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Pour entrer au Laos, il faut un visa, ça tout les petits voyageurs le savent. Il y a les touristes bien informés et puis il y a les autres...
Dans cette catégorie, il y a les petits têtes en l'air qui lisent un truc périmé sur le net qui dit que le visa se fait pépouze à l'arrivée, à la frontière. Tranquille quoi !
Il y a aussi une sous espèce : les cyclistes zen qui ne vérifient pas l'information, les mêmes d'ailleurs qui devraient s'en soucier encore davantage quand le poste frontière est au sommet d'un col haut perché ! Inutile de préciser que l'on fait parti de cette catégorie là !
Quand on n'a pas de tête, mieux vaut avoir de bons mollets !
C'est cadeau ! Une route défoncée, tantôt en travaux, tantôt en goudron dans un piteux état et quelquefois en terre et un ballet de camions-bennes chargés de terre et convois de poids lourds vides, roulant à toute blinde. 1300 mètres de dénivelé pour nos chers petits mollets !
Nous quittons Hanoï le jour de Noël via un train de nuit. Il est 22h quand nous grimpons à bord. Une fois encore l'organisation de la société de chemin de fer locale est bien rodée : cabine couchettes, draps propres, de la place pour ranger nos 11 bagages et une responsable de wagon attentionnée. Les vélos, quant à eux, ont trouvé leur place dans le wagon à marchandises.
Bercés par le ronronnement du train, nous nous endormons vite en rêvant déjà à la prochaine destination : le Laos.
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Il est 4h30 du matin lorsque nous débarquons à Vinh, il fait encore nuit noire. Motivés, nous prenons illico la route encore bien calme à cette heure matinale. Le jour se lève peu à peu en même temps que nous quittons la route principale et que nous nous enfonçons dans des chemins de campagne. La saison est au labour des champs et c'est un véritable défilé de bufles.
La soixantaine de kilomètres de plat est vite avalée et à la mi-journée, nous sommes déjà au pied du col. On s'offre une pause de plusieurs heures, il n'y a pas d'urgence. Nous sommes le 26 décembre et nous avons jusqu'au 31 pour quitter le Vietnam. De plus, nous ne voulons franchir la frontière que le lendemain matin afin de ne pas perdre inutilement une journée sur le prochain visa.
Nous roulons vers le col aux heures plus fraîches pour autant la chaleur est bien pesante. Lacet après lacet, kilomètre après kilomètre, le but se rapproche.
Devrais-je dire "but", à tous les sens du terme !
Les camions nous doublent, les chiens nous coursent et les nids de poule nous secouent. Nous nous couvrons peu à peu de sueur et de poussière et l'heure tourne.
Lorsque nous plantons la tente sur un rebord de fossé et que nous nous jetons à l'intérieur, il fait nuit noire. Nous sommes aux premières loges pour le défilé de camions bruyants et aux phares bien éclairants !
Le lendemain matin, au réveil, le compte à rebours est lancé mais à cet instant, nous ne le savons pas encore...
Encore quelques kilomètres de grimpette et nous voici au sommet du col. Nam Phao checkpoint, devant nous la porte de sortie du Vietnam et ses gardiens en uniforme.
Nous prenons soin de dépenser nos derniers dongs dans le seul boui-boui à quelques mètres en mangeant une soupe à 10h du matin !
C'est lorsque nous présentons nos passeports aux douaniers vietnamiens que les choses se gâtent...
"Lao visa ?", ils n'ont que ces deux mots à la bouche. Autrement dit, sans visa, tu ne passes pas.
On tente en vain d'expliquer qu'on est monté jusqu'ici en vélo, que notre visa vietnamien expire dans quelques jours, que l'on a eu une info disant que le visa pouvait se faire à la frontière et que l'on ne va quand même pas retourner à Hanoï qui se trouve à presque 400km d'ici et surtout qu'on en vient !
Mais si un douanier faisait du social, ça se saurait... L'un d'eux nous colle sous le nez son écran de smartphone. Le verdict tombe :
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27 décembre, 12h04, apprendre le sens de ce mot à la mode : « résilience »
Une foule de questions se bouscule dans nos têtes. Comment aller à Hanoï et revenir ici en moins de 4 jours ? Combien de temps faut-il compter pour faire une demande et recevoir un visa à l'ambassade ? Quels documents sont nécessaires ? L'ambassade sera-t-elle ouverte en cette période de fête et de week-end ? Que faisons-nous des vélos ? Et de nos bagages ? Pouvons-nous les laisser là ? Et si nous choisissons ensuite de repasser une autre frontière plus au nord car plus proche ? Y-a-t-il des bus qui passent par là dans lesquels on pourrait embarquer ? Combien coûte l'amende par jour de retard ?
