mercredi 3 octobre 2018

Objectif 427 !

Holà, holà !

C’est moi ! Vous me reconnaissez ?! … Le ratito de Fuente Prieta, la souris des Picos !

Cette année encore, j'ai eu la chance de me retrouver avec une colonie de taupes en vacances dans mon jardin. 
Alors que je somnolais encore après ce long hiver, un bruit sourd m’a brutalement réveillée. Un rugissement de bête féroce, un bruit d’ailes qui fouettent l’air à toute allure et une odeur de grillé m’a sorti immédiatement du sommeil dans lequel je comatais depuis quelques semaines. J’ouvris un œil et à ma grande surprise, je constatais qu’une drôle de mouche géante volait au dessus de mon jardin. Par précaution, je décidais de rester cachée dans mon nid douillet tout en gardant un œil sur ce qui se passait à l’extérieur !
 
 
 
J’avais, bien sûr, osé quelques sorties prudentes ce printemps mais après quelques glissades pas toujours contrôlées sur des flaques de neige et quelques gelures aux pattes, je n’avais pas tardé à retourner au chaud me recoucher. Les conditions étant trop rudes, je décidais de prolonger mon hibernation de quelques jours encore.

Cette année, dans les Picos de Europa, l’hiver semblait, jouer les prolongations. Qu’à cela ne tienne, j’avais largement de quoi tenir un siège dans mon garde manger grâce aux provisions faites l’été passé... (Merci les taupes !)

Je n’étais, de toutes façons, pas contre l’idée de me refaire une petite sieste. Le seul problème fut alors, qu’à présent, avec le boucan qu’il y avait dehors, j’étais bel et bien réveillée. Discrètement, je mis le bout du museau dehors et je ne pus que constater, ce que je craignais : dans mon jardin c’était un joyeux bazar !
Des bidons, des sacs, des combis poussiéreuses, du matériel métallique qui s’entrechoquait en me cassant les oreilles, des cordes, des bâches, des bouteilles, des œufs, des casques, des biscuits, du jambon, d’énormes pains, des tomates… et des taupes de toutes tailles !

A ce moment précis, je compris que, (rebelotte !), c’était la colonie !

 
 
En quelques minutes, tout recommença ! Les maisons de toiles poussèrent comme des champignons sur chaque petit coin plat. L’abri de réfugiés en bâches bleues qu’ils nomment « yourte » émergea d’entre les cailloux. Le dessous du névé voisin se transforma, pour mon plus grand bonheur, en frigo géant. Les taupes allaient et venaient, en tous sens, chargées de grosses bouteilles vides puis pleines, de sacs, de cordes, de casseroles, de fromage (miam !), de petites boîtes métalliques rouges (Wahou ! Cette année ils ont même de la bière !!), de panneaux solaires et même, tenez-vous bien, de savon et d’une serviette de bain ! Si, si… Les taupes passent leurs journées à se traîner comme des petits cochons dans la terre pour finalement s’astiquer à grand coup d’eau (tiède !) le soir venu ! 
 

Dès le lendemain de leur arrivée, ils vaquèrent à leur occupation favorite : profitez des belles journées ensoleillées en allant les passer dans le noir et le froid. Le thème de la colo n’avait donc pas changé : cette année encore ce sera spéléo !
 

Alors que j’avais jusque là besoin de mes deux petites pattes pour dénombrer le nombre de colons, quelle ne fut pas ma surprise quand j’en vis encore deux puis trois débarquer.

Le camp affichait, désormais complet. 13 taupes, un record ! Ça va remuer du terrain…
Des garçons et quelques filles de tout âge. Une vraie colonie de vacances, une vraie vie en collectivité… Moi, qui aime vivre ma vie comme je l’entends, me lever à n’importe quelle heure, grignoter quand j’ai un petit creux, roupiller quand le cœur m’en dit, aller gambader quand j’en ai envie… J’aurai bien du mal à m’adapter à ce rythme de camp scout !
 
