, de chiens de traîneau, d’ours blanc et de villages inuits. Je pense à tous ces rêves qu’il faut vivre et à ceux qu’il faut construire, je pense à mon amoureux, je pense à la vie ! Je pense à l’Odyssée de l’Endurance et à cette incroyable histoire de survie que je retrouverai ce soir au fil des pages quand je serai (ENFIN !!) au chaud dans mon duvet…



ENFIN… puisque avant cela il aura fallu : marcher toute la journée, tirer la pulka, trouver un coin pour bivouaquer, tasser la neige, déficeler le chargement de la pulka, vider les sacs, monter la tente, l’amarrer avec piolets/pelles/sondes/corps morts en sacs poubelle…, gonfler les matelas et installer les duvets, faire fondre de la neige, boire, faire fondre à nouveau de la neige, manger, faire encore fondre de la neige et remplir la bouteille thermos, mettre les gants et les enlever cent fois puis,tendre avec skis et bâtons, la clôture en fil de pêche et le boîtier sonore devant nous avertir de la proximité trop grande d’un ours faisant une balade nocturne !


 

Et quand tout cela est accompli (et juste avant que le réveil ne sonne pour attaquer une nouvelle journée) alors nous pouvons finalement sauter dans nos sacs de couchage !

Sacs de couchage dans lesquels nous ne sommes, d’ailleurs, pas vraiment seules. Il y a aussi : les chaussons de nos chaussures de ski, nos chaussettes et nos gants humides, nos peaux de phoque qui essaient de sécher ; nos appareils photo, nos téléphones et nos arvas pour garder les batteries au chaud ; une gourde remplie d’eau chaude faisant office de bouillotte ; les pantalons de ski et les doudounes… C’est tout juste s’il reste un peu de place pour nous !
A côté de moi, Flo en mode « marmotte ». Il y en a au moins une que cela ne semble pas gêner de se coucher quand il fait encore jour ! Il faut dire que les nuits sont plutôt courtes ces temps-ci, le soleil se couchant à 22h passé pour se relever dès 4h… Quel insomniaque celui-ci ! Au moins, on n’use pas les piles de nos frontales et puis de toutes façons dans notre tente jaune, il fait toujours soleil même les jours de tempête de neige !


 

Le fusil quant à lui a été sorti de l’étui, est ouvert prêt à être chargé, les cartouches sont elles aussi à proximité. Cependant, je ne sais pas si le placer à côté d’une marmotte en hibernation soit le choix le plus judicieux !

Quoique, avec un peu d’imagination…
 « - Eh Lara, tu dors ?! Tu entends ce bruit ? On dirait qu’il y a quelque chose à côté…Tu crois qu’on doit allumer les frontales ? Tu crois qu’on doit bouger, qu’on doit faire du bruit ?!
 - Euh Flo… A mon avis, c’est juste le vent sur la tente qui fait ce bruit ! »

Le lendemain matin, pas la moindre trace autour de notre tente. Nous sommes mortes de rire !
La deuxième fausse alerte est encore plus ridicule : il me semble entendre des bruits sourds et réguliers de pas dans la neige avant de me rendre compte qu’il s’agit simplement du battement de mon cœur qui résonne dans le duvet !

Deux nouilles au Groenland, je vous dis ! 


 
 

 Toujours est-il que nous n’avons pas croisé d’ours et que ce n’est peut être pas si mal ! De toute façon, il n’y a pas grand chose à craindre : il n’y a pas tellement d’ours par ici, il n’y en a que 500 !

Plus sérieusement, il est assez difficile de savoir s’il faut être effrayé ou non par une rencontre puisqu’il semblerait tout ours aperçu soit ensuite rapidement abattu…



 C’est avec, quand même, tout plein de conseils en poche pour ne pas se faire croquer par l’ours (ne pas bivouaquer trop près des fjords, faire des tours de garde la nuit, paraître plus volumineux en secouant la toile de tente, crier, cartouches de couleur pour tirer en l’air, cartouches blanches pour tirer sur l’ours, viser bas, mettre une clôture autour de la tente la nuit…) que nous avons quitté Tasiilaq, skis aux pieds, il y a une dizaine de jours déjà !
 
 
 
 
 
 

Tasiilaq est une petite ville aux maisons de bois colorées perchée sur les rives d’un grand bras de mer, située dans la région d’Ammasaalik. 2000 habitants en font d’elle la plus grande ville de la côte Est et la 7ème ville du Groenland. Le port et les bateaux étant encore pris dans les glaces c’est par les airs que nous arrivons ici. Des rotations en hélico depuis le minuscule aéroport de Kulusuk assurent quelques liaisons chaque semaine. Autant dire que nous ne sommes pas prête d’oublier ce moment incroyable : découvrir le Groenland en survolant sommets, fjords, banquise et icebergs, c’était simplement magique !

 
 
C’est donc excitées « comme deux gitanes au salon de la caravane » (dixit Sylvain ! ) que nous descendons du petit hélico rouge d’Air Greenland. 
 