Évidemment, ce n'est pas dans cette situation que la sympathie des Vietnamiens remonte dans nos estimes, quoique... la seule qui essaie de nous aider est la femme de ménage !
Un pick-up nous demande une somme astronomique pour nous conduire à la dernière grande ville. On décline l'offre.
On tente notre chance avec des poids lourds mais ce coup-ci ce sont eux qui déclinent la demande !
Maintenant, il faut agir et vite !
27 décembre 13h, demi-tour !
On perd donc à contrecœur tous les kilomètres et les centaines de mètres de dénivelé avalés la veille en dégringolant la pente.
27 décembre 15h, petite ville en vue !
Des bus peuvent nous conduire à la grande ville où nous pouvons reprendre un train pour Hanoï mais je me dis qu'il y a plus simple : opter pour un trajet direct d'ici à la capitale. C'est un peu comme espérer un bus pour Paris depuis Bourg d'Oisans mais figurez-vous que ça fonctionne !
La gare routière est déserte mais on comprend que le bus devrait passer vers 19h. L'incertitude demeure quant au transport des vélos.
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27 décembre 19h, gare routière de ce patelin paumé…
C'est parti pour une discussion de marchands de tapis (ou de chauffeurs de bus qui essaient de vider les poches déjà vides de deux cyclistes en perdition !
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27 décembre 21h, marché conclu !
Nous voici allongés dans un "bus cama grand luxe", une couchette chacun et les vélos en soute. Dodo !
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28 décembre 3h30 du matin, Hanoï roupille.
Une dizaine de kilomètres by night à Hanoï jusqu'au centre ville, c'est chouette une ville la nuit !
Repérage de l'ambassade : ça n'ouvre qu'à 8h30.
28 décembre, 5h, Hanoï s'éveille.
Café sur un bout de trottoir dans le vieux quartier. Il fait encore nuit noire et déjà les scooters et les passants se multiplient à vue d'œil !
28 décembre, 7h02, même le ciel verse une larme !
Il pleut... et dire que cela fait presque un mois que l'on est au Vietnam et que nous n'avions pas vu une seule goutte de pluie. Un signe ?
28 décembre, 8h, mission "change money" !
Et oui, le visa ça s'achète et nous on n'a plus de sous... On trouve finalement un bijoutier intéressé par nos euros.
28 décembre, 8h29, Tic tac…
Seatting devant l'ambassade en Gore tex jaune.
28 décembre, 8h30, ouverture des portes !
Un peu comme le jour des soldes sauf que l'on est seul ou presque !
Bruno passe le portail et je le vois disparaître dans le bâtiment. Je garde les vélos et j'ai même le temps pour un petit dessin sur un bout de cahier...
28 décembre, 9h15, sortie souriante !
Voilà mon Bruno qui ressort avec le sourire et en compagnie de deux français que nous avions déjà aperçu, tenez-vous bien... hier à la frontière !
Même scénario pour ces deux cocos mais pour eux ça a été une mission "train+scooters de loc".
Mieux vaut en rire qu'en pleurer !
28 décembre, 9h30, une journée et une nuit à Hanoï en bonus !
Nos passeports décorés d'un nouvel autocollant devraient être prêts cet après-midi. C'est donc raté pour reprendre le même bus par lequel nous sommes arrivés en fin de nuit et qui est censé repartir à midi, tant pis !
28 décembre, 9h45, deuxième averse de la journée.
On débarque un peu humide dans une chambre d'hôtel et pour mon plus grand bonheur, je découvre dans la salle de bain... une baignoire !!! ...plus de 8 mois qu'on n'en avait pas vu !
Ni une, ni deux, je saute dedans ! Rassurez-vous les écolos, on n'a pas mis d'eau !
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28 décembre, 11h31-14h38, Hanoï sous la flotte...
Une journée à profiter des joies de la ville en vélo et sous la pluie.
On mange, on boit, on remange et on remange encore !
Il faut dire qu'on a trouvé LA boulangerie du quartier... Combien de kouign-amanns avons-nous engloutis ce jour là ?
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28 décembre, 15h!
46, youpi
Retour à l'ambassade. En quelques minutes le comptoir recrache tous les passeports avalés ce jour !
Nos noms ne sont pas écorchés, nos dates de naissance correctes, nos numéros de passeport complets !
Bingo !
Les douaniers ne vont pas en revenir !!
