mardi 28 avril 2020

• un jour, une étape, une photo • #12


J12 : «Englués sur le Baïkal »
58km dont 50 en kite

Une journée ultra laborieuse ! Neige fraîche, neige collante, neige humide, neige croûtée… Il y en a pour tous les goûts !
Bref, on a labouré le lac… Si vous nous cherchez, suivez les deux profondes tranchées : on est au bout !!

Après un début de journée à pied, on sort les voiles sans grand succès. Le relief tout proche est pris dans un gros rouleau de foehn qui déborde sur le lac.
C’est le festival des quatre vents ! Changement de direction toutes les trois minutes et intensité assez variable également. Il y a même des mini- tornades et leurs tourbillons qui se déplacent sur le lac. Les voiles, ne sachant pas où donner de la tête, se gonflent puis se dégonflent quelques secondes plus tard, et nous, on est complètement perdu !
Pas de pot ! On recolle nos peaux…

Pour échapper à ce vent fantasque et inexploitable, on prend le large afin de fuir ce vent turbulent qui descend de la montagne.
Tirer à deux, deux pulkas accrochées côte à côte, avec des skis pas tellement spatulés, dans la neige profonde qui colle et qui botte, ce n’est pas facile… Il est à peine 10h et j’ai déjà les jambes toutes ramolettes !

1h30 plus tard, tout paraît plus calme, le vent semble plus établit, cela souffle toujours dans le même sens et avec la même intensité. On refait une tentative sous voile mais c’est encore bien trop faible pour nous permettre d’avancer dans cette neige qui nous freine tant !
Une seule solution : manger !!
Miaammm, ce jambon est vraiment trop bon, et en plus, il n’est pas tellement congelé !

Le jambon fait venir un bon vent et de bonnes gens. Un camion quitte la trace au loin et nous vient droit dessus. On lui fait des grands signes à son approche pour qu’il ne se prenne pas dans les lignes de la voile au repos… A son bord, se trouve un chauffeur sympa, accompagné de « Miss Sibérie » en petites chaussures et jupette et de sa maman. Petit selfie avec les deux craspouilleux que nous sommes avant qu’ils ne continuent leur chemin vers le Sud, avec pour souvenir cadeau, les morceaux de la pulka cassée !

Le vent est là. On remballe une fois de plus le pique-nique en catastrophe et on s’arrache !
A deux, sous la 12m, ça n’avance pas bien vite. C’est un peu en mode « stop and go » mais ça avance quand même ! Accrochée derrière les pulkas, en tenant une corde à la main et avec les skis qui restent souvent collés au sol, je manque de me faire arracher : main, coude et épaule à chaque redémarrage violent ! Heureusement, depuis aujourd’hui, on a ajouté un petit élastique afin d’amortir les chocs. Je n’ose pas imaginer ce que ça donnerait sans !
Ça doit être vraiment horrible de promener un énorme chien qui tire au bout de sa laisse en étant cloué au sol par du chewing -gum sous chaque semelle !

Finalement, comme cela devient vraiment compliqué d’avancer dans cette neige pourrie et avant que je ne me luxe une épaule et Bruno, une tête de fémur, on opte pour une voile chacun : 8 et 4m.
Vent arrière, ça pourrait être chouette, tranquille et agréable si seulement la neige y mettait un peu du sien, en étant chouette, tranquille et agréable elle aussi !
Cependant c’est tout l’inverse. Nos spatules peu relevées plongent sous la croûte, et même en se mettant à « super à cul », on ne les voit plus réapparaitre !
Les genoux malmenés frôlent l’explosion et les cuisses grillent sur place !

On creuse deux rails profonds pour l’extension prochaine du Transsibérien !
Quelques minutes plus tard, je trouve LA ruse pour conserver mes ligaments internes, externes et même ceux du milieu, en bon état. Je profite du damage façon pulkas et je m’applique à rester bien dans cette trace, tout en me faisant tirer par ma voile.

On songe à tout arrêter et à plier les voiles tant c’est coûteux d’avancer dans ces conditions. Mais lorsqu’on aperçoit deux 4x4 à quelques kilomètres à gauche, on change de cap et on reprend un peu espoir !

Aurait-on, il y a quelques temps, pu imaginer kiter dans de très profondes ornières de voiture ? Un ski en bas, au fond de la tranchée et un en haut hors de la trace en chasse-neige, avec les pulkas qui suivent comme elles peuvent, à demi renversées ? Ou encore, les deux skis parallèles au fond de l’étroit goulet en espérant ne pas avoir à freiner ?

A coup sûr, on aurait, en temps normal, trouvé ça juste abo et pourtant aujourd’hui, on est mieux à kiter là, au milieu de ce champ de bataille, que dans de la neige vierge. C’est dire !!!
Allez, c’est toujours ça de gagné vers le nord ! 58km qui nous rapprochent de la ligne d’arrivée… et du Coronavirus !

• un jour, une étape, une photo • #11

 

J11 : «Le jour où j’ai enfin le temps d’écrire mais où il n’y a pas grand-chose à raconter !!»
22km à pied

Déjà notre 11ème jour sur le lac. Aujourd’hui, on a passé le cap des 500km ! « Plus que » 122km jusqu’à Severobaïkal. On tient le bon bout !!

Ce matin, les prévis reçues sur l’Inreach ne prévoyaient pas franchement de vent pour les deux jours à venir… On verra ce que nous réserve demain, mais aujourd’hui, les prévisions se sont avérées plutôt très très justes : Rien de rien !

Nous voilà donc partis pour une belle session de marche à pied ou plutôt une bonne session de ski de rando. Plus on avance vers le Nord et plus il y a de la neige, et maintenant, elle tombe même du ciel ! Les belles flaques de glace sont maintenant un lointain souvenir. Elles nous manquent déjà. Patauger dans la neige, c’est bien moins rapide, bien plus fatiguant et bien moins rigolo que « gambader » sur la glace.

Cette partie du lac est, sans aucun doute, la plus sauvage. Pas de route bien marquée sur le lac, pas de traces de piétons, peu de véhicules circulent et ceux que l’on aperçoit, rarement au loin, semblent avancer au ralentit tant ils galèrent à rouler dans toute cette neige. On se sent bien isolé et cette sensation nous plaît assez !

