dimanche 31 mars 2019

Acte IV : le Hielo en cadeau #Viento de locura (5)

 

Acte IV : Le Hielo en cadeau
Scène 1 : Marcher encore…


24/27-12-18 : N'importe qui vous dira que, dans le Massif du Fitz Roy, avant de grimper, il faut commencer par marcher. Les approches sont longues et parfois pénibles. Des jolis chemins tout plats en sous bois, aux rivières à traverser en passant par des moraines en décomposition où il faut serpenter dans des milliers de blocs croulants avec des 38 tonnes en suspension au dessus de la tête. Est-ce cela que l'on appelle de la randonnée pédestre engagée ?

 

 
Parfois, on marche bien plus que ce que l'on grimpe. Il ne semble pas exceptionnel que des vacances à l'origine, orientées grimpe et alpinisme se transforment davantage en "vacances trekking"..., cependant avec tout le matériel pour gravir le Cerro Torre sur le dos. Les sacs sont rarement légers et même lorsqu'on veut partir light, ces derniers sont lourds !! Ah le fast & light…





Que l'on ait « buté » ou réussi, les heures de marche pour rentrer au village se feront légères ou plombées. Quant à l'entrée à Chalten, elle sera triomphante ou pesante... Le jeu consiste donc à minimiser le poids à transporter et à rentabiliser chaque déplacement. Le grimpeur va rarement faire de la randonnée les jours de repos... Tout cela n'explique en rien pourquoi lorsqu'en fin de voyage, une petite fenêtre météo se dessine, nous décidons d'aller randonner.



La neige tombée ces derniers jours nous fait perdre tout espoir de grimper, pourtant une belle journée sans vent est annoncée pour le 25 décembre : C’est cadeau ! Dans notre hotte, de quoi bivouaquer, de la nourriture, des raquettes et quelques petits cadeaux… 












Trois jours de balade autour du Fitz Roy : du Paso Marconi, au Paso del Viento en passant par le pied de la face Ouest du Cerro Torre et le Circo de los Altares, du Lago Electrico à la Laguna de los 14 en passant par la Laguna Toro.








 

 

 





C’est heureuses comme des gitanes au salon de la caravane que nous fêtons Noël au beau milieu du Hielo Continental. Personne à l’horizon : le rêve !

 
A suivre...

mardi 19 mars 2019

Acte III : Noël avant l'heure ! #Viento de locura (4)


Acte III : Noël avant l’heure
Scène 1 : Camping aux Polacos
16-12-18 : Le metteur en scène nous annonce une fenêtre !

On fonce ! De gros sacs sur le dos, nous quittons El Chalten et prenons la direction de la Vallée du Torre.




Une jolie balade minérale de 9h : des pierriers, des moraines en décomposition, des énormes blocs posés en équilibre sur du sable… Dur terrain pour les escargots que nous sommes. On est tellement affairé à regarder où nous posons nos pieds et à surveiller l’éventuel bloc de la taille d’un camion qui viendrait nous aplatir qu’on remarque à peine qu’autour de nous, tout est blanc ! Il a neigé très bas et le climat s’est considérablement refroidi ces derniers jours. Toutes les faces sont plâtrées de neige, c’est beau mais cela ne laisse rien présager de bon pour grimper…







Quelques arrêts : Laguna Torre, Niponino… puis un terminus : Polacos ! C’est ici que nous laissons notre tente (et Nadia).

Avec Flo, nous continuons notre chemin en direction de la base de la face Ouest de l’Aiguille St Exupéry, notre objectif du lendemain. Une jolie ligne nous y attend : « Chiaro di luna », 25 longueurs, 6b+ max. Repérage de la marche d’approche, construction de cairns, portage et dépôt de matériel. Quand nous sommes de retour au campement, il est l’heure d’aller au lit.

Quelle nuit nous attend ! Cette fois, ce n’est pas dans la station de métro que l’on campe mais carrément sur les rails dans le tunnel aux heures de pointe. Durant des heures, on se fait déglinguer par un vent de folie qui s’engouffre sous le bloc qui nous sert d’abri… On résiste tant bien que mal, plutôt mal que bien pour la tente.
Scène 2 : Les pépètes surgelées
17-12-18 : A la lueur de la frontale, la marche d’approche repérée la veille ressemble à une véritable patinoire. Au lever du jour, nous sommes dans les pentes de neige situées à la base de la paroi.



Les premières longueurs sont couvertes de glace et saupoudrées de neige. Aussi aux chaussons et sac à pof, je préfère grosses, crampons et piolets. Je commence par remonter le large filon noir qui raye la paroi. Le caillou y est mauvais et il est bien difficile de se protéger. Flo et Nadia me suivent en baskets dans la neige et sur la glace : l’accessoiriste n’a pas prévu de crampons pour tout le monde.




La pièce pourrait tourner au comique mais comme nous sommes frigorifiées cela se rapproche davantage du mélodrame. Lorsque nous rejoignons enfin les véritables premières longueurs, le caillou est sec mais glacial. Pourtant, on s’entête. Impossible de grimper sans gants dans celles qui sont les longueurs les plus dures de la voie. Nadia improvise un nouveau style de grimpe : 6b+ fissure à doigts en moufle. Et le pire, c’est qu’elle y arrive ! 




Nous prenons peu à peu de la hauteur mais la progression est laborieuse et nous avons vraiment très très très froid. Ah la grimpe en face Ouest… Flo ne va pas bien du tout. Hypothermie avérée ou non, en tout cas, elle a définitivement perdu son sourire et ne s’exprime plus qu’en gémissant : on passe dans le registre théâtral du drame. Volte-face ! 

