6 octobre 2014, 4 heures du matin…
Nous sommes assis à
même le sol.
Rangers et uniformes se déplacent dans notre champ visuel.
Discussions et éclats de voix, mélange amer de russe et de kirghize se mêlent
aux gémissements de douleurs de quelques uns d’entre nous qui ont essuyé une
arrestation plutôt musclée quelques minutes auparavant… Au fond de la pièce,
une cellule de dégrisement vide, genre cage au fauve, semble attendre son
premier locataire de la soirée. Nous voilà, échoués dans un des sûrement
nombreux postes de police de Bichkek.
Les kalachnikovs
sont brandies sans précautions sous notre nez… A croire que nous avions encore
besoin d’une petite dose d’adrénaline avant de quitter le sol Kirghize!
On nous avait
prévenus : « Eh les gars, ici vous êtes dans la capitale de la
Kirghizie !». Petite phrase bateau, d’apparence anodine mais derrière
laquelle on peut finalement y mettre tout ce que l’on veut : « ici
vous trouverez tout ce qu’il vous faut ! », tout comme « tout
peut arriver ! ».
Une embrouille en
boîte de nuit, et tu finis ta soirée au commissariat après t’être fait traîner
par terre et démonter l’épaule par une puissante clé de bras : ça ne
rigole pas!
Dans le regard de
mes compagnons de cordée, je rencontre tout l’éventail des effets observables
de la vodka locale. Il y a tout d’abord, celui qui, assommé par son taux
d’alcoolémie, ne comprend pas vraiment ce qui lui arrive mais reste tranquille.
Vient ensuite celui qui a l’alcool mauvais, l’hyperactif qui veut défoncer tous
les flics du coin sans oublier de les insulter comme il se doit, en prenant
soin de ne pas oublier leur mère et leurs sœurs (c’est vrai, c’est plus sûr
pour être certain d’avoir VRAIMENT des problèmes !). Je croise aussi la
peur dans les yeux de certains, complètement tétanisés par la situation peu
confortable dans laquelle nous nous trouvons. D’autres plus lucides, voit en
l’argent le seul dénouement et sont prêts à débourser toutes nos
économies en guise de bakchich! Sans oublier, l’individu complètement
euphorique qui gratte l’amitié aux policiers en leur chantonnant des airs de
chansons françaises et en leur demandant leur facebook…
Le punk de la bande quant à lui a déjà réussi à s’échapper... Quel guerrier!
Je me dis que la
bière et la vodka ont bien fait leur travail, ce spectacle me ferait presque
sourire.
Mais l’heure n’est
pas vraiment à faire les andouilles, mieux vaut ne pas la ramener et attendre
de voir le sort qui nous sera réservé quand tout ça se sera (espérons le)
apaisé.
Pour ma part, je
choisi de prendre mon mal en patience, l’occasion de se remémorer tout ce que
nous avons vécu ensemble depuis notre premier passage à Bichkek, il y a un mois
déjà et jusqu’à cette soirée bien arrosée qui nous ramène à ce commissariat et
à ce moment précis...
Tout a commencé début
septembre, nous sommes trois pyrénéens dans une voiture blindée filant comme un
bolide en direction de l’Italie, croulant sous les sacs de voyage, sacs de
hissage, cartons de nourriture lyophilisée empilés jusqu’au plafond.
Quitter les Pyrénées, c’est déjà l’expé !
Il fait 40° et
quelques centaines de kilomètres de voiture nous attendent jusqu’à Milan où
nous rejoindrons nos amis alpins. Le groupe est au complet (ou presque) :
Huit jeunes (Tiphaine, Ingrid, Lara, Julien, Matthias, Robin, Sylvain, Jonathan)
et trois guides, Christophe Moulin, Titi Gentet et Patrick Pessi.
Nous nous envolons
pour Moscou puis pour Bichkek, capitale du Kirghizstan. En sortant de
l’aéroport, la chaleur est étouffante. Le trajet en bus qui nous amène de
l’aéroport au centre ville nous permet déjà de nous plonger dans le bain
Kirghize. Des champs jaunes s’étalant à perte de vue témoignent d’une
sécheresse certaine en cette saison, des vendeurs de pastèques parsèment le
bord de routes, certains hommes portent de hauts chapeaux en feutre
traditionnels, les femmes des foulards fleuris. La circulation peut paraître à
première vue anarchique, certains ont le volant à droite, d’autres à gauche,
pourtant même si klaxonner semblent quasi indispensable à la bonne conduite, le
trafic n’est pas si dense ni extrêmement bruyant. Fatigue et chaleur nous
assomment un peu mais nous nous retrouvons vite devant une grosse tranche de
pastèque de bienvenue dans un petit havre de paix et de verdure au siège de
l’agence, c’est bien appréciable !
Après une journée
passée à déambuler sur les trottoirs des larges avenues de Bichkek, à
photographier les multiples statues monumentales du camarade Lénine, à faire
les fous en tandem dans les parcs de la capitale, à tester quelques restaus et à
faire quelques achats dans le grand Osh Bazar… Bref à faire les touristes, nous
sautons à nouveau dans un avion et nous envolons cette fois vers le sud du
pays. Toutes les compagnies proposant des vols internes étant sur listes
noires, nous serrons un peu les fesses au décollage mais nous atterrissons à
Batken sans encombre ni mauvaise surprise, c’est déjà ça !