On n’est pourtant pas complètement seul. Une fois la nuit tombée, quelques points lumineux apparaissent çà et là. Cabanes de gardes-chasse ou minuscule hameau de deux ou trois isbas à peine ? Dans tous les cas, avec aucun accès routier par la terre et avec autant de neige sur le lac, ils ne doivent pas avoir de la visite tous les jours !
La journée se termine dans le « jour blanc » et sous la neige ; on est à quelques kilomètres à peine de la côte mais ce n’est pas toujours facile de s’orienter.
Aujourd’hui, ce sont des vacances : on pose le camp à 16h30 !

Voilà, qui me laisse enfin le temps de pouvoir écrire tranquillement sur mon petit carnet. Dommage, aujourd’hui, journée sans vent : il n’y a pas grand-chose à dire !

Pour autant, j’ai choisi ,aujourd’hui, une photo de bivouac prise quelques jours plus tôt sur le lac, pour vous raconter tous ces petits rituels répétés chaque jour, et aussi pour largement dédramatiser les dodos au frais, sur la neige ou sur la glace. Ce n’est pas si inconfortable et quand on a bien marché, on dort trop bien !!

L’emplacement de camping idéal sur le lac est sans nul doute près d’une crête de compression (amas de blocs de glace). Dormir proche de ces zones fissurées a deux avantages majeurs : premièrement, cela permet de disposer de glaçons faciles à casser, à mettre dans un sac de course puis à les stocker dans l’abside de la tente, pour ensuite faire de l’eau en quantité, sur le réchaud à essence . Deuxièmement, cela permet d’avoir une petite musique de fond dans ce monde si silencieux. La glace qui se fracture, craque violemment, puis les détonations se propagent… Bon d’accord, il faut aimer la musique « boum boum » !
Ambiance techno garantie ! Parfois cela dure même la nuit entière sans ne jamais s’arrêter : Rave party sur le Baïkal.

Il faut ensuite installer la tente en choisissant un endroit bien plat… C’est une blague bien sûr ! Ici tout est plat !
Il faut ensuite bien la fixer au sol glacé, une idée ? Ici ce n’est pas le paradis des sardines mais plutôt celui des broches à glace ! Deux ou trois broches suffisent largement.

Il ne reste alors plus qu’à jeter matelas, duvets, livres, frontales, appareils photos, brosses à dent, nourriture, réchaud, thermo et chaussons des chaussures dans la tente puis à s’y jeter, à notre tour, s’il reste un peu de place !
Je ne remettrai plus que le nez (ou plutôt les fesses) dehors pour un dernier petit pipi avant d’aller au lit parce que je n’ai pas, comme d’autres, la chance de pouvoir faire pipi dans une bouteille !

Dans notre petit nid douillet, le réchaud tourne à plein régime toute la soirée ; Bruno est aux commandes. Dans la casserole, la glace fond et bientôt on pourra réhydrater d’eau bouillante, soupes et nourriture lyophilisées. Un seul lyoph’ pour deux, agrémenté d’un peu de purée ou de semoule, nous permet de ne pas nous encombrer de trop de nourriture. Un bout de gingembre confit et un carreau de chocolat comme récompense de la journée !
Entre la soupe, le remplissage du thermo, le lyoph’ qui gonfle, l’envoie de quelques messages et la réception de la météo via l’Inreach, et avant qu’il ne fasse trop sombre, je griffonne quelques lignes dans le journal de bord… La date, le nombre de kilomètres parcourus, le menu du jour, une rencontre, les voiles utilisées, l’état de nos jambes ou encore une anecdote… il y en a une pour chaque jour !

Il fait maintenant si chaud dans la tente qu’on est même obligé d’ôter une doudoune ou deux ! Un comble ! Toute l’humidité accumulée au fil des jours, sous forme de fines pellicules de glace, sur les parois de la tente ou sur les duvets, fond à vue d’œil et il faut éponger les gouttières, à droite à gauche, avec l’indispensable éponge du campeur polaire ! Lorsque l’on éteint le réchaud, la température redescend à vue d’œil mais on a fait le plein de chaleur pour la nuit. La gourde Nalgène remplie d’eau bouillante nous servira de bouillotte. Dans le duvet, on se la refile comme deux manchots empereurs se refileraient leur œuf.

On se couche comme les poules (des neiges) dès que la nuit tombe. 10-12h de sommeil, c’est parfait et parfois, il n’en faudrait pas moins pour avoir juste le temps de se requinquer un peu ! A 20h, nous voici, bien au chaud, dans nos deux duvets jumelés. Le temps de compter jusqu’à 10 et on dort déjà comme des marmottes (des neiges !).

A demain pour de nouvelles aventures !

• un jour, une étape, une photo • #10

 
J10 : « Pétole et bricolage »
20km à tout casser (même les pieds !)

Pas un souffle d’air de la journée pour fêter notre dixième jour sur le Baïkal… Rien, « nieto », pétole… Calme plat !
Ce qui veut dire : que les voiles restent clouées au sol, qu’on n’avance pas, qu’on ronchonne un peu, qu’on a mal aux pieds et mal aux jambes, qu’on ne pense qu’à manger et qu’on fait du bricolage !

Alors qu’on en a marre de labourer le lac avec la charrue qui nous sert de pulka, on décide de lui refaire une petite beauté. Les rivets, fixant ce qu’il reste de semelle, sautent les uns après les autres à coup de piolet et de couteau suisse. La pulka rouge est remise à neuf ou presque !
Une soupe chinoise à 15h30 pour avoir la force de s’attaquer aux 5 derniers kilomètres de la journée et c’est reparti !

Une chose est sûre : le ski de rando, à plat, dans la neige profonde, avec des skis de géant, des peaux qui bottent et des chaussures de freeride, ce n’est pas l’activité du futur !
Allez, ça suffit pour aujourd’hui ! Ce soir, c’est quinoa à la mexicaine et puis on verra demain pour le reste !

