Vendredi, 16h, la cloche sonne ! Je fuis l'école en courant. Je troque ma jupette et mes stylos pour la panoplie de "Bob le bricoleur" !
Un drôle de week-end m'attend. 400 m d'escalade, 14 longueurs dont 8 d'artif. Pour cette aventure, l'aMi rouge m'accompagne et pourtant je suis seule. La Mirouge, n'est pas un pote révolutionnaire mais cette grande paroi sur la droite du Quié de Sinsat , barrée à sa moitiée par un énorme surplomb orangé.
Deux journées en paroi, pendus plein gaz, juste "toit" et moi !
Bref, voici l'histoire d'un week-end épuisant et effrayant... Une expérience comme une autre !
20h, le sac de hissage est plein à craquer. A l'intérieur, des croissants, du strap, une scie, une bonne grosses dose de motivation et un peu de quincaille !
Pitons, marteau, crochets, friends, coinceurs, mousquetons, étriers, jumar, fifi et longes réglables... sans oublier 160 mètres de cordes, des chaussons, un baudrier, un casque, un duvet, de quoi boire et une bonne frontale !
Cette dernière est d'ailleurs déjà vissée sur ma tête puisqu'il fait déjà nuit noire quand je décolle en direction de la paroi... "Décollage" est un bien grand mot puisque quand je quitte la voiture, chargée comme une mule, je rampe plutôt comme un escargot ! (...et on n'a jamais vu d'escargot décoller !)
Bref, je suis déjà presque épuisette quand je mets mon sac sur le dos ! Celui-ci me déséquilibre à chaque mouvement et je manque de basculer à chaque pas !… Et des pas, il y en a !
Après 2 minutes de marche, j’ai déjà trop hâte d’arriver alors je fais quelques calculs dans ma tête... Quand j’aurais atteint tel endroit, j’aurais déjà fait un tiers de la marche d’approche. Ce qui signifie donc qu'il me restera deux tiers du chemin à parcourir. Je repense à la leçon sur les fractions que j’ai tenté en vain de faire ingurgiter à une classe de CM2 le jour même… Je souris en me disant que mieux que des pizzas à partager ou des parts de gâteaux à manger, j’aurais peut être dû leur proposer un problème du type :
Mon sac pèse une tonne. Vous préfèreriez avoir déjà effectué les 9/10ème du parcours ou seulement le 1/5ème ???
...Peut être m’auraient-ils mieux comprise…
Etant donné que je double le temps de marche de la première étape du parcours, les deux tiers suivants s'allongent également. Il faut dire que je me perds toutes les 5 minutes. Le sentier est parfois très peu marqué et difficile à suivre à la simple lueur de la frontale mais ce n’est pas le pire…
Le pire, c’est quand tu cherches ton chemin dans les bartas avec 30 kg sur le dos et que tu te retrouves au milieu d’une harde de sangliers… ça bouge dans les buissons tout autour et je n’y vois rien. J’entends grogner alors je crie, je mets de la musique et surtout je suis morte de trouille !
Il y en a même trois qui semblent jouer à "trap'trap" et manquent de m'écrabouiller sur leurs passages !
J’ai le sentiment d’être un sanglier seul au milieu d’une battue, entouré de chasseurs. Même si la comparaison me fait presque sourire sur le moment, je ne trouve pas ça vraiment rigolo !
Je me trouve quand même un peu ridicule : je m’apprête à escalader toute seule une paroi de 400 m avec un toit de 20 m d’avancée et j’ai peur de pauvres cochons sauvages ! Quelle nouille !
Enfin au pied du toit ! |
Les 22h approchent et après m’être encore perdue à plusieurs reprises, mon pote Iphigénie m'indique que je suis quasiment à l’aplomb des Rochers de la Mirouge. Ouf !!
Je rejoins tant bien que mal le pied de la paroi à travers ronces (il ne manquait que ça !) et me trouve un tout petit coin plat, j’installe mes cordes au sol et me glisse sans attendre dans le duvet. Je constate que le ciel est joliment étoilé et je m'endors en espérant que la pluie annoncée pour la journée du lendemain soit juste une petite blague !
Au lever du jour, le ciel est déjà tout gris...
Depuis mon duvet, j'observe la paroi qui me domine en me demandant bien où est le chemin vertical qui me mènera jusqu'à cet énorme toit (j'crois bien qu'il a encore grossi pendant la nuit...) !
Finalement, je crois deviner la ligne. Je vérifie à peu près 10 fois pour être bien sûre de mon coup puis je saute dans mes baskets et enfile mon baudrier sur lequel je clippe un à un tous les mousquetons, dégaines, grigri, jumar, pitons, marteau, coinceurs... Bref, tous mes "friends" pour passer une bonne journée en compagnie de l'aMi rouge... Vous n'y comprenez rien ?! ... Moi non plus, mais à ce moment là, j'évite de me poser trop de questions et je fonce !
Je fixe ma corde au sol autour d'un arbre, je retrousse mes manches et j'attaque le chantier sans plus tarder !
Un des (seuls) avantages à grimper seule en s’auto-assurant, c'est qu’il n’y a jamais de tirage. J'en profite donc pour faire une très grande longueur de plus de 70 mètres ! Trois longueurs en une ! Me voilà déjà à quelques dizaines de mètres du sol, une bonne chose de faite !
S'ensuit un des (nombreux) inconvénients de grimper seule, faire 3 fois la même longueur : Une fois en grimpant, une fois en descendant sur la corde sans oublier de faire des fractionnements pour gérer les frottements et enfin une troisième fois en montant en jumarant et en déséquipant !
Ces premières longueurs mi libre - mi artif sont plutôt délicates et heureusement que je suis remontée à bloc. J'ai la sensation de grimper sur un tas de briques et je suis bien consciente que j'ai beau faire attention, je ne suis pas à l'abri de m'envoler avec une prise ! Je grimpe comme sur des œufs parfois je suis obligée de tirer ou de poser le pied sur des blocs douteux. J'en profite pour faire tomber un caillou sur ma corde en déséquipant ! Et bim ! Une belle tonche à 15 mètres du bout ! Il faudra à présent penser (en plus de tout ce qui me remplit le cerveau !) à grimper sur le bon brin !
Je suis tellement concentrée à réfléchir à tout ce que je fais, à essayer de tout calculer, à tout bien ordonner au relais, à enkiter mes cordes pour ne pas être embêtée plus haut que je me rends à peine compte que derrière moi, c'est le déluge ! En bonne petite SDF je me dis qu'il est bon parfois d'avoir un toit au dessus de la tête !
La longueur suivante est un beau dièdre orangé en 6b avec encore quelques passages en rocher pourri. Je parviens à faire tout en libre et à me protéger correctement avec des friends. Montée, descente et remontée, je commence à prendre quelques habitudes et ça déroule de mieux en mieux. Jusque là tout va bien !
Dans la longueur en 6b... |
Cette fois, j'y suis ! Me voilà, au pied du mur... enfin, au pied du toit !
En même temps que je le trouve énormément grand et terriblement impressionnant, je me trouve ridiculement microscopique !
La confirmation ne se fait pas attendre... J'aurais du manger plus de soupe ! Quelques centimètres de plus seraient les bienvenus pour se balader tranquillement de spit en spit sans faire trop d’acrobaties ! Je sors ma panoplie de parfaite petite artificière : crochet fifi et étriers associés à une bonne partie de gainage et démontage de dos.
En même temps que le vide sous mes fesses grandit, le relais se rapproche !
Dans la longueur du toit, tout en bas, le relais ! |
Un petit pas de libre (en traversée et en basket) plutôt impressionnant me permet de rejoindre le relais et de lâcher un pauvre "Youpi ! J'y suis !" ... Evidemment personne ne répond, même l'aMi rouge reste muet (Quel rabat-joie celui là !)
Le relais s'éloigne ! |
Je croque dans un croissant et bois une goutte d'eau pour fêter ça et reprendre quelques forces car la suite n'est pas moins laborieuse :
Descendre sur une corde plein gaz plus bas que le relais précédant, remonter jusqu'à celui ci, m'envoyer deux ou trois cailloux dessus au passage, les esquiver avec la main (aie !), démonter le relais, jumarer sur l'autre corde, déséquiper la longueur en essayant de récupérer tout le matériel (merci les longes réglables !)... Bref, le chantier !
Derrière, il fait un temps de coyote ! |
De retour, au relais, je me dis que les weekends c'est quand même fait pour se reposer et que j'ai assez bossé pour un samedi !
Je trie le matos, raboute mes deux cordes, fixe le tout au relais et je file en bas (à un passage de nœud près) !
On gère les frottements comme on peut ! |
De retour sur le plancher des sangliers, je constate qu'il pleut toujours. Je décide d'aller dormir au sec à la voiture mais c'était sans compter que j'y arriverais 1h plus tard trempée de la culotte aux chaussettes !
Je débarque donc en mode "chien mouillé & battu" (vu que j'ai mal partout !) chez Bruno à Tarascon qui m'offre gite, couverts, douche et séchage de chaussettes pour la nuit ! Mille merci !
Ma motivation est encore au beau fixe jusqu'à ce que je jette un œil aux prévisions météo du lendemain qui ont, semble-t-il quelque peu changé. La pluie est annoncée dès 14h. Un court créneau pour une journée qui s'annonçait longue : la marche d'approche à refaire, 130 m de cordes dynamique à remonter, plus de 200 m d'escalade à parcourir avant de tailler un chemin dans les buis pour rejoindre le sommet de la paroi et enfin redescendre à pied avec mes 30 kg sur le dos ! Cette histoire commence à sentir le but à plein nez ! Mais que faire ? Tout mon matériel est resté là haut au 5ème relais !
La nuit portant conseil, je m'endors comme une bienheureuse. Quand le réveil sonne à 4h, je rassemble mes affaires qui ont bien séché et reprends la route puis le sentier en direction du Toit de la Mirouge.
Cette fois, il fait toujours aussi noir mais je ne me perds pas (bien contente d'avoir enregistré la trace GPS du pseudo-sentier hier soir) et pour mon plus grand bonheur tous les sangliers pioncent à cette heure matinale ! Youpi ! Première victoire de la journée !
Approche et p'tit déj' |
La deuxième victoire, c'est de ne pas avoir vomi après avoir fait le yoyo et la toupie en jumarant 130 m sur les cordes dynamiques pendants plein gaz à la lueur de la frontale!
Un moment que je ne suis pas prête d'oublier... Il fait nuit noire, je pendouille dans le vide en tournant sur moi même à plus de 20 m de la paroi, je pompe essayant d'avaler l’élasticité de la corde en vain, je pense au rebord sur lequel la corde frotte et je trouve ça un peu effrayant ! Autour de moi, il y a tellement de brouillard que je serais incapable de dire de quel côté se situe la paroi, ni à quelle hauteur je me trouve. Sacrée ambiance !
Quand je finis par arriver au relais, mes mains éclairent mieux que ma frontale( vu qu'elles sont pleines d'ampoules !) et j'ai perdu un peu d'énergie dans la bataille !
Le jour se lève, je récupère mon matos, réorganise mon relais, enkite mes cordes et je pars dans la longueur suivante qui déverse encore sacrément !
Cette fois pour aller d'un point à l'autre, il ne faut pas être grand, il faut être géant !
C'est reparti pour des acrobaties. Merci les crochets ! Les transitions artif/libre ne sont, en règle générale, jamais simples mais en s'auto-assurant, j'ai l'impression que c'est encore plus compliqué ! Le mou ne vient pas comme il faudrait et je suis parfois obligée de me donner 2 ou 3 mètres de mou avant de quitter mes étriers. Bref, je galère et en plus j'ai peur !
