S'il y a bien une leçon que l'on aura retenue de ces années passées sur les chemins du monde, c'est bien qu'en voyage tout prend des dimensions exceptionnelles.
Émotions toujours exacerbées, réactions quelquefois exagérées, corps parfois extenués, humeurs malmenées, rencontres souvent intenses et paysages éblouissants. C'est ainsi qu'une personne bienveillante peut ainsi devenir quelqu'un que vous aimeriez vénérer à jamais tandis qu'un arceau de tente brisé peut prendre des allures de fin du monde. On rit, on pleure, on adore, on déteste, on chuchote, on hurle...
En voyage, tout est plus beau, plus fort, plus explosif même ! La relation entre voyageurs n'échappe pas à la règle.
On a beau avoir choisi le meilleur des compagnons de vie, de route, de grimpe et de galères, on a beau l'avoir connu, testé et approuvé dans toutes sortes de situations, on a beau croire qu'on connaît l'animal dans ses moindres détails, il y a pourtant encore tellement à découvrir sur celui qu'on croyait connaître et aimer !
Mouvement permanent, inconfort quotidien, minimalisme matériel, sobriété alimentaire, hygiène sommaire, choix décisionnels importants... il n'y a pas de doute, en voyage, la relation amoureuse est mise à bien rude épreuve.
Durant ce long voyage, j'ai tantôt inventé les preuves d'amour les plus belles et les plus farfelues, tantôt dévoilé les plus mauvais côtés de mon caractère de petit cochon. Ce ne serait pas mentir que d'affirmer que ce fut quelquesfois réciproque.
Dans un tel voyage, on ne forme pas seulement un couple d'amoureux mais aussi une sorte d'équipe de vagabonds. Nous nous étions pourtant jurés, dès notre rencontre, de faire en sorte de ne jamais devenir de simple compagnons de cordée. Non seulement nous le sommes parfois devenus mais nous avons aussi été quelquefois colocataires de tente et équipiers cyclistes.
Dans un tel périple, l'amour est inévitablement malmené. On s'était aussi promis de se dire tout ce qu'on avait sur le cœur et sur les nerfs, on a toujours plus ou moins bien tenu promesse mais voilà que parfois les "maux" sont sortis tout en désordre : sans forme, sans consistance et sans élégance.
Dans un voyage au si long cours, il y a ce manque de repères fixes quand tout semble mouvant : l'épaule de ce bon copain sur laquelle poser sa tête, ce bout de jardin où se réfugier, cette balade qu'on aime bien pour aller s'aérer l'esprit, panser son cœur et vidanger ses yeux. Il y a juste ce visage connu que vous avez quelquefois détesté presque autant, qu'en réalité, vous l'adorez de tout votre être.
Partout autour, il y a cet environnement inconnu, ces gens qui passent, qui parlent une autre langue que la vôtre, qui vous prennent pour des fous ou vous envient d'avoir osé cette drôle de vie.
Chaque jour, il y a cet abri de toile à plier dès que le petit matin pointe son nez et que l'on ne peut réinstaller pour s'y reposer qu'une fois la nuit suivante venue. Il y a le vélo, ce moyen de déplacement qui demande un effort certain et il y a des jours où l'on aimerait simplement se laisser conduire et regarder le paysage défiler à la fenêtre. Et puis, il y a ces journées accrochés au rocher ou dans des pentes de neige dure comme de la glace et puis, il y a cette corde qui nous lie pour le meilleur et pour le pire.
Au sujet de la cordée... J'ai toujours aimé cette relation particulière et véritable qui nous lie à un compagnon et que l'on expérimente dans toutes sortes de situations en montagne. Dans ce lien, il n'y a pas de place pour le mensonge, le superflu, les artifices, la prétention ou la fausse modestie... On est très vite et presque toujours dans le vrai, le concret et l'essentiel. En montagne, on apprend à se connaître soi mais on explore aussi tous les traits de caractère de son compagnon de cordée.
Il y a de grandes similitudes avec un si long voyage... l'intensité physique est moindre (et encore que c'est parfois discutable), l'engagement vital réduit et le milieu moins hostile mais la fatigue nous a largement à l'usure !
Alors, après tous ces instants où cuits par le soleil rageur, glacés par le vent froid, bousculés par les bourasques ou malmenés par des côtes trop raides, nous avons unis nos forces. Après tous ces moments complètement fous où avec tendresse, on a aperçu dans le regard de l'autre des étoiles briller et parfois des larmes d'émotions se former. Après ces tempêtes de mots durs où chacun s'est recroquevillé sur lui-même et a attendu que le calme revienne, après toutes ces nuits où nos corps sales se sont blottis l'un contre l'autre pour s'aimer plus fort encore ou se tenir un peu chaud quand les températures dégringolaient sous zéro...
Je ne sais pas si l’on s'aime plus fort sur la ligne d’arrivée que sur celle du départ, si ces batailles et ces tempêtes traversées en chemin auront cassé quelque chose de profond en nous mais une chose est sûre : on peut dire qu'on s'aime toujours et qu'on se connaît désormais par cœur ou presque !
On sait maintenant que passer chaque seconde de chaque minute de chaque jour durant vingt-huit mois ensemble à l'autre bout du monde, ce n'est pas toujours évident mais on sait aussi à présent, que se retrouver séparé l'un de l'autre et de ne pas pouvoir se voir pendant des semaines est, pour nous, une véritable torture !
Alors que j'enchaîne les journées sur le rocher des sierras ibériques ou que je parcours les cimes pyrénéenes, je pense à mon koala préféré enfermé entre quatre murs dans un bureau à l'autre bout de la France loin de son écosystème.
Je pense aussi à ce 30 septembre 2016 et à ce message un peu osé envoyé à ce prof pas comme les autres. Dire simplement ce que j'avais sur (et déjà dans) le cœur, sans n'attendre véritablement rien en retour.
Aujourd'hui, 8 ans après, jour pour jour, je crois que les histoires d'amour, c'est un peu comme les grands voyages : parfois faut foncer et réfléchir après !
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