Bonne nuit !

lundi 27 avril 2020

• un jour, une étape, une photo • #9


J9 : « Le jour où ce pauvre Tesson nous a jeté un sort… »
30km à pied

Après une bonne nuit sur la terre ferme, lorsqu’on sort le nez de la tente, la cheminée de la cabane fume déjà. Nikolaï nous attend pour le petit déjeuner. Nous mangeons notre bouillie habituelle, mélange de céréales, de muesli et d’eau chaude. Puis, avec un pincement au cœur, nous quittons notre hôte et le rendons à sa solitude. Il est fort probable qu’il ne revoit personne d’ici son départ au mois de mai.

Seul, il observera depuis sa fenêtre défiler toutes ces longues journées d’hiver. Peu de livres, pas de lecteur DVD, pas de téléphone satellite, un stock rudimentaire de nourriture et pas de vodka en quantité suffisante pour tuer le temps qui ne passe pas…
Cela vous rappelle quelqu’un ?

Pour seul moyen de communication, une radio pour joindre ses collègues gardes voisins ; pour seule visite, des braconniers à qui il devra, sans risquer sa peau, rappeler qu’ici la faune est protégée.
« Paca paca Nik et Spasiba ! »

On s’éloigne de la rive à pied pour aller chercher un peu de vent plus au large.
Il y a bien de l’air mais irrégulier, changeant et turbulent… On fait quelques tentatives avec la 4m, puis la 6m, avec la 8m et enfin avec la 12m. Bref, on essaie toutes les voiles pour finalement finir en ski et en peaux !! Grrrr !
Pas de chance… Aujourd’hui, c’est vendredi 13 mars !

Une journée à marcher dans le mauvais temps, dans des chaos de glace et dans de la neige de plus en plus profonde, en tirant nos pulkas de plus en plus abîmées et qui glissent donc de plus en plus mal…

Bivouac sous la neige, non loin de la cabane de Tesson pour clôturer cette triste journée… A coup sûr, à force de dire du mal de lui, c’est le petit Jésus Sylvain qui nous a punit !

dimanche 26 avril 2020

• un jour, une étape, une photo • #8


J8 : « Tout vient à point à qui sait attendre… »
90km dont 75 en kite !

La nuit a été fraîche. Au réveil il fait à peine -13 dans la tente. Les 15 kilomètres qui nous séparent de la pointe Nord du bout de l’île d’Olkhon sont parcourus à pied, ce qui a l’avantage de nous réchauffer un peu !

La grande question du jour est : « Cette belle route verglacée va-t-elle prendre enfin un virage vers le Nord ou fait-elle simplement le tour de l’île ? »
On commence à avoir de sérieux doutes et on choisit de demander l’avis de quelques locaux. Pour les chauffeurs de la voiture et des deux minibus que nous arrêtons, la réponse est vague : « Maybe ».
Peut-être oui, peut-être non… C’est justement ça le problème !
Ces « maybe » et le « why ? » d’hier soir ne nous avancent guère…

Le repas portant conseil et l’appétit venant en mangeant, on décide de casser la croûte… Pas facile car fromage et croûte sont complètement congelés !
Une fois encore la technique de la pause repas fonctionne, à peine installés, voilà un petit air qui se lève : « On mangera plus tard ! »

Alors que l’on s’équipe à toute vitesse, deux cyclistes russes équipés de sacoches déboulent. Impossible de filer sans prendre un moment pour discuter avec l’un des deux. On croise les doigts en espérant que le vent se maintienne encore un peu !
Quelques infos, contacts et encouragements échangés, on reprend chacun nos chemins. Le nôtre prend la direction de l’Ouest, puis du Nord.

Le vent nous pousse bien. On traverse un grand champ de neige de quelques dizaines de kilomètres parsemé de bosses. La visibilité est faible et plus on se rapproche de la côte Ouest du lac, plus le vent forcit et plus la neige tombe du ciel !
Au sol, la neige laisse place à de la glace vive. Largement surtoilés, c’est à toute vitesse et sans visibilité que l’on zigzague entre les blocs de glace, sur cette grande patinoire… Chaud !!!

On parvient tant bien que mal à affaler la voile et à la ranger, puis on continue, vent dans le dos, avec nos épaules en guise de voile. Ça marche tellement bien qu’on manque de s’envoler à la plus forte des bourrasques ! On est pourtant accrochés ensemble pour tirer les pulkas mais, durant quelques secondes, on ne se voit même plus !!

Alors que nous nous rapprochons de la berge, on aperçoit quelques cabanes. On songe à un certain Tesson (de bouteille) venu copieusement picoler, il y a quelques années, à quelques kilomètres à peine d’ici. Aller s’abriter de cette tempête et dormir sur un sol sec dans la forêt est assez tentant. Quelques cabanes mais pas de fumée, tout semble désert…

Alors qu’on se déplace comme deux canards fatigués sur un lac gelé écossais, j’aperçois une silhouette sur la rive, à l’orée de la forêt.
C’est Nikolaï qui nous attend devant sa cabane. Lorsque l’on s’approche, il nous explique avec de grands gestes qu’il y a de quoi dormir au chaud à 2km de là. Mais qui a dit qu’on cherchait un endroit pour dormir au chaud ??

Nous, ce qu’on veut, c’est découvrir la vie d’un garde-chasse de 60 ans qui passe deux mois d’hiver seul sur les rives du Baïkal ! Et pour ça, on a frappé à la bonne porte !

Thé chaud, séchage des chaussons des chaussures de ski, des Sorel et des duvets au milieu de mille palabres incompréhensibles ! Le mieux c’est quand Nik prend son cahier pour écrire ce qu’il essaie en vain de nous expliquer, en cyrillique : on comprend encore moins !!!
La tente est installée à l’abri du vent derrière la cabane et ce soir, c’est repas à la mode « Picard ». Pain, sel, poivre, oignons crus, chou râpé, poisson en tranche et œufs de poissons orangés. A part le pain et les oignons tout est complètement congelé !

Le cognac, quant à lui, n’a pas le temps de geler tellement il y a de mouvement dans la bouteille… On est évidemment complètement bourrés en quelques minutes ce qui n’aide pas davantage à comprendre le Russe. Mais peu importe, on est mort de rire tous les trois !
Pendant qu’on se régale, autour de l’énorme poêle de masse, avec les bons croûtons préparés par Lucienne, la femme de Nikolaï, des semaines plus tôt en prévision de son départ, dehors, les souris attaquent nos crackers.