J'enchaîne sur la longueur suivante qui déverse encore et toujours mais déroule davantage ! Gymnastique habituelle pour déséquiper avec encore un bon dévers et quelques pendules à gérer ! Je ne sors le nez du guidon qu'une fois à R7 !
Subitement, je me rends compte que mes mains me font vraiment souffrir. Je constate également que le ciel est déjà tout gris, je lève les yeux et observe la suite. C'est encore long : 4 courtes longueurs d'artif, un 6b, un grand jardin (la jungle m'a-t-on dit !) à traverser, un 4c très probablement pourri et 1h30 de marche pour rejoindre la voiture... L'espoir de réussir à sortir, avant que le mauvais temps n'arrive, s'éloigne soudain. A présent, le plus gros du devers est derrière moi et plus rien de me protégera de la pluie.
Mais que faire ? Descendre ?
Cette idée me traverse la tête en même temps que des sanglots me serrent la gorge. Je trouve cette réaction surprenante, je n'avais pas douté un seul instant jusque là...
Je comprends alors que je dois commencer à être un peu fatiguée physiquement mais surtout moralement. Je prends soudainement conscience que depuis deux jours, je suis constamment en action, en train de forcer, hyper-concentrée et tout le temps en train de réfléchir à tout ce que je dois faire... Jusque là, j'avais adoré cette sensation d'être seule et d'être obligée de tout gérer, de tout contrôler mais soudain cette solitude me pèse.
Le plus malin serait de redescendre avant d'être complètement trempée et d'éviter de passer une nuit pendue au relais. En plus, demain y a école !
Je suis aussi bien consciente que vouloir descendre ici, c'est chantier garanti ! Le dévers sous mes pieds est énorme et je ne suis pas certaine que mes deux cordes mises bout à bout touchent directement le sol. Il serait complètement illusoire de vouloir retoucher la paroi à un moment donné pour fractionner ma descente. Les choses se compliquent et pourtant il faut prendre une décision car je ne vais pas moisir là !
J'opte pour le joker "coup de fil" à un ami, et quel ami !
Quand j'entends la voix de mon amoureux à l'autre bout du fil, ce qui devait arriver arriva, je fonds en larmes.
Il comprend assez vite mon problème. Après avoir pris quelques instants la casquette de psy, il remet celle de guide et même celle de formateur (quelle patience !) pour m'expliquer quelques bidouilles qui m'aideront à redescendre jusqu'au relais précédant malgré le gros dévers. Une fois remise des mes émotions, j'exécute tranquillement étape par étape chaque manip. Un sacré bazar mais qui fonctionne !
Après avoir triangulé les points du relais, refait la dernière longueur en reclipant les points, l'avoir déséquipée, m'être chargée de tout le matos, fait un rappel sur nœud coincé, tiré la corde, rabouté les cordes et les avoir fixées, fait un passage de nœud... (Comme quoi, à l'école on apprend des choses qui peuvent être utiles!)
Ouf ! Je pose les pieds par terre en même temps que les premières gouttes tombent ! Bon timing !
Fin de chantier ! |
J'abandonne là mes deux cordes sans avoir spécialement envie de revenir me pendre dans le vide de sitôt pour les récupérer. Je suis à la fois déçue et heureuse de l'expérience de ces deux jours passés seule en paroi. Je reprends le chemin de l'école... je crois que j'ai juste besoin de repos !
Deux semaines plus tard, me voici à nouveau au pied du gros toit rouge. Il fait encore nuit noire et il me faut encore remonter plus de 100 mètres de cordes fixes à la frontale mais cette fois, je suis super bien accompagnée !
Nous nous partageons les longueurs et il fait grand beau. En milieu d'après-midi, nous sommes déjà en train de faire les sangliers. Ramper sous les buis avec un peu de matos au baudrier ce n'est pas bien évident, je n'ose pas imaginer ce que cela aurait été seule avec 30 kg de matériel de nuit et sous la pluie !
Une chose est sûre : A deux, c'est mieux ! ... Surtout quand le deuxième, c'est lui !
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