Aéroport de Batken |
Trois heures de bus,
en mode rallye sur des pistes archi poussiéreuses, nous conduisent jusqu’à
Ouzgurush, petit village dont les maisons aux toits de tôles et aux murs de
terre séchée, sont entourées de clôtures fermées par un portail. Nous passerons
la nuit chez une famille qui offre des services de muletier dont nous bénéficierons dès le lendemain matin.
Arrivée à Ouzgurush |
S’en suivent trois jours de trek à travers des paysages arides et minéraux où nous ne croisons en tout et pour tout qu’un troupeau de moutons et quelques vaches. Après avoir franchi quelques cols, avoir avalé pas mal de déniv’, quelques bonnes heures de marches, réalisé deux bivouacs, tiré (voir parfois tractés) et pousser nos mules, nous arrivons le 14 septembre à destination : le camp de base, un beau cadeau d’anniversaire!
La vallée de Karasu se dévoile... |
Mais tout ne se
passe pas toujours comme prévu, l’arrivée au camp de base est un véritable
sketch :
Quand en début
d’après midi nous arrivons à l’entrée de la vallée de Karasu, nous découvrons
rive droite ce qui pourrait bien être le pic Assan et au fond le Pic Pyramidal.
A ce moment là, tout le monde, ou presque, est d’accord pour dire que la vallée
d’Aksu où nous avons prévu de passer quelques semaines se trouve juste
derrière. Mais quand nous voyons tous les muletiers s’engager sans hésiter dans
la vallée de Karasu, on commence à avoir de sérieux doutes! Ils nous assurent
que c’est ici que notre camp de base est installé. Effectivement, on refait un
tour rapide de nos mails enregistrés sur nos smartphones et c’est bien le nom
de Karasu qui figure sur les messages envoyés par l’agence. Eh ben voilà… on
s’est trompé de vallée !
Il faut dire que dans tous ces noms, on s’y
perdait un peu. Personne ne semblait appeler les sommets et les vallées par le
même nom : Karavshin, Karasu, Aksu, Pic Aksu…
On ne sait encore
rien de la suite de l’expé, mais en se trompant de vallée, on a sans doute déjà
réalisé une belle première !
On est un peu déçus
de se retrouver ici sans topos et sans vraiment d’infos sur les sommets et
parois alentour alors que plusieurs de nos objectifs se trouvaient dans la vallée
voisine, la vallée d’Aksu. C’est un peu dommage et cela nous ferait presque
oublier que nous arrivons dans une jolie clairière avec la rivière toute proche
où notre camp de base est déjà installé, comprenez par là : tente cuisine,
tente mess, tentes dodo et même tente toilette sans oublier la douche !
Max et Elena, deux jeunes Kirghizes aux traits tout aussi occidentaux que nous
sont là pour assurer l’entretien du camp et la cuisine.
Dès le deuxième
jour, les hostilités sont lancées. Tough, Robin et Sylvain partent dans la
vallée d’Aksu à l’assaut de la Tour Russe et de « Perestroïcrack »,
célèbre big wall de 800 mètres, ouverte en 1991 par une équipe de français dont
Mr Titi Gentet en personne !
Les copains partent pour "Perestroïcrack"... |
Pendant ce temps,
nous partons explorer la vallée de Karasu et réalisons dans la journée deux
voies de 700 mètres chacune sur ce que nous appellerons la Tour Rouge. Tiphaine, Christophe, Ingrid
et Pat choisiront le pilier et graviront ce que l’on baptisera la voie de
« la Flèche » alors qu’en compagnie de Titi, Julien et Matthias, nous
nous lançons dans la ligne de faiblesse qui raye la face, voie de « la
Diagonale ».
Session reconnaissance à la Tour Rouge |
Titi dans la Diagonale |
Julien et Matthias au sommet |
Ingrid dans la voie du pilier |
Tiph' en action... |
Je commence à
grimper en tête, le rocher est parfois humide mais globalement de bonne
qualité. Sans trop savoir si des cordées ont déjà parcouru ces itinéraires nous
trouvons réponses à nos interrogations en même temps que je rencontre un
spit! Tout roule jusqu’à une fissure oblique, large et déversante qui
nous crame un peu les bras, la longueur suivante n’est pas si facile non plus.
Nous rejoignons le fil du pilier puis le premier sommet et enfin le second, il
est 16h30. Mission accomplie, on devrait être de retour au camp de base avant
la nuit.
Ce qui ne sera pas le
cas de nos amis engagés dans le pilier, sortis tard de leur voie, ils se
verront obligés de bivouaquer sous le sommet et attendront le lever du jour pour
rejoindre le camp de base. Les nuits sont plutôt fraîches. Ils ouvrent le bal des bivouacs "à l'arrache"! Une voie et un
bivouac improvisé, ça commence fort !
Bien d’autres
bivouacs au confort médiocre suivront! D’autres très belles voies aussi…
Rendez-vous
donc au prochain épisode !
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