samedi 18 août 2018

Deux jeunes filles à la Ratti...

Les souvenirs de mon unique visite à la Noire de Peuterey commençaient à avoir quelques années…
 
Il y a 6 ans, en compagnie d’une joyeuse bande de pyrénéens, nous avions grimpé jusqu'au sommet de la Noire avant de poursuivre notre chemin en direction des Dames Anglaises, de l’Isolée, de la Blanche et du Mt Blanc... Un super voyage pour une fine équipe rentrée la veille d'une intense semaine de grimpe dolomitique.
 
 
Une première visite en face sud du Mont Blanc pour la plupart d'entre nous, un premier Mont Blanc pour certains, voir même (soyons fous !), un premier 4000 pour quelque uns… Cela laisse quelques traces et de beaux souvenirs !
 
Je me souviens du granit, de la neige qui tombe sur les Dames Anglaises, d'une séance de couture à Craveri, de rappels effrayants, d'un bivouac à 6 dans un demi-tonneau, de l’eau aux graviers, de l'arête de Peuterey interminable dans le jour blanc, des bonbons dans les poches, du manque de sommeil, de l'orage et de la foudre. Je me souviens aussi d'un refuge du Goûter glacial (au sens propre comme au figuré d'ailleurs), d'une boîte de chocolat à Tête Rousse, d'une descente à pied et sous la pluie jusqu'aux Houches avec nos bouilles de gens heureux !
 
 
 
 

Je me rappelle aussi avoir été impressionnée par le métier de guide, les compétences et les qualités requises par cette course longue et exigeante puis avoir été un peu découragée à l’idée même, d’un jour, songer à en faire mon métier.
Aujourd’hui, je comprends un peu mieux, des choses qui, hier, m’échappaient… Pour s'embarquer dans une aventure pareille avec cinq loustics comme nous, comme clients, il ne s’agit pas simplement d’être guide. Il faut surtout être talentueux et ambitieux.
Une intégrale de Peuterey avec cinq clients payée à la « journée guide des Pyrénées », il faut être généreux ou plus exactement passionné.
Sincèrement, merci Rémi !
 

Je me souviens aussi des sacs trop lourds, lestés de quelques litres d’eau puisque fin août, nous ne pouvions espérer trouver de la neige avant la Blanche (3ème jour !). Qu’il était dur de tirer sur nos petits bras, chaque « réta » tenait du miracle ! Le haut du sac appuyant sur mon casque m’empêchait de lever le nez et voir l’interminable chemin qu’il nous restait à parcourir. Nous nous étions alors péniblement hissés jusqu’au sommet de la Noire. Rampant, tels des escargots, le long de son arête Sud, sans vraiment en apprécier l’escalade et quelques beaux passages car bien trop chargés. Dommage, j’avais aimé le côté sauvage de cette montagne.
 

Là haut, une fois encore, une « nana métallique » à l’air un peu coincé, portant sur sa tête une sorte de torchon levait les yeux au ciel, l’air triste. Avant de dégringoler par les rappels de la face nord, je lui murmurais, au creux de l’oreille, un petit « hé, je reviendrai ! » espérant lui redonner le sourire, en vain. Six ans plus tard, est-ce qu’elle s’en rappelle ? Pas sûr ! Les nombreux impacts de foudre sur son crâne donnaient à sa tête une allure de passoire ! Pas gagné donc !
Peu importe, le rendez vous était pris ! 
 

L’équipe de tout jeunes apprentis alpinistes Pyrénéens que nous étions, avait alors continué son chemin vers le Mont Blanc suivant les traces d’un grand pyrénéiste. Précisément 42 ans avant nous, les sacs de Louis Audoubert et de ses amis* ne risquaient pas, eux non plus, de s’envoler : lestés de conserves de confits de canard, de cassoulets et de bouteilles de gnole en tout genre… Le style Pyrénéen !
(*1970, 1ère ascension française de l’intégrale de Peuterey ; 1972, 1ère ascension hivernale de l’intégrale de Peuterey)

Si aujourd’hui, Louis ne grimpe plus sur les sommets, il ne s’est, par contre, toujours pas résigné à quitter les fourneaux. C’est justement autour d’un de ses bons repas que ce dernier glissera entre quelques anecdotes aussi succulentes que ce qui se trouve dans nos assiettes : « Une autre fois, je suis remonté à la Noire. C’était par la Ratti en face Ouest, j’avais emmené avec moi deux jeunes filles qui n’avaient presque jamais fait d’escalade…»

Une voie côtée TD, longue de 700m dans une face raide et austère, à l’ombre quasiment toute la journée ; sans parler de la marche d’approche sur un glacier qui ressemble à un champ de bataille et d’une descente interminable… C’est vrai que pour une initiation, c’est pas mal ! Sacré Louis !
 