 
Dès le premier soir, sous la yourte éclairée, les discussions habituelles (et interminables) ont repris… J’avais oublié à quel point c’était ennuyeux de les entendre parler de méandre, de 202, de frac’ et de dev’, de P40 et de P100, de les entendre s’extasier devant un grand puits tout noir.
Pendant que je festoyais tranquillement de quelques miettes agrémentées de beaucoup de fromage, les conversations allaient bon train sur les projets du lendemain mais finalement chacun finissait par aller se coucher sans que rien n’ait vraiment été décidé.


Dès le deuxième jour, deux taupes parties en exploration, rentrèrent l’air tout penaud, la queue entre les jambes et le pelage légèrement humide. Cela n’avait pas l’air d’aller fort !
La sanction tomba rapidement : Trop d’eau dans le 202 !

A voir l’état de taux d’humidité de leurs costumes, les autres auraient facilement pu deviner cette mauvaise nouvelle. A voir aussi la quantité de neige en surface cette année, ils auraient, aussi bien sûr, pu s’imaginer que « qui dit neige dessus, dit eau dessous ». La partie de spéléo du jour s’était transformée visiblement en session canyoning.
S’ils m’avaient demandé…j’étais bien placée pour leur dire, moi, que cet hiver il y avait eu beauuucouuup de neige… mais on ne me demande jamais rien à moi !

 


Le 202 était LA grotte qui les avait laissé rêveurs et plein d’espoirs pendant un an. La côte -600 atteinte l’été dernier leur avait laissé espérer un -900 pour cette année. Le 202 était l’objectif de l’expé 2018, je commençais à comprendre pourquoi les taupes étaient venues si nombreuses cette année.
Ce soir-là, le moral des (taupes)… euh des troupes était, quant à lui, bien bas, -900 environ.
Ils évoquèrent, non sans une pointe de jalousie, leurs voisins polonais qui eux batifolaient à -1000 chaque été. Pourquoi pas eux ?
Ils semblaient un peu désespérés, pourtant cette montagne est un vrai gruyère. Des trous, il y en a partout ! En parlant de fromage, ils émirent même l’hypothèse pour les années suivantes de préférer au Cabrales (le bleu local), de l’Emmental… histoire de trous parait-il !
Ce n’est pas une souris qui se plaindrait d’un tel choix !




Mais la déception ne dura qu’un temps et bientôt leur chagrin se dissipa dans une folle partie de bataille navale géante.
Je m’explique :
Le taupe top chef, dans le rôle du maître du jeu, assis avec le registre des grandes explorations du siècle en cours, ainsi que celle du siècle précédent, ouvert sur les genoux attend les propositions des taupes top joueurs.

 « 197 ! » …. « - 40 arrêt sur neige »
« le 222 » … « 1985 : puits de 20m et terminé ! »
« 256 ? » … « ça queute ! »
« 304 ! » … « rien… »
« Et le 286 ? » … « 2010 : P10 puis P30 puis trop étroit… »
« 226 ! » … « c’était en 1998, ça queute… »
« 225 ?? » … « un P100 et un point d’interrogation au milieu ! » Gagné !

Un point d’interrogation, une lucarne dans un puits, il n’en fallait pas moins pour que le moral des taupes refasse immédiatement surface.
Dès les jours suivants, ce fut donc le 225 qui devint l’objet de toutes leurs attentions.

 

Exceptionnellement et pour la première fois de toute ma vie de souris, la curiosité me poussa à les accompagner. Quoi de mieux pour échapper à la canicule que d’aller passer une journée au frais dans une cavité. Un matin, je me glissais discrètement sous un casque. Ni vu, ni connu, je réalisais ainsi la toute première journée de spéléo de ma vie et, ironie du sort, ce fut une journée de première ! Quelle découverte ! 

 
  
Moi qui m’attendais à devoir me tortiller dans tous les sens et à me rouler dans la boue, je fus bien étonnée de découvrir d’immenses puits (tous semblables d’ailleurs) et de ressortir de la grotte aussi propre que j’y étais rentrée. Ne me demandez pas ce qu'il y avait à voir, il faisait tout noir et je n'ai rien vu !