Il y a juste un peu plus de 24h nous étions désespérés devant leur guichet.
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28 décembre, 16h03, un tour à la prison d'Hanoï...
On profite de cette journée bonus à la capitale pour nous cultiver un peu. Quitter le Vietnam par la porte de l'ancienne prison, c'est comprendre pas mal de chose sur le pays, c'est mieux appréhender le contact avec les gens et avoir un peu d'empathie avec ces visages parfois fermés.
En résumé et comme souvent dans les ex-colonies :
Les français ont bien fait les craignos, les américains leur en ont mis plein la poire et se battre pour ses idées est toujours admirable.
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28 décembre, 23h08, une journée bien rentabilisée !
Après un énième tour du lac d'Hanoï à vélo, un énième repas, un énième bain et avec une énième page de nos passeports remplie, nous pouvons dormir sur nos quatre oreilles !
29 décembre, 10h, c'est reparti en sens inverse !
Vélo, gare routière, bus... on commence à être rodé !
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29 décembre, 21h, retour à la case départ ou presque !
Il fait déjà nuit noire quand on débarque du bus. L'heure est à la recherche du bivouac. Ce soir, pas d'hôtel, pas de baignoire, un terrain de foot plein d'herbes piquantes fera l'affaire !
30 décembre, 8h47, sur la route du col...
Refaire une grande montée, déjà gravie (et pour rien) deux jours plus tôt, ça fout un peu la flemme !
30 décembre 9h54, cyclos auto-stoppeurs !
On a beau tendre le pouce, arrêter les bus et faire des signes aux camions... rien n'y fait ! Personne ne semble avoir pitié de nous !
30 décembre 10h11, bingo un camion vide !
On saute dedans et ça tombe bien !
Brouillard à couper au couteau, on n'y voit pas à 20 mètres... la route est couverte de boue, les arbres dégoulinent et nous on est ravi d'être au chaud et au sec et heureux comme des paresseux de se voir épargner les derniers kilomètres.
30 décembre, 11h55, frontière en vue !
Dans cette brume humide, le poste de douane est encore plus glauque que d'ordinaire... On se croirait au poste frontalier du Pas de la Case une veille de rentrée des classes ! Tout est trempé, sombre et triste. Ici la chaussure officielle est la botte en caoutchouc !
Pour nous, c'est tongs, vestes et pantalons Gore Tex !
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30 décembre, 12h07, "Xinchao messieurs les douaniers !"
72h tout pile que nous avons quitté ces mêmes bureaux tout penauds... Aujourd'hui avec nos visas en poche, nous sommes fiers comme des bars-tabac !
Bon ça a changé d'équipe et personne ne nous reconnaît !
On ouvre nos passeports à la bonne page et on les glisse par la lucarne.
30 décembre, 12h08, notre joie ne dure qu'un temps !
Les passeports des autres voyageurs qui passent sous notre nez depuis quelques minutes ont tous un billet qui dépasse de leurs pages. Les nôtres non.
C'est bien simple : pas de billet, pas de tampon autorisant la sortie du territoire. C'est quand même fou comme de petits fonctionnaires à képi peuvent faire leurs lois.
On vient de se taper un aller-retour de près de 800km, on arrive à temps pour ne pas se voir infliger l'amende pour dépassement de visa, ce n'est quand même pas pour se faire racketter maintenant pour un tampon, un peu d'encre et les yeux de chien battu d'un douanier !
Nous, on est contre les bakchichs, vous comprenez ? Ne vous inquiétez pas, on a une tente, un réchaud et tout ce qu'il faut pour tenir qq jours devant le guichet !
Visiblement, ça marche mieux qu'une grève, que des banderoles et des manifs, en quelques minutes, on nous tend nos passeports tamponnés !
Alors en voilà une idée ! À l'heure où les français sont en train de se faire escroquer leur retraite, on propose un bivouac géant devant l'Elysée.
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30 décembre 12h38, La porte du Laos est devant nous !
Encore quelques formalités avec des laossiens souriants et ce coup-ci, nous pouvons enfin nous faire une tape dans la main accompagnée d’un bisou : mission accomplie !
« Allons voir Laos si j'y suis ! »
30 décembre, 13h02 le bout du tunnel et l'arc en ciel !
Quelques kilomètres sous la pluie et au détour d'un virage, tout s'éclaircit !
Le soleil réapparaît, ses rayons nous réchauffent, le paysage est magnifique et déjà des "sabaidi" s'échappent de toutes les bouches sur notre passage !
Bienvenue au Laos, le pays qui recule au fur et à mesure que tu t'en approches
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