samedi 10 septembre 2022

Des peupliers qui dansent •Escal'A2roues#34•

Là-bas au loin, des peupliers qui dansent dans le vent. 

Oasis de verdure, oasis de vie dans ce désert de pierres, de terre et sable. 

L'eau.

Elle jaillit du captage de la source puis et acheminée par des béals pour enfin être répartie ici et là dans chaque champs. Donner l'eau et donc la vie à chaque lopin de terre, à chaque graine plantée est une préoccupation quotidienne. Une pelle sur l'épaule pour seul outil, de petits bourrelets de terre humide et l'eau circule d'un canal à l'autre, d'une culture à sa voisine...

Sans eau courante dans les maisons, la fontaine du hameau est un lieu névralgique, point de rencontre, de partage, de vie. On y remplit ses seaux, on y lave ses patates, on y fait sa lessive, sa vaisselle, on y boit une gorgée en passant à proximité, on s'y retrouve pour discuter, on s'y amuse. Des fois même, on y observe, curieux, des voyageurs y remplir leurs gourdes ou s'y asperger. 

Des murets en pierres sèches soutiennent ou délimitent les parcelles et des jardins parfois tout fleuris. Ils servent d'enclos à quelques animaux qui pâturent. Ici et là, des véhicules délabrés, souvent à l'état d'épaves dont on se demande par quels moyens ils sont arrivés jusqu'ici. 

Des enfants qui jouent quand ils ne vaquent pas aux mêmes tâches que les adultes. 

Des habitations basiques en terre sèche aux petites ouvertures et de formes rectangulaires. Sur leurs toits plats, du foin qui sèche ou les abricots de l'année, étalés sur des nattes, attendent que le soleil fasse son œuvre. 

A l'ombre de la végétation, des plates-formes en bois ou en métal couvertes de matelas colorés et garnis de cousins fleuris offrent un repos mérité. 

Parfois une petite boutique. Cela peut être l'épicerie au comptoir bien agencée où l'on trouve presque tout, excepté fruits, légumes, pain, viande et fromage ! Avec un peu de chance, un réfrigérateur en état de marche et une boisson allant de tiède tirant sur le chaud à bien fraîche. 

Parfois le "magazine" est une simple petite pièce ouverte à la demande où l'on ne trouve presque rien. Des denrées posées à même le sol, mélange de sable et de gravier. Deux cartons ouverts de biscuits en vrac se remplissant de poussière, une bouteille d'huile, quatre paires de chaussures d'enfants et trois cahiers d'écoliers. En insistant un peu, on vous dénichera sûrement un paquet de pâte ou de riz sortis d'on ne sait où ! 

Depuis les champs, les jardins, l'entrée des maisons, des mains se tendent, des "salamalekums" s'élèvent. 

Et toujours cette même question : "Atcouda ?" ... D'où venez-vous ? 

Évidemment, d'où peut-on bien arriver à deux roues... De l'autre bout du monde peut sembler si surréaliste. La curiosité n'est alors pas un vilain défaut. Elle ouvre au monde et élargit l'esprit.

Pour ceux qui n'ont pas la chance de pouvoir bouger c'est alors un peu le monde qui vient à eux, comme par magie. 

Les invitations au thé sont nombreuses et nous ne pouvons pas toutes les honorer. 

Assis sur des tapis, autour d'une table basse sur laquelle trône la théière fumante, un peu de pain, parfois même une soupe ou quelques abricots, la discussion se poursuit. 

Elle est entravée par la barrière de la langue mais à l'avantage d'aller très vite à l'essentiel sans détour et sans gêne.

Ici avec les gens du Pamir, dans le train au Kazakhstan, avec les marchands de pastèques en Ouzbékistan, lors de pauses en Arménie ou en Géorgie, avec les Turcs croisés et j'en passe, c'est à très peu de chose près le même déroulé à chaque fois. Je laisse souvent Bruno répondre car c'est en général les hommes que l'on salut, à qui l'on serre la main et à qui l'on s'adresse. 

Dessins à l'aide d'un bout de bois ou du doigt dans la terre, gestes et mimes sont de rigueur.

Sans fausse hypocrisie, les regards et expressions du visage parlent d'eux-mêmes à chacune des réponses.

Ton âge ? 54. S'en suit un geste pour dire que tu sembles plus jeune.

Et elle ? 34. Une légère incompréhension raye le visage...

Mariés ? On fait dans un premier temps mine de ne pas comprendre la question. 

"Copine". A leur tour de faire semblant de ne pas comprendre. Le traducteur est sorti mais la traduction ne semble pas les convaincre.

Quand cela devient un peu insistant, on cède : Da, da... mariés.

Enfants ? 4. Illico, on me montre à nouveau du doigt. 

Non, une autre femme. 

Un regard méprisant s'en suit à moins que ce soit celui de la pitié, peut-être différent d'ailleurs qu'ils s’agissent d'une femme ou d'un homme. Dans tous les cas, on ne me considérera plus du tout dans la suite de la conversation.

Leur âge ? Il ne sait pas. Ça change tout le temps !

Tu vas où ? Par là ! 

"Paca paca !" 

Bien que redondants et quelque peu intrusifs, ces échanges me confortent dans l'idée qu'être curieux, qu'aller vers l'autre et que s'intéresser à comment il vit à l'autre bout de la planète, est bien dans la nature humaine. L'indifférence n'est donc pas généralisée et c'est une bonne nouvelle.

Ces réactions spontanées et sans filtre me permettent néanmoins de comprendre un peu mieux pourquoi si loin, ailleurs, chez nous, on considère si peu "la copine" de second choix... Comme quoi, sans parler la même langue, je peux presque mettre des mots et appréhender un peu mieux ce malaise.

Il m'aura fallu traverser un bout de continent, pédaler des heures, des jours, des semaines et des mois. J'aurais vu défiler ces paysages, il m'aura fallu faire toutes ces rencontres pour cerner cette "non place", ce "rien" de la famille...

Nous quittons alors le village avec des enfants qui courent à nos côtés, qui expérimentent leurs quelques mots d'anglais ou qui nous accompagnent sur un bout de chemin, sur leur vélos déglingués...

Insouciance de l'enfance, bonheur partagé d'équilibristes ! 

Ça rend le cœur un peu plus léger... 

Quelques dizaines, parfois quelques centaines de kilomètres de solitude et d'effort avant d'apercevoir à nouveau là-bas, au loin... des peupliers qui dansent. 

Ce qui est bien avec les peupliers, c'est qu'ils ont beau onduler, il savent garder leur ligne et rester droits comme des "i".

Ce qui est sûr aussi, c'est qu'il y aura toujours du vent et que quoiqu'il arrive les peupliers danseront toujours. 

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