dimanche 24 juillet 2022

Parfois on perd, parfois on gagne... •Escal'A2roues#27•

 Chimkent, 5h00 du matin.

Nous venons de traverser la ville encore endormie à la lueur de nos frontales. Lorsque nous arrivons sur le quai de la gare, nous même à moitié réveillés, il fait encore bien sombre. Quelques personnes terminent leur nuit, allongées sur un banc, d’autres attendent patiemment leur train qui n'est pourtant prévu que dans deux heures. Les kazaques sont toujours en avance lorsqu'il s’agit de sauter dans un train ! 
On échange les banalités classiques. «D'où venez vous ? Aimez vous le foot ? Êtes vous mariés ? Quel âge avez-vous ?» 

Alors qu’on a presque fait le tour des présentations, notre train ne tarde pas faire retentir son sifflement et à pointer son nez. 

Nous sommes à présent rodés, c’est le sixième train dans lequel nous allons grimper au Kazakhstan en l’espace de 5 jours. Celui-ci nous mènera à Tashkent en Ouzbékistan. Les sacoches sont toutes retirées, la cordelette qui nous sert à ligoter les vélos à la verticale entre deux wagons est délovée, notre téléphone prêt à dégainer nos billets électroniques. 
Le temps d’arrêt peut varier de quelques minutes à plus d’une heure mais là encore, nous n’avons pas tout saisi, alors il vaut mieux ne pas trop traîner.

Le train stoppe sa course et la prodovnik de notre futur wagon saute sur le quai. Elle a à peine le temps de nous apercevoir qu'elle déclare que pour nous, c’est d’accord mais que pour les «velocipèdes», c’est «nieto» ! 

Elle nous invite donc à monter dans le train en laissant les vélos sur le quai. À notre tour de lui dire que : «désolé mais là, c'est  «niet » ! 

Zut, nous aussi, on peut le faire… Un partout, balle au centre ! 

S'en suit une partie enflammée de «ni oui ni non» mais avec toutefois beaucoup plus de «non». 
On sort alors le grand jeu : notre bon ami polyglotte, «Google Trad». Ce dernier tente alors d'expliquer à l'employée de la société de chemin de fer que nous avons déjà parcouru plus de 2000km en train à travers le Kazakhstan accompagnés de nos vélos sans soucis, celui-ci sera le dernier. 
La riposte ne tarde pas à arriver et l’interprète en ligne nous informe que ce train étant plus rapide et plus étroit que les autres, la règle est différente. Dans le Talgo, pas de vélo. 
Si on change les règles en cours de partie aussi… 

On sort alors notre plus bel atout : LA photo de nos deux bicyclettes bien rangées dans le train précédant. «Vous voyez, ça fonctionne !» 

Le joker "illustration" ne fait aucun effet sur notre adversaire et les "nietos" s’intensifient encore. On tente le chantage version Monopoly : «Mais quand même, on a payé !!!» 

Comme si tout pouvait s'acheter… Y compris la sympathie d'une prodovnik à l’air sévère. On joue ensuite la carte "yeux de cocker", espérant lui faire pitié : «Mais on ne peut pas pédaler avec cette chaleur, vous comprenez ?!» Échec cuisant. Pendant ce temps, l'heure tourne. 
Elle joue la montre : on est battu, je m'y résigne. 

Mauvais perdant, Bruno tente le tout pour le tout et se met en colère. Il hausse le ton et rapproche dangereusement son visage de l'autorité en question. Je le vois même sauter de force à l'intérieur du wagon quelques secondes avant le départ.

«Tu vas voir si je ne peux pas monter dans ton train !!» … Aie !!

Je vais quand même pas rester plantée là, toute seule, sur ce quai avec tout ce barda pendant qu’il part poursuivre les vacances en Ouzbékistan !! On pourra même pas se téléphoner, on n’a qu’un portable pour deux !!

Ouf ! Pour mon plus grand soulagement, il se fait jeter sur le quai à temps, les portes se referment, un coup de sifflet et le train démarre. 
Parfois on perd… C'est la vie !

Reste à trouver une solution mais pour le moment, nous sommes un peu décontenancés. 