Il ne m’en fallait pas moins ! En voilà une sacrée bonne idée pour retourner à la Noire de Peuterey et tenir la promesse faite à la madone à la tête de passoire. 

La deuxième jeune fille est toute trouvée, ce sera Tiphaine. La seule qui te répond « Extraaa ! » quand tu lui proposes d’aller faire une bambée en montagne alors qu’elle t’a annoncé 30 secondes au paravent, qu’elle était complètement épuisée après avoir enchaîné une brillante expé au Pakistan, un stage d’aspi réussi et quelques teufs pas ratées non plus ! Je suis un peu crevée aussi et je n’ai pas beaucoup tiré sur les bras ces derniers temps, nous ferons la paire !

Si les deux grimpeuses débutantes de Louis ont réussi à se hisser là haut, pourquoi pas nous ?
Nous voilà parties !
La météo étant assez optimiste pour les jours suivants (et nous aussi !), nous embarquons de quoi manger et de quoi bivouaquer. On fait volontairement l’impasse sur le confit de canard et sur la gnole et pourtant les sacs sont quand même lourds. Le style Pyrénéens sans rien à manger ! Allez comprendre…


Nous disposons d'à peine deux jours libres devant nous. Si l’on veut continuer notre chemin vers le Mont Blanc, il nous faudra être très rapides. Ça tombe mal puisque les sacs sont un peu plombés (et nous aussi !) par cette lumineuse idée !

La montée au refuge de Monzino est à l’image de Tiph' : rapide et efficace !
Bien que parties à la bourre de Chamonix, cela à l’avantage de nous faire arriver à l’heure pour engloutir les lasagnes de Mauro ! Miam ! 
 
Nous sommes accueillies comme des princesses alors que nous jouons dans la catégorie mendiantes car nous avons chacune oublié nos portefeuilles à la voiture !

La face ouest de la Noire, nous fait face. On est quelque peu impressionné par sa raideur et on devine déjà l’audace de Ratti et de Vitali d’avoir su en 1939 trouver la ligne menant au sommet. Pour un « rocher école », c’est du costaud ! Chapeau les filles !

Fin juin est un bon moment pour aller faire un tour sur le glacier du Frêney. Il reste juste assez de neige pour pouvoir se frayer un chemin à la lueur des frontales entre des trous béants. Il n’est pas difficile d’imaginer qu’à peine plus tard en saison, approcher la Noire en passant sous l’Aiguille Croux relève de l’exploit !
 
 
Après 1h30 ou 2h de marche, nous avons traversé ce champ de bataille endormi sans encombre et au lever du jour, nous sommes prêtes à attaquer !

 

Le début de la voie semble sec et c’est plutôt la bonne nouvelle, vu qu’on nous avait prédit l’inverse ! La mauvaise nouvelle, quant à elle, ne tarde pas à sonner : les sacs sont lourds. On allège donc autant que possible le sac du leader en même temps que, selon le principe des vases communiquant, le sac du second s’alourdit considérablement.


Les premières longueurs donnent le ton : des cheminées, garnies de blocs coincés, raides et physiques. Belle mise en bouche et bon échauffement pour les pepettes ! La suite déroule davantage. Dans des dalles inclinées, c’est les vacances !

 
 
Quand la paroi se redresse à nouveau, j’en profite pour me perdre un peu. L’occasion d’explorer quelques longueurs bien raides et peu fréquentées si l’on en croit, les pitons que je sors du rocher à la main. Cette variante nous fait perdre un peu de temps mais nous finissons quand même par rejoindre l’arête neigeuse à mi- paroi en ayant toutefois laissé pas mal d’énergie dans la bataille.
Changement de costume pour les petons, on troque momentanément chaussons pour grosses et crampons.
 
 
Le bastion sommital nous surplombe. C’est tellement raide et tellement compact qu’on se demande bien à quelle sauce on va être mangé ! Le temps que les pieds apprécient le confort relatif et il est déjà temps d’enfiler les chaussons et de se remettre à grimper. Les longueurs dures nous attendent !
 
 
 
 
Dièdres verticaux, voir déversants. Les jeunes filles ont les bras qui chauffent ! Longes réglables, étrier et quelques dégaines supplémentaires auraient été les bienvenues pour la longueur d’A1.


Quand je me hisse enfin sur la petite marche du relais, un peu rôtie, je pense aux bras des deux jeunes stagiaires mais aussi à ceux de Louis à l’assurage. Tournée générale de compote de bras, pour nous y compris !
 
Nous voici maintenant dans les murs terminaux mais qui ne se terminent jamais ! C’est long, compact et quelque peu paumatoire. On croise de rares pitons, des cordes coincées et abandonnées… C’est à se demander si on est toujours dans la voie ! Cette fois, c’est les pieds serrés depuis trop longtemps dans les chaussons qui tirent la tronche. Mais les deux jeunes filles avaient-elles la chance de grimper en chaussons, elles ?