Alors que j’attendais tranquillement au creux d’un méandre que l’équipe de pointe trouve le meilleur chemin, je piquais un petit somme. Je fus alors réveillée en sursaut par une détonation à décoller les oreilles et par un souffle à vous faire vibrer les moustaches. « Baaaouuuum !!!!! » 
 
 
Une vilaine odeur de gaz d’échappement ne tarda pas à arriver. A peine dissipée, une seconde explosion se fit entendre, puis une troisième. Quelle trouille ! On se serait cru en pleine guerre des tranchées !

Le plus incroyable dans tout ça, c’est que tout ça avait l’air d’être parfaitement normal et personne ne montrait le moindre signe d’inquiétude. Les taupes se contentaient de se boucher les oreilles puis de se boucher le nez. Ensuite ils ramassaient et évacuaient les débris puis continuaient leur chemin donnant des coups de marteau à droite, à gauche… Plus ils s’enfonçaient dans les entrailles de la terre, plus leurs sourires grandissaient et plus je grelotais. Un vrai frigo ce trou ! Voilà pourquoi ces vieilles taupes étaient si bien conservées !!
 

Pourtant, j’oubliais bien vite le froid et le noir. Aller de découvertes en découvertes, perdant peu à peu des mètres de dénivelé commençait à sacrément m’amuser, j’étais de plus en plus impatiente de connaitre la suite. Nous nous faufilions dans de petits trous, nous nous contorsionnions dans des méandres et nous sautions dans des puits, cherchant notre chemin dans ce labyrinthe naturel. Finalement une grotte ressemble davantage à une souricière qu’à une taupinière.

Il fut bientôt l’heure de faire demi-tour et de reprendre le chemin de la surface. Je fus alors d’abord surprise puis complètement bluffée par la facilité avec laquelle les taupes grimpèrent, à toute allure, le long des cordes. S’il est vrai que les souris sont habituellement bien plus douées que les taupes pour grimper sur les cailloux, on peut dire sans crainte que les taupes sont redoutables pour remonter sur corde. A la lumière de leurs frontales, elles filèrent en un éclair jusqu’à la lumière du jour. Tant bien que mal, je tentais alors de les suivre, les muscles de mes petites pattes surchauffaient et quand je finis enfin par pointer le nez dehors, c’est la lueur de la lune que je vis ! Incroyable, j’avais passé des heures et des heures dans ce trou tout noir sans voir le temps passer. Bref, je m’étais tout simplement régalée !

 
 
 
Le lendemain, je décidais de récidiver, bien trop curieuse de découvrir la suite de l’aventure. Je voulais tellement savoir où ce méandre nous mènerait, combien de mètres de puits suivraient et jusqu’où cette folle exploration continuerait… Le jour d’après, je replongeais également et les jours suivants aussi… 

 


Un soir, à l’heure de l’apéro devant l’habituel coucher de soleil sur une belle mer de nuage, je m’aperçus que quelques tentes avaient disparu et que quelques taupes manquaient à l’appel. Je compris que la colo touchait à sa fin…
 

Les taupes ne tardèrent pas à remballer tout leur bazar et à quitter le terrain de camping. A regret, je les regardais alors s’éloigner mais maintenant je savais pourquoi l’été prochain, ils reviendraient !

 


En rentrant chez moi, je vis mon reflet dans un miroir. Quelle surprise ! Il me sembla que la couleur de mon pelage avait légèrement foncé et que mes yeux étaient maintenant un peu plus petits. Je m’aperçus aussi que mon museau s’était considérablement allongé… Je compris aussitôt ce qui était en train de se passer…
Voilà que je me transformais petit à petit en taupe et… à cause de mes escapades souterraines, mon garde manger de souris était, quant à lui, quasiment vide ! 
 
 

Peu importe… Je m’étais sacrément bien amusée cet été, et puis un petit régime serait le bienvenu pour les étroitures du 202. Grâce à mon flair de taupe débutante, je ne devrais aussi pas tarder à percer le mystère des méandres du 225…

Le rendez- vous était donc pris pour l’été prochain. Objectif ? Le 427 ! (202+225)
CiaO les taupes !
 
 
Photos: A.Maurice, B.Sourzac, L.Amoros

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