 Scène 3 : Les filles sont frileuses, mais têtues.

18-12-18 : La nuit porte conseil et c’est à peine réveillées que les filles ont droit à ma tirade « détermination et ténacité ». Par chance, elles sont faciles à convaincre… Peut être sont-elles aussi têtues que moi ? Demain, on réessaie !
 P’tit coup de fil au Papa Noël (merci Rolo pour la météo ! Merci John et Zabou pour le téléphone !), la liste est simple :
- petite hausse des températures
- 15h d’ensoleillement
- 0 km/h de vent

Celui-ci nous répond qu’il veut bien nous donner une seconde chance mais que le créneau sera court. Un jour de pluie pour nous reposer, des précipitations attendues jusqu’en début de matinée le jour suivant puis du vent dès la deuxième moitié de nuit. A prendre ou à laisser !



Scène 4 : « Chiaro di luna » au clair de lune

19-12-18 : Entre ces deux tentatives, c’est juste le jour et la nuit (ou la nuit et le jour !) : ce coup-ci, l’approche à la lumière du jour est rapidement avalée et il fait si chaud qu’on marche en débardeur… Allez comprendre ! 




C’est motivées à bloc qu’on enfile nos chaussons et qu’on remonte les trois longueurs du socle puis qu’on grimpe les longueurs dures qui suivent, Nadia qui les connait maintenant par cœur, masterise. Cette fois, on peut vraiment apprécier la beauté du rocher et ses fissures parfaites. C’est presque une nouvelle voie qu’on découvre.









C’est maintenant à mon tour de passer devant. Une dalle rayée de cannelures puis une belle longueur sur le fil du pilier m’emmène sur une vire sculptée de cupules. Magique !





Il faut ensuite jouer de souplesse pour contourner le grand névé situé à mi paroi sans se mouiller les pieds. Les longueurs suivantes sont humides et le rocher délicat. Au sommet de celles-ci, on s’offre notre première pause de la journée : tournée générale de fromage et de saucisson face au Fitz Roy !





Ce qui se profile au dessus de nos têtes est juste hallucinant. Un raide bastion au rocher jaune parsemé d’énormes écailles et barré d’un toit nous domine. Mais par où va-t-on bien pouvoir passer ?

Nadia chemine d’écaille en écaille vers le haut, nous l’observons attentives. Certaines de celles-ci sonnent bien creux et on ne peut s’empêcher de penser à une autre pépète qui, il y a quelques années, a fait ce même itinéraire en solo intégral. Chapeau Brette !



 Un incroyable dülfer couronne en beauté cette section fabuleuse. Quelques instants plus tard, nous sommes aux pieds des cheminées de sortie. Le sommet est à la fois si proche et à la fois si loin. A 18h30, il nous reste encore environ 150m d’escalade.


Je reprends la tête. Difficile de progresser rapidement dans ces larges fissures humides et souvent comblées de glace mais j’essaie de faire de mon mieux pour tirer tout le monde vers le sommet. Un drôle d’exercice qui consiste à franchir une succession de blocs coincés les uns au dessus des autres.

 




A 20h30, nous sommes les filles les plus folles de la planète, trop heureuses d’être là-haut ! Au sommet de St Exupéry, on a eu beau chercher partout mais pas une trace du Petit Prince…



Descendre est parfois aussi compliqué que monter, si ce n’est plus. Ce coup-ci, pas d’exception à la règle.
Au menu : Un nombre incalculable de rappels à la lueur des frontales, des cordes qui se coincent et qu’il faut aller décrocher, des écailles branlantes, des blocs en équilibre, des relais pendus à consolider, une corde coupée, des passages de nœuds et la lune presque pleine comme projecteur.

Une nuit éprouvante qui nous aura coûté quelques frayeurs, 50 mètres de corde, des stoppers, sangles et cordelette, puis quelques heures d’attente glaciales sur une minuscule vire.



En guise de bouquet final, le vent s’amusera à nous envoyer quelques cailloux dessus alors que nous descendons enfin le couloir final…

Quelle chance (il en faut une bonne dose aussi) et quel bonheur de rejoindre enfin le sol saines et sauves ! Un beau cadeau de Noël avant l’heure !

Scène 5 : « Rencontre surprise à Chalten »
23-12-18 :  Quelques jours plus tard, de retour, au village, une surprise de taille nous attend. 
Cette surprise s’appelle Maurizio Giordani. Maurizio avait à peu près notre âge quand en novembre 1987, il ouvrit cette magnifique ligne qu’est « Chiaro di luna ». Cinq friends, quelques pitons, un jour pour monter et une nuit ventée pour descendre… Facile quoi !

Des vacances en compagnie de sa femme, qu’il prit grand plaisir à se remémorer et à nous conter. Des sommets mythiques gravis à la vitesse à laquelle nous, nous, avalons les chocolats chauds. Cerro Torre, Fitz Roy, St Exupéry, Torres del Paine, Aconcagua… en une seule saison ! De quoi se sentir à côté comme des Polly Pockets jouant dans la cour des grands… Pourtant Maurizio semble apprécier la compagnie de trois petites nanas comme nous. Il faut dire que les étoiles qui brillent dans ces yeux semblent bien proches de celles qui brillent aussi dans les nôtres… Merci Maurizio !


A suivre...