 
On ère un peu dans ces dalles fissurées jusqu’à ce que la Pointe Bitch apparaisse. Cette fois, le sommet est à porté de main ! Quand on débouche sur l’arête, on est tout simplement ravi.


On profite des derniers rayons du soleil en s’aménageant un petit coin pour passer la nuit. L’idée de rejoindre Craveri le soir même s’éloigne, tout comme les grands projets d’intégrale en deux jours en mode lourd et rapide…
Ces deux jeunes filles sont des rêveuses !
 
 
Une cordée masculine, sortant de l’arête sud, nous regarde hébété, sans comprendre d’où sortent ces deux drôles de nanas. Ils bivouaqueront un peu plus haut, cette nuit on aura des voisins ! On ne mixe pas les dortoirs ; les garçons en haut, les filles en bas !
Quelques cailloux pointus dans le dos ou sous les fesses, serrées dans un duvet pour deux, emballées dans un sursac bruyant comme deux papillotes, avant de fermer l’œil pour une petite nuit, les deux jeunes filles carpettes déclarent d’une même voie voix : « Une Ratti, ça nous suffit ! »
Bonne nuit !
 
 
Les premiers rayons du soleil nous réveillent (preuve qu’on a quand même un peu dormi !) et inondent la face Est et le tas de cailloux qui nous attend. La voie normale ressemble à un immense éboulis.
 Un petit tour au sommet pour faire une bise à la poupette métallique qui, encore une fois, lève les yeux au ciel en nous voyant débouler… « Tiens, encore deux jeunes filles qui se sont faites avoir sur la Noire… Mais où est Louis ? »

 
 A présent, il ne reste plus qu’à dégringoler très prudemment par l’interminable arête Est.
On s’attendait à du caillou pourri, on est servi ! La première partie de la descente est un cairn géant. On descend avec précaution en prenant soin de laisser passer la cordée des gars devant nous (malignes les filles !).

Malheureusement, on se retrouve bientôt coincé derrière eux au premier tiers de la descente. Galants, ils nous laissent passer, on accepte. Sûrement un peu (trop) pressées d’en finir et de rejoindre la vallée (pas si malignes les filles…)
La suite de l’itinéraire suit le fil de l’arête sur du caillou beaucoup plus sain puis l’itinéraire plonge à nouveau dans la face en direction du névé du Combalet par des pentes de terre, parsemées de blocs instables.
Alors qu’on désescalade un raide couloir de terre oblique, nos chers voisins nous envoient une rafale de cailloux qui s’engouffrent dans le couloir en diagonale et nous arrivent droit dessus. On n’a aucun moyen de s’échapper. Les blocs arrivent à toute vitesse au niveau de nos visages, nous frôlent, on hurle. Quand le fracas s’arrête, on se regarde, on tremble comme deux feuilles un jour de tempête. On s’enfuit du couloir aussi vite que possible pour se mettre à l’abri.

Ouf !!! Plus de peur que de mal mais quand même vraiment beaucoup de peur… Cette fois, on se dit qu’on a tout notre temps, on s’assoit et on attend. On laisse les footballeurs passer devant. On n’est plus pressé. Pas question de se refaire une nouvelle partie de bowling avec nous dans le rôle des quilles !

La fin de la descente se déroule sans accrocs. On rejoint le névé, les pentes d’herbe, le sentier vertical équipé de chaînes qui nous permet de rejoindre le Val Venis, la voiture et les tongs.
 

Ensuite, c’est deux jeunes filles, presque plus débutantes, attablées devant deux grosses pizzas et deux bières fraîches, qui depuis Courmayeur, contemplent la Noire. Et ça c'est juste «Extraaaa !» … comme diraient certaines…
 


5 commentaires:

  1. bien belle histoire de montagne.1 ex Biterrois du Chemin de l'Oasis

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour Lara, une des deux jeunes filles était Gilberte, sa future femme. Et c'est vrai, elles devaient avoir 19 ans et n'avoir fait que des courses de montagne faciles. Toutefois, cela n'a pas freiné la naissance de la passion de ma mère pour la montagne puisqu'elle allait se retrouver bloquée 3 jours à 100 mètres de la sortie de l'éperon Croz avec Serge Casteran. Serge qui lui aussi devait avoir dans les 19 ans et qui lui était vraiment débutant en alpinisme !!! Mon père avait une certaine confiance... Ce devait être au milieu des années 70. En plus, ils ont perdu le réchaud dès le premier jour de tempête et n'ont pas pu faire d'eau. La météo ne permettait pas non plus de sauvetage. Les 3 jours et 3 nuits ont dû être longs.
    J'espère que nous nous reverons bientôt. Je te souhaite plein de bonnes choses. Laurent Audoubert

    RépondreSupprimer