Tous les trains qui passent la frontière sont-ils identiques ? Quand passera le suivant ? Y aura-il de la place pour nous ? Peut-on se faire rembourser nos billets ? …Et dire qu'on s’est levé à 4h du matin pour en arriver là…

Je tente de parlementer avec une caissière complètement hermétique assise derrière le guichet. Un seul mot à la bouche "nieto" ! Pas gagné cette histoire ! Désespérant… 

La suite est complètement surréaliste . Un couple de personnes un peu âgées (disons des gens un peu plus âgés que Bruno !) avec qui nous avions échangé quelques minutes avant l’entrée en gare de notre futur ex train vole à notre rescousse. 

En quelques mots accompagnés de quelques mimes, ils nous expliquent que l'on va prendre un taxi jusqu'à la frontière Ouzbek (environ 150km) puis que l’on roulera en vélo ensuite jusqu'à Tachkent, ville relativement proche. Un taxi ? Avec les vélos ?? Ils sont fous !!! Et puis un taxi se doit être hors de prix…

Oui, ils sont fous. Complètement fous de gentillesse et de bienveillance pour nous. 

Sans que l’on ait le temps de nous préoccuper de quoi que ce soit, un taxi est commandé et une collecte est organisée. 

Oui, oui, vous avez bien entendu : une collecte d'argent sur le quai. Comprenez par là que la dame et le monsieur en question s’approchent de chaque personne et de chaque attroupement sur le quai pour exposer notre situation. En moins de dix minutes, les billets circulent de main en main, les téléphones se rapprochent et des transferts d'argent, via une application, ont lieu. On ne sait combien de personnes ont-ils réussi à rallier à notre cause, tant tout se passe en un clin d’œil, avec discrétion.

Mais que font-ils ?? Impossible de les stopper dans cet élan de générosité, le budget est bouclé. Le taxi est là, il nous attend.

On nous propose même de nous acheter de quoi boire pour le voyage, on décline évidemment. Il ne manquerait plus que ça !

C’est toute un petite troupe qui nous accompagne à la sortie de la gare. Je n'ai déjà plus mon vélo en main, un jeune se charge de le conduire jusque sur le trottoir. Effectivement une voiture est là, coffre ouvert. Je ne peux m’empêcher de sourire quand je repense à la tête de Bruno quand il aperçoit notre futur taxi. Une berline. 

Dans son regard, je lis ça : « Comment voulez-vous qu’on fasse entrer deux vélos dans une voiture pareille ? » Par politesse, il ne dit rien et de toute façon dans cette histoire, nous n’avons rien à dire, juste à nous laisser conduire. 


En quelques secondes, nos vélos sont chargés dans le petit coffre. Empilés l’un sur l'autre, une roue, le guidon et une partie du cadre qui dépassent. Le tout est ficelé, nos sacoches sont empilées sur la banquette arrière et on nous pousse à l’intérieur de la voiture dont le moteur tourne déjà !! C’était quoi déjà notre problème !?!


C’est tout juste si on a le temps de faire une petite photo souvenir avec nos bienfaiteurs du jour, en tout cas avec ceux qui sont là, les nombreux autres étant restés sur le quai pour ne pas rater leur train. 


S’en suit environ 150km parcourus à 150km/h. Quand on sait que pour l’équivalent ou presque de la même distance, le voyage en train aurait duré 4h, c’est à se demander pourquoi on n’a pas penser plus tôt à demander à un chauffeur de taxi équipé d’une Renault Mégane de nous faire traverser le Kazakhstan en un éclair !!

Notre sympathique chauffeur nous déposera juste devant la douane Ouzbek, si la voiture était au calibre du portique de sécurité sûr qu’il nous aurait même conduit plus loin encore ! On veut lui offrir à manger et aussi nos derniers "tinges", la monnaie locale qu’il va nous falloir échanger à présent contre des "sums ousbek". Il décline fermement.

Une grosse heure plus tard, nous sommes arrivés à destination, Tachkent. On n’y croit toujours pas ! On est tellement en avance qu’on émet même l’idée d’aller attendre notre prodovnik préférée sur le quai car notre train va bientôt entrer en gare, après tout, on a nos billets ! La revanche, imaginez sa tête !

Parfois on perd, parfois on gagne et parfois on hallucine complet ! 

Happy end au Kazakhstan !

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