Quel bon vent nous a poussés jusqu’ici ! Une chouette soirée pour Nik, Bruno, Google Trad, moi… et Lucienne dans nos cœurs !

samedi 25 avril 2020

• un jour, une étape, une photo • #7


 
 

J7 : « La journée vent dans le nez ! »
25km à pied (4 fois plus pour Bruno en kite…)

L’île d’Olkhon est, pour nous, une étape du voyage. Ce petit bout de terre allongé marque la moitié du chemin à parcourir. La partie Sud du lac est maintenant derrière nous et nous devons maintenant nous attaquer au grand Nord. Nous savons cette partie habituellement plus enneigée et cela s’avèrera d’autant plus vrai cette année où la neige est encore plus abondante qu’en temps normal. Nous y verrons d’ailleurs très peu de véhicules.
Bien que le fond de carte dont nous disposons sur nos téléphones soit très sommaire, nous imaginons cette seconde partie du lac beaucoup plus sauvage : quelques cabanes dispersées çà et là et aucun accès au lac depuis la terre. Autant dire qu’un plan B se résumerait à faire demi-tour pour revenir à Olkhon (à condition de ne pas s’en être trop éloigné) ou bien continuer pour sortir par la rive Nord du lac de laquelle nous séparent encore trois cents et quelques kilomètres. Cela fait maintenant une semaine que nous sommes partis et nous avons encore une dizaine de jours de nourriture à dispo. Dix jours pour plus de 300km, c’est ambitieux mais pourquoi pas ?

A vrai dire, nous ne posons, à aucun moment, méthodiquement cartes sur table comme je suis en train de le faire ici. Nous n’avons, de toute façon, pas de tables et puis nous sommes bien trop enthousiastes à l’idée de découvrir la suite. On fonce vers le nord sans se poser trop de questions ! Qui vivra, verra !
Et qui aura vécu une journée avec le vent dans le nez aura vu qu’il est difficile d’avancer ! Cette 7ème journée aura tout d’une journée loose : Beaucoup d’efforts, beaucoup de temps et beaucoup de vent pour pas grand-chose !

Bruno tente pour s’amuser de remonter au vent avec notre plus grande voile. Il parcourt une distance de fou en tirant des bords mais ne gagne que très peu de kilomètres dans la direction convoitée. Pour ma part, j’opte pour le chemin le plus court. Vent dans le nez, j’avance en patinant, tirant les pulkas sur ce chemin de glace sublime qui fait le tour de l’île.
Au bout d'une heure, je lui refile les pulkas et nous continuons chacun avec nos techniques respectives. Comme je vais bien plus vite, j’ai le temps de faire un peu de tourisme et je vais voir de plus près les nombreuses falaises et grottes, bordant l’île, couvertes de glace bleue. Magnifique !

Fatigués par cette journée « vent dans le nez », nous plantons la tente près d’une crête de compression afin d’utiliser, comme chaque jour, les glaçons dressés pour faire de l’eau. Il reste encore quelques heures de soleil et nous prenons l’apéro en terrasse, comme quoi les petites journées ça a aussi du bon !
C’est alors qu’une touriste descend d’une voiture et accourt vers nous affolée. Elle n’a qu’un mot à la bouche : « Why ? »

Interloqués, on se regarde… « Euh, c’est vrai ça, pourquoi ?? »
Pourquoi choisir de venir passer ses vacances en Sibérie ? Pourquoi venir camper en plein hiver sur un lac gelé ? Pourquoi se faire mal aux pieds à marcher alors qu’on pourrait faire le même trajet en voiture ? Pourquoi choisir le sens le plus long pour traverser ce lac ? Pourquoi venir se cailler les fesses alors qu’on pourrait dormir dans un hôtel surchauffé ? Pourquoi se battre contre le vent ? Pourquoi patauger dans la neige ?
 
A vrai dire, on ne sait quoi répondre si ce n’est, éclater de rire et répondre : « Et… why not ??!? »

vendredi 24 avril 2020

• un jour, une étape, une vidéo • #6


J6 : « Le jour où on a passé le mur du son ! »
50km dont 40 en kite (à fond la caisse !)

Une fois n’est pas coutume, aujourd’hui, l’image est animée !
Un début de journée tranquille nous permet de nous dégourdir les pattes. J’ai sorti mes griffes de chat (petits crampons en chaînes) et Bruno est une nouvelle fois en Crocs. On marche sur un chef-d’œuvre vivant, la glace est canon de chez canon.

Nous sommes à quelques kilomètres du chenal qui sépare l’île d’Olkhon de la terre ferme. Nous les avalons avec enthousiasme. L’appel de la civilisation peut-être ?

Quelques piétons et patineurs, par ci, par là ; quelques véhicules au loin… Par chance, un petit air se lève, on va pouvoir, nous aussi, leur montrer qu’on a un chouette moyen de transport !

Le trafic se densifie de plus en plus et chacun sous notre voile nous devons traverser rocades et autoroutes glacées sans créer de bouchons ni d’accidents. Minibus typiques, camions, voitures… Voir tous ces véhicules rouler sur cette asphalte de glace sombre, au milieu de ces immensités de neige, me donne l’impression de passer une après-midi dans une pub « Toyota ».
Suite aux folles embardées en kite sur la glace des jours précédents, l’état d’une de nos pulkas nécessiterait bien un passage au stand. Aussi nous optons pour longer la côte intérieure de l’île à la recherche d’un village où on pourrait bricoler un peu.
Le vent faiblit, les voiles tombent. Je range ma petite 4m mais nous gardons la 12m prête à décoller au cas où ça se relèverait un peu. Volera, volera pas ?

En attendant la réponse, nous croquons dans un bout de chaussons à je ne sais quoi. Tous les midis, le menu est le même : nourriture surgelée. Un peu dur, un peu froid, pas tellement de goût mais on s’y fait plutôt très bien !
Je manque d’avaler de travers mon glaçon au fromage : « Eh y a du vent là ?!? »

Hop ! On remballe notre pique-nique le plus vite possible et on attrape cette bourrasque avant qu’elle ne parte sans nous et nous laisse sur le carreau.

C’est parti pour le run infernal : me voici accrochée derrière les deux pulkas tirées par Bruno tiré lui-même par une grande voile. Tantôt sur la glace, tantôt sur la neige, parfois avec des voitures en face… ça va à 100 000 à l’heure !!
Je tente de guider ou de retenir les pulkas lorsque les wagons veulent dépasser la locomotive. J’ai la sensation d’être accrochée derrière une Ferrari lancée à balle sur l’autoroute à contresens ! Pouah !!!

Cette rafale durera quelques minutes à peine mais nous aura fait faire un bond de 25km sur la carte. Village en vue !
On continue à pied. Point d’arrivée triomphale dans le port de Khoujïr mais on est quand même accueilli en espagnol par un péruvien, c’est notable !!

L’idée est maintenant de trouver de quoi réparer la semelle de la grande pulka qui se décolle sérieusement.
L’homme à tout faire d’un hôtel et le mien s’occuperont du rafistolage pendant que je surveille les chiens du village qui ne pensent qu’à manger nos crackers !
Passage au stand ok, il faut maintenant penser au ravito des pilotes ! Nous cachons tout notre barda derrière un vieux bateau rouillé prisonnier des glaces et filons à pied vers le village. Ce soir, c’est la fête : on va au restau !

Habituellement noir de chinois, Khoujïr semble désert. Le Coronavirus aurait-il déjà frappé ? 
Au restau, l’accueil est digne du seul goulag que je connaisse : le camp 303… Les deux serveuses sont aussi charmantes que des portes de prison. Quant à la nourriture, eh ben… c’est presque comme en prison ! On parvient à finir notre assiette puis à s’échapper du restau avant qu’elles ne nous enferment pour la nuit à l’intérieur tant elles semblent pressées d’aller au lit. Dommage on aurait bien profité de quelques heures au chaud avant de repartir pour une dizaine de jours de marche supplémentaires.

On finit la soirée, un peu plus loin, avec une bande de mini russes en mangeant plein de crêpes. Heureusement le désir d’échanger, la curiosité et les rires des enfants sont internationaux !

A la frontale, nous récupérons nos affaires et nous nous remettons en marche pour aller bivouaquer au frais, à l’écart du village…

Bonne nuit !

jeudi 23 avril 2020

• un jour, une étape, une photo • #5


J5 : « La journée aux multiples modes de déplacement »
70 km dont 55 en kite

Une journée pleine de rebondissements.

*Tentation : Un petit air léger au réveil associé à la joyeuse expérience vécue la veille, nous incite à sauter dans les chaussures de ski dès le réveil. Il fait plutôt frais et ce matin, pour la première et dernière fois du périple, on opte pour l’utilisation de chaufferettes à glisser dans nos chaussures. On déplie ensuite nos voiles et chaussons nos skis.

*Désillusion : Les voiles ne se décident pas à décoller. Il ne reste plus qu’à tout ranger, à retirer les chaussures de ski et à rechausser les après-ski. Pour marcher sur cette avenue sombre de glace vive bordée de part et d’autre par deux immensités enneigées ce sera plus agréable.

*Improvisation : Bruno préfère les Crocs aux Sorel, c’est vrai que c’est plus « light » ! Le test semble concluant, au jeu des glissades incontrôlées, il gagne. Aussi il récidivera à plusieurs reprises par la suite…
Tirer les pulkas sur ce chemin verglacé est un régal, elles ont beau être assez lourdes (70/80kg ?), elles nous suivent sans que nous ayons tellement d’efforts à fournir. En revanche, pour marcher sans crampons, nous sommes bien plus à l’aise sur la fine pellicule de neige sur les bas- côtés.
Je repense alors à ces longues heures de vélo, chez moi, le long du canal du midi. J’imagine le temps d’avant… avant les pistes cyclables, avant les bateaux à moteur et avant les vacanciers. Je pense à ces chemins bordant le canal. Une idée ?
C’est ainsi que nous adoptons la technique du « hallage », imaginant que nos pulkas sont deux péniches amarrées côte à côte voguant sur les eaux du Baïkal et nous, dans le rôle des pauvres chevaux, nous marchons sur l’une et l’autre berge de ce fleuve glacé. La technique est concluante et quelques kilomètres sont avalés de la sorte.

*Illusion : Un brin d’air ? On passe illico en mode kiteur. On sort une voile pour deux mais c’est décidément bien trop faible pour espérer pouvoir avancer ensemble, plus les pulkas, sous une seule voile. Que reste-t-il à faire ? Remballer notre panoplie de voyageur éolien à nouveau ?

*Consolation : Bruno s’amuse un moment seul sous sa voile pendant que je permets aux deux pulkas de gagner un peu de terrain en les tirant en skatting. On avance à la même vitesse ou presque.

*Adaptation : Le brin d’air grossit un peu et nous partons chacun sous notre voile, 4m pour moi, 12m pour Bruno et les pulkas.
Grand largue au programme ! Ce n’est pas un run de ouf mais c’est toujours ça de gagné…

*Déception : Le vent tombe encore une fois et on redevient, à nouveau, des marcheurs des glaces. Le temps passe. La moitié de la journée s’est déjà écoulée et nous avons à peine parcouru une quinzaine de kilomètres.

*Innovation : Se faire doubler au loin par des patineurs, ça agace et ça donne quelques idées : Nous aussi on veut patiner !!!
Nos patins mesurent 1m85 de long et nos bâtons ne mordent pas tellement dans la glace mais après tout, pourquoi pas ? On finit même par tirer ensemble les pulkas en patinant, c’est un peu folklo mais ça fonctionne !

*Retournement de situation : Vers 16h, alors que cette journée est aussi laborieuse à raconter ici qu’à vivre là -bas, tout s’arrange soudain !
Tout bon kiteur vous le dira : il est fréquent qu’aux caps, le vent s’accélère et cette fois ça ne fera pas exception à la règle. Le compteur prend un sacré coup d’accélérateur : 55km en 1h30 !

Un cap, deux caps, trois caps… Cap ou pas cap d’aller jusqu’à celui-là, tout là- bas ?? Chaque rafale nous propulse à grande vitesse vers le nord. On tente de ralentir, quelle aberration !!
Les pulkas font des vols planés à chaque cassure, elles tapent dans tous les sens contre les blocs de glace qui parsèment notre trajectoire alors que j’essaie tant bien que mal de les guider, sans subir le même sort qu’elles. Lorsque je sens que je vais me faire, à mon tour, satelliser, je lâche l’affaire en laissant échapper la cordelette qui me relie à cette machine infernale !
Les kilomètres défilent, les pulkas perdent des plumes dans cette bataille et nos jambes brûlent. Vers 17h30, nous n’arrivons plus à mettre un pied devant l’autre tant nous avons mal aux genoux, pourtant le vent souffle toujours. C’est un comble mais on décide de s’arrêter pour poser le bivouac sur un petit îlot neigeux, au beau milieu d’une immense mer de glace.

Ce soir, dans mon petit carnet, j’écrirai :
« J5 : une journée pas gagnée d’avance ! Verdict 70km ! Bien ! … Mais encore mieux que ça : là-bas au loin, ce bout de terre c’est l’île d’Olkhon !!! »

mercredi 22 avril 2020

• un jour, une étape, une photo • #4


• un jour, une étape, une photo •

Pour ce 4ème épisode, j'ai laissé la plume à Bruno. Trop enthousiaste à l'idée de vous raconter cette folle journée !


J4 : « La master journée »
Passy-Grenoble en kite !
Alors que le pliage et l’empilage de tout notre bazar touche à sa fin, mon appendice nasal, bien orienté, commence à déceler quelque chose. « Chaussons donc les pompes de ski, c’est l’occaz que tu retrouves des sensations sous voile dis-je ». Sitôt dit, sitôt fait, je vois Lara partir plein nord à donf ! J’opte pour une allure plus largue, histoire de ne pas trop coller le relief qui pourrait nous déventer. C’est bon, un grand bord de largue sur une petite couche de neige !
 
La voile calée bien haut dans la fenêtre, il n’y a pas grand-chose à faire … Si, observer. Pas mal d’activités autour de ce village proche de l’estuaire d’Irkoutsk. Toutes sortes de véhicules circulent au loin : Du traditionnel minibus UAZ, à la basique LADA inoxydable, en passant par l’hydroglisseur pour touristes en manque de décibels, au side-car d’un autre temps (l’homme au guidon, à intervalles réguliers, doit descendre de sa monture pour y refixer je ne sais quoi. Ah si, le side ?!), ou encore une famille entassée dans une, on ne peut plus classique, berline mais avec des bouées sur le toit (on ne sait jamais…), et puis là-bas encore plus au loin, quelque chose qui progresse avec une grande régularité en direction d’une yourte…
Il faut que j’aille voir. Je m’éloigne un peu plus de Lara en la doublant sous le vent. Ça trotte et il y en a deux. Mais comme on avance, grosso modo, dans la même direction, je peine à distinguer. Deux meutes de chiens tirant des traîneaux, ils gazent bien ! J’espère que les toutous ont bien mis leurs petites bottines à clous !!
Les flaques de glace sont maintenant aussi grandes que les flaques de neige…

Mais où est la petite voile orange de Lara ? Je passe un bon moment à scruter l’horizon avant de l’apercevoir, à l’arrêt. Voile au zénith, j’attends, ça lui donnera une direction.
Finalement c’est en skating et la voile sous le bras qu’elle me rejoint. Vent faible,  oreilles de la voile qui se dégonflent sans cesse et une bonne gamelle sur la glace après la perte d’un ski auront raison d’elle pour aujourd’hui ! On profite tous les deux de cette expérience : maintenant, on saura que sur la glace, on doit verrouiller l’avant des fix…
Petit vent et glace devenant de plus en plus présente, on fait le choix de se remettre en mode « una vela per tutti ». La grande Montana de 12m avec ses rallonges de lignes fait le job à merveille jusqu’à ce que le vent forcisse. Grand écart, nous voilà maintenant à deux sous la petite 4m.
Et c’est parti, pour ce qui va devenir LE méga run !
La neige s’amenuise encore, laissant quelques taches ici ou là. La glace dévoilée est d’une beauté incroyable. Fissurée, lézardée, avec de grosses bulles emprisonnées, waouh… Et quelle épaisseur !! Cette glace qui offre très peu de résistance, corrélée au fait que l’on marche maintenant down wind (vent arrière) nous donne une allure plutôt confortable. Le ressentit du vent météo associé au vent relatif est nul. On avance avec la masse d’air, pratiquement à la même vitesse.
Tout en roulant, on enlève le bonnet (sans laisser échapper le casque …), les gros gants sont remplacés par les petits, la doudoune est maintenant entrouverte et on retrousse les manches. Il fait bon ! Un petit snicker attrapé au fond d’une poche, on ne va quand même pas perdre du temps à s’arrêter !!
Des petits « s » succèdent aux grands « S », en passant par l’infini qui explore toute la fenêtre de vol. Je m’essaye aux kiteloop (faire tourner la voile) mais ça donne trop de vitesse, et il faut freiner en chasse-neige ou en chasse-glace pour être exact…
Bref, c’est une découverte de cette nouvelle allure, assez inhabituelle, et qu’on a peu l’occasion de pratiquer sur de longues distances. Les kilomètres défilent et ça c’est bon !
Cette portion du lac est probablement la plus fréquentée. On double quelques groupes de patineurs en jouant sur eux avec l’ombre de notre voile. Ils lèvent un à un la tête sans bien comprendre quel volatile les survole ! Pourquoi pas un petit rase-motte, histoire de pimenter leur besogneuse procession ? Ah, on fait les malins !
Il y a cependant des fois où il convient quand même de sérieusement ralentir : quand il faut trouver le passage ou lorsque qu’il faut cheminer dans ces fameuses crêtes de compression. On imagine qu’à la genèse de la saison, de grandes plaques de glace, de parfois plusieurs kilomètres carrés, sont entrées en collision, aux grés des courants, pour laisser ces chaos, bien souvent, infranchissables. Il nous faut observer et longer ces amas de glaçons dressés sur plusieurs kilomètres avant d’oser s’y aventurer.
Suivant les fois, c’est plus ou moins délicat, dans tous les cas, on ne regrette pas les skis de géant. Voile au zénith, petit chasse-neige, trajectoire des pulkas attelées 10m derrière à anticiper, un petit coup de puissance pour faire franchir tout l’ensemble, coup d’œil en arrière… Des fois, un cri : Lara a quitté le navire, c’était trop chaud !
Entendez par là que j’aurais peut-être du davantage lever le pied ou que mon appréciation des trajectoires ne fut pas optimale ou encore que les pulkas sont parties dans un dérapage orbital !!!
Lorsque le vent et le soleil faiblissent enfin le verdict tombe : 130 km pour aujourd’hui !
L'équivalent de Passy-Grenoble... Yihaaaa !

mardi 21 avril 2020

• un jour, une étape, une photo • #3


J3 : « Toujours rien »
20 km à pied et c’est tout !

Après une petite tempête nocturne, ce matin au réveil, nous sommes assez optimistes : on chausse directement les chaussures de ski. Le vent a certes faiblit au lever du jour mais nous espérons pourtant bien grappiller quelques kilomètres vers le Nord grâce à lui. Nous déjeunons, rangeons les duvets et les tapis de sol, plions la tente, chargeons les pulkas, sortons les voiles.

Premier échec de la journée : alors que nous sommes enfin prêts à décoller, le vent tombe complètement et on en est réduit à replier les voiles sans qu’elles n’aient encore quitté le sol !
Comme une petite épaisseur de neige recouvre la glace, nous innovons en collant sous nos grands skis de géant, des petites peaux de phoques emportées sans grande conviction. Les miennes ayant environ mon âge, on s’apercevra plus tard, dans la neige humide, que ce n’était pas le meilleur choix à faire !
Deuxième échec de la journée : Skis de géant (choisis pour leur poids, leur rigidité et leurs cares agressives pour réussir à rester debout sur les zones de glace vive), chaussures de ski rigides et un peu trop grandes (pour ne pas avoir trop froid et pouvoir kiter sur la glace avec), bâtons de trail aux pointes pas pointues (car inutiles en kite !) et peaux de phoque (étroites et très courtes !)  d’un autre temps ne s’avèrent pas être l’équipement le mieux adapté pour faire du ski de rando à plat !
En plus, en tirant conjointement nos deux pulkas accrochées ensemble comme deux chiens de traîneau, on ressemble à tout, sauf à des « collants-pipettes » !

Petits vents légers et quelques bourrasques d’optimisme, nous font cumuler quelques échecs supplémentaires au fil de la journée.
Mais le vrai problème quel est-il ?
Entre marcher 20km par jour à pied (ou en ski) et les parcourir en 30 minutes seulement en kite, le choix est vite fait !
Pour autant, l’incertitude d’avoir du vent les jours suivants est grande. Avoir la chance qu’il souffle dans le bon sens est hypothétique et la contrainte du timing n’est pas négligeable non plus. Pour tout cela il n’est pas facile de rester assis sur nos pulkas en mangeant nos réserves de chocolat en attendant le vent.
Il pourrait simplement suffire de marcher quand c’est « pétole » et de sortir la voile au premier coup de vent mais il faut absolument que ce coup de vent là s’établissent et perdure quelques heures.
Peut-être comprendrez-vous mieux la situation et prendrez-vous davantage conscience de toute la logistique un peu rébarbative à passer du mode « marcheur ou marcheur à ski » au mode « kiteur » :
Il s’agit sans perdre trop de temps d’enlever les après-ski et mettre les chaussures de ski ou de retirer les peaux des skis, tourner les fixations, fermer les crochets des chaussures et bloquer la tige arrière, ranger les bâtons et les attacher sur la pulka, vider les pulkas et les accoupler ensemble (pour éviter qu’elles ne fassent des tonneaux !), les reremplir, remettre son baudrier correctement (on enlève les cuisses pour tirer en marchant) et atteler les pulkas, rajouter quelques couches de vêtements supplémentaires, ranger les petits gants pour en mettre des plus gros ou des moufles, ranger les lunettes de soleil et mettre le masque, mettre le casque, déplier sa voile, la clipper à son baudrier et enfin chausser ses skis !
Imaginez, si une fois tout ça accomplie, Eole s’est fait la malle ? Grrrrrr…..

Prenez cette même situation et multipliez-la par 4 ou 5 et vous aurez un aperçut de cette troisième journée sur le lac !
 
Ce soir, on allume l’In-reach : Pas franchement de vent annoncé. On le ré-éteint aussitôt !

• un jour, une étape, une photo • #2


J2 : « A marche forcée »

27 km à pied…

« A marche forcée », un bouquin incroyable qui aura occupé de longues heures de Transsibérien quelques jours plus tôt. 

Six prisonniers qui s’évadent, par une nuit d’hiver, du camp 303, goulag perdu au fin fond de la Sibérie. Les jours, semaines et mois suivants seront placés sous le signe de la fuite vers le sud. Marcher, marcher, marcher toujours et encore ! Absolument pas équipés pour affronter la rudesse de l’hiver Sibérien et largement sous alimentés ; ils erreront dans le sud de l’URSS en direction du Baïkal avant de rejoindre la Mongolie, de flirter avec la mort dans le désert de Gobi pour rejoindre les contreforts enneigés de l’Himalaya… 

Il ne s’agit alors simplement plus de vivre libre mais juste de survivre. Bien que quelques incohérences puissent apparaître au fil des pages (jusqu’à cette fameuse rencontre finale avec deux abominables hommes des neiges !!), on ne saura peut-être jamais véritablement si ce pauvre Slavomir Rawicz aura habilement « pipoté » pour écrire ce récit reconnu comme l’un des incontournables de la littérature d’aventure. 
Toujours est-il que cette histoire serait, au minimum, inspirée d’une ou de plusieurs histoires vraies…

Si fuir le calvaire du travail forcé et l’enfer du goulag sans avoir d’autres choix que souffrir le martyr à cause du froid, de la faim, de la soif et des blessures peut apparaître comme des causes nobles, comment expliquer qu’aujourd’hui alors que nous pourrions être en train de nous dorer la pilule sur une plage des Maldives en mangeant des glaces à la vanille, on soit là, dans le froid, à marcher sur la glace, vers le nord, alors qu’on en a déjà plein les pattes ?
La seule différence, c’est que nous, on a  pour l’instant largement de quoi manger et le renard de cette nuit l’a bien compris !

Aujourd’hui, il n’y a pas de vent et pourtant il faut bien avancer... Nombre de jours de nourriture compté, visa à durée limitée, date du billet d’avion Moscou-Paris, sans parler de ce nébuleux virus et de la possible fermeture des frontières !
Alors on marche, on marche et on marche encore… On marche avec crampons, puis sans. On marche sans bâtons, puis avec. On tire les deux pulkas accrochées ensemble, puis chacun la sienne. On marche souvent dans la neige, parfois dans des ornières de voitures, plus rarement sur de la glace vive… Dommage : la glace, c’est les vacances !
Le passage d’une voiture et de deux hydroglisseurs seront nos uniques distractions du jour.
Mal aux jambes, mal aux pieds et mal aux hanches à la fin de la journée. Ce soir, au menu, c’est « riz aux petits légumes du jardin » (ce n’est pas avec ça que l’on va reprendre des forces !!). On mange en croisant les doigts (et ce n’est pas si simple !), pour que demain le vent soit au rendez-vous !

lundi 20 avril 2020

• un jour, une étape, une photo • #J1


Vous êtes quelques unes et aussi quelques uns à m'interroger, depuis notre retour, au sujet de cette longue balade sur le lac Baïkal. Vous vous dites être impatients de voir quelques images et je vous vois curieux de découvrir comment on peut s'y prendre pour se déplacer sur cette patinoire géante. 
Quels skis et quelles voiles emporter ? Combien de km parcourus par jour, combien de kg de matos à traîner, combien de jours de nourriture emportés, combien de degrès en dessous de zéro ? Des voitures sur le lac ? Des patineurs ? Du vent ? De la glace vive et de la neige ? Et pourquoi traverser ce lac en choisissant son sens le plus long ?!?!

Je ne sais pas si cette petite série quotidienne, " Un jour, une étape, une photo", répondra à toutes ces interrogations auxquelles, nous mêmes n'avons pas toujours de réponse !

Voici donc la première photo de cette série :


J 1 : "Notre premier jour sur le Baïkal"
35km dont 10 en kite...

Pas facile de choisir une seule photo pour résumer une longue journée mais si je ne devais en choisir qu'une pour illustrer ce premier jour, ce serait celle-ci : Quitter la civilisation !
Kultuk, extrême sud du Baïkal et départ en direction du grand nord !

On dit souvent que le plus dur est de se décider à partir et qu'une fois qu'on est lancé, on n'a plus le temps de se poser dix mille questions, juste à chercher quelques réponses...

Pour combien de temps partons-nous ? Jusqu’où arriverons-nous ? Trouvera-t-on autant de glace qu’annoncé ? Comment parviendra-t-on à se déplacer sur cette glace vive si typique du Baïkal l’hiver ? Y aura-t-il vraiment davantage de neige cette année que d’habitude ? Aura-t-on du vent ? Un peu, beaucoup, à la folie ou pas du tout ? S’en fera-t-on un allié ? Va-t-on avoir froid ? Peur ? Faim ? Mal aux pieds ? 
Et s’aimera-t-on toujours autant à la fin de ce périple qui peut-être, ne nous mènera nulle part ??

A cet instant, cette traversée n’est encore qu’une grosse et grande surprise et si on avait pensé aux 650km à parcourir, on aurait peut-être fait demi-tour illico !

A demain pour la suite !


samedi 18 avril 2020

-Carnet de voyage #5- Le journal de bord de la traversée...



 J'avais au cours de quelques voyages tenu assez assidûment un journal de bord puis un jour, j'ai choisi d'arrêter. Peut-être un peu par flemme, je choisis par la suite de me contenter de mettre par écrit quelques souvenirs une fois de retour…
 
Au cours des voyages suivants, je me suis alors rendue compte que ce petit rituel du soir, seule penchée sur mon cahier alors que tous les autres bouquinaient, écoutaient de la musique, discutaient ou dormaient déjà, ne me manquait finalement pas tellement. C'était devenu parfois davantage une contrainte qu'un réel plaisir. Sans compter, qu'une fois rentrée, il était rare que je prenne le temps ou que l'envie me vienne de me replonger dans ces petits carnets…
 
 
 Je ne saurais donc pas vraiment expliquer pourquoi, lorsqu'en février dernier, visa en poche, nous avons quitté l'Europe pour la Russie, je glissais dans mon sac ce cahier marron aux pages toutes fines. Peut-être pour y noter quelques mots Russes, que l'on pourrait faire lire aux gens, et qui nous sauveraient lorsqu'on serait perdu dans le métro de Moscou, à la recherche de la gare, quand on voudrait acheter du kérosène ou du chocolat. Peut-être aussi pour occuper ces longues journées de train et dessiner dans le Transsibérien. Ou peut-être encore pour tenir le compte des jours qui passent et y noter notre avancée durant cette grande traversée du Baïkal... 
 
 
 
Un cahier de calcul pour y aditionner les kilomètres parcourus ou un cahier du jour pour y noter nos états d'âmes...
Toujours est-il que chaque soir, entre le gonflage des tapis de sol, l'installation des duvets, les glaçons à faire fondre, la soupe à boire avant qu'elle ne refroidisse, le lyophilisé qui se réhydrate doucement et avant que la nuit ne tombe et qu'il faille allumer les frontales, j'ai trouvé quelques secondes pour coucher sur le papier chacune de ces journées sur le Baïkal... 
 
 
 
 
 
  
 
 
 
 
 

 

 
 
 
Le vent, la glace qui craque, la distance parcourue, la taille des voiles, la neige, les rencontres, la météo, le menu du jour, les bobos, la santé des pulkas, la neige... autant de sujets qui certes se répètent mais qui nous rappellerons que chaque journée est unique !
Et comme le hasard fait bien les choses, pour une fois, on a tout notre temps pour se replonger dans le journal de bord du Baïkal !