Nous retrouvons rapidement Boris, un cévenol avec qui nous avons sympathisé autour d’un buffet à volonté (le ton était donné ! ) dans un hôtel à Reykjavik, où Islandair nous a logé lors d’une escale prolongée par une météo capricieuse quelques jours plus tôt.



Boris, accompagné de Sébastien, le voileuX et aventurier cherchant « La voie du Pôle » et de Max, un marseillais, groenlandais d’adoption, à la fois directeur d’école et chasseur de phoques, ont pour projet de tenter l’ascension du Mont Forel.



Le Mt Forel, c’est 3383m d’altitude, quelques centaines de kilomètres d’approche sur l’inlandsis avec 18 chiens, deux traîneaux, des centaines de kilos de chargement ! Voilà une aventure qui promet d’être belle et qui devrait les occuper plus ou moins un mois. Le projet nous remplit aussitôt les yeux d’étoiles et nous regrettons déjà que notre séjour soit trop court pour pouvoir les accompagner. Nous regrettons déjà beaucoup moins, lorsque nous les observerons les jours suivants, préparer ce qui sera une des bases de leur alimentation durant toute l’expé : « le pemmican ». Sorte de pâté confectionné avec de la viande de phoque séchée et de la graisse animale. Le pemmican fut fréquemment utilisé lors des nombreuses expés polaires étant donné qu’il pouvait se conserver des dizaines d’années. Moi, je suis complètement fan car dans mon livre de chevet, Shackleton et ses copains ont aussi emmené du pemmican… pour nourrir les chiens !

 

Aller comprendre pourquoi, malgré nos comportements de petites boulimiques au cours du buffet à l’hôtel Islandais, malgré notre excitation irraisonnée, nos pouffés de rire et malgré nos sacs gros comme des igloos, nous n’avons même pas réussis à effrayer ces aventuriers là ! Aussi, nous quittons rapidement Tasiilaq en compagnie de Boris, Seb et de 8 chiens pour prendre la direction de Tiniteqilaaq, petit village peuplé par une centaine d’inuits où Max vit depuis des années. Tinit sera le lieu des derniers préparatifs et le point de départ de l’expé du Mt Forel ! 



Nous alternons ski à la montée, ski tracté par le traîneau sur le plat et parfois nous grimpons même à bord ! Autant dire qu’encore une fois, nous sommes excitées comme des puces ! Sur les patins du traîneau dans le rôle du « musher », je regarde Granita, Naga, Sanglier, Tolstoï, Bipper et tous les autres trotter et tirer avec entrain. Je sens le froid qui tombe et me fige le visage pendant que le paysage s’enveloppe de couleurs incroyables, je croise aussi le regard de Flo qui semble elle aussi ravie. Juste avant la nuit, nous rencontrons quelques petites cabanes, l’une d’elles est ouverte et sera notre abri pour la nuit. Le traîneau est déchargé, les chiens dételés et bientôt les réchauds ronflent.



  

J’ai du mal à imaginer qu’il y a quelques heures à peine nous étions au milieu d’une foule de gens bien habillés dans un aéroport surchauffé : ce début de voyage est simplement magique !

 
 
  
Le lendemain, nous poursuivons notre chemin en direction de Tinit, ça grimpe sacrément et nous marchons, tantôt devant les chiens en essayant de les motiver, tantôt nous poussons le traîneau pour tenter de les aider un peu. Bientôt la première vraie descente et en vue, nous ôtons les peaux et enchaînons quelques beaux virages. En bas, nous nous regardons une peu surprises : « Eh ben, c’est trop bien le ski en fait !! ».

 

Après avoir pris pied sur un grand glacier, nous choisissons de monter le camp pendant que Seb, Boris et les chiens continuent leur route pour Tinit.
Un pique-nique au poisson séché (récupéré sur le bord du chemin !), de bons fous rire, un fartage de ski au caca de chien nourri au phoque et un arceau de tente cassé puis réparé plus tard nous partons nous balader sur le glacier au dessus du campement. On vise un sommet que l’on n’atteindra… jamais !



Première constatation : ici, on a du mal à apprécier les distances ! Rien n’a l’air loin et pourtant ! Rien à l’horizon pour nous donner le moindre repère : pas une maison, pas une trace, pas un arbre, pas un être vivant… ah si, peut être un ours ou deux mais blanc sur blanc, franchement, ce n’est pas malin ! Le moindre plat, le moindre fjord à traverser mesure des kilomètres…



On a vraiment l’impression de ne pas d’avancer, seule consolation lorsque l’on se retourne, notre tente n’est plus qu’un minuscule petit point au milieu d’une vaste étendue blanche ! C’est bizarre… Pourtant, nous, on trouvait ça super chouette une carte au 1/250 000 ! Léger, pas encombrant, pas surchargé de détails et plutôt optimiste !



Nous qui voulions faire tout le tour de l’île… On est bien embêtées ! Plutôt que de revoir nos plans, nous appelons grâce au téléphone satellite (que nous n’avons pas !), l’éducation nationale pour obtenir de toute urgence une rallonge à nos vacances !

 
 
 
A suivre...