lundi 11 juillet 2022

Sur la route du tour...•Escal'A2roues#22•


Vaste étendue bleue à l'horizon, le Lac Sevan se dévoile à nous, au terme d'une sacrée journée.

60 km et 1600 mètres de dénivelé dans un flux quasi continu de voitures et de camions. C'est dimanche et aujourd'hui tout le monde est de sortie. Quelle idée avons-nous eu de faire cette étape ce jour-là ! Ce serait un peu comme aller faire ses courses à vélo au Pas de la Case, un week-end !
Le profil du terrain, la chaleur et la conduite arménienne nous malmènent un peu. En Arménie, tout comme en Géorgie, les deux roues sont des espèces rares et par conséquent menacées. Manque d'habitude ou simple négligence, c'est bien simple, on semble parfois être invisible !

On prend peu à peu de l'altitude en remontant une à une les épingles et en se frayant tant bien que mal un chemin au milieu de ce trafic bien dense. Imaginez deux pauvres bagnoles égarées au milieu du peloton cycliste du tour de France. C'est à peu près à ça que l'on ressemble !


"Refus d'obstacle" à l'entrée du tunnel, long de quelques kilomètres, qui évite la partie haute du col ("passer le tunnel du Mont Blanc à vélo un dimanche soir, c'est niet !") nous permet de retrouver une route déserte, de profiter du calme dans les derniers lacets, de s'offrir un bonus de 300 mètres de dénivelé supplémentaires et un beau bivouac frais au sommet.

Le lendemain, nous voici en route pour le Lac Sevan, la perle de l'Arménie ! 78km de long, 56km de large, perché à 1900 mètres, deuxième plus grand lac d'altitude après le lac Titicaca parait-il... Et si on en faisait le tour ?

A la force des mollets, sur la petite reine, voyons, quelles surprises la route du tour a, à nous offrir...

Km 0 : Tente pliée, sacoches bien ficelées. Top départ !


Km 2 : Grande descente pour rejoindre le lac et petite pause dans ce village perché à 2100 mètres d'altitude pour une partie de foot aussi endiablée qu'improvisée. Chacun y va de son coup de pied !



Km 8 : Passage au stand pour l'achat du p'tit dej' : le kilo de cerises quotidien accompagné de beignets à la patate. L'épicière déclare à notre grand étonnement et en français : "Bonjour, je m'appelle Ovasanna."
Avant le départ, elle viendra m'offrir une rose qui trônera sur mon guidon durant quelques kilomètres.

Km 10 : A peine avons-nous rejoint la berge du lac que je manque voir disparaître mon Bruno sous les roues de la première voiture venue. Mais pourquoi passer si près de nous alors qu'il n'y a personne sur la voie opposée. On vote à l'unanimité l'adoption de l'écarteur biodégradable. Entendez par là, une branche avec une touffe de feuille au bout, accrochée à notre porte bagage. Cela marchera un certain temps ou un temps certain.

Km 12 : Magnifiques hôtels soviétiques sur notre droite. Architecture coupée à la faucille et toit martelé au marteau. C'est à en faire frémir Steiner avec tous ces angles droits. La vue du balcon doit être superbe. On réserve pour ce soir ?



Km 19 : "Oh le train !" Coups de klaxon et grands signes à la fenêtre de la locomotive adressés aux coureurs du tour. Mythique !

Km 23 : "Wouah, t'as vu le bâtiment là-bas ?" Demi-tour !



En passant sous une palissade en béton éventrée, on entre dans l'ancien complexe hôtelier. Cela fait quelques temps que le jardinier ne fait plus le job. Allées envahies de buissons, réception en ruine, bungalows abandonnés, tout est charmant. Mais c'est pour la salle de restaurant panoramique que j'ai le coup de foudre. Chapiteau métallique et verrière arrondie avec vue sur le lac. Trop la classe !


Une sieste sur la terrasse ensoleillée et c'est reparti 


Km 31 : Pause ravitaillement dans l'une de ces épiceries de bord de route où il n'y a quasiment rien à acheter si ce n'est des chips et de la vodka. On opte pour le premier ingrédient, alors que l'on mange assis par terre, à l'ombre du préfabriqué métallique, la vendeuse nous invite à entrer pour prendre un café. Ce dernier sera aussitôt accompagné de bonbons et d'une glace. Autour de ce goûter, nous discutons de la pluie et du beau temps, c'est à dire du nombre de kilomètres jusqu'au prochain vrai supermarché et de la glace qui se forme ou pas sur le lac en hiver.
En quelques minutes, la petite dame devient pour nous la Maman de Sergueï. Sergueï, 18 ans, mort à la guerre contre l'Azerbaïdjan tout proche, en 2021. Il y a quelques mois à peine, cette maman perdait son grand garçon pour des querelles absurdes entre deux nations voisines. Tristesse, colère, incompréhension... Pourquoi encore ces horreurs aujourd'hui ?
Nous l'embrassons, la remercions, lui souhaitons plein de courage et reprenons la route. C'est tout chamboulés que nous quittons ce village nommé Drakhtik.
"Drakhtik" veut dire "Paradis"


Km 41 : Shorzha. Une épicerie un peu plus digne de ce nom qui va nous permettre de faire notre premier vrai repas de la journée. Ce soir : pain, fromage, saucisse, tomates. Épicières aimables comme des portes de goulag. On ne s'attarde pas, on continue !

Km 45 : Au niveau de ce cap, la route quitte la côte. Et si on coupait par ce chemin en terre. 5 km de tôle ondulée plus loin, nieto, ça ne passe pas ! Peu importe, le spot est royal pour dormir. On pause le bivouac et on profite encore de quelques heures de soleil. Trop calés !


Km 61 : Alors que l'on mange trois graines en guise de p'tit déj' assis sur le parapet d'un pont, un 4x4 arrivant en sens inverse se gare à notre hauteur. On comprend plus ou moins que le conducteur réclame une photo. Pas bien réveillée, je lui montre l'appareil mais il nous fait comprendre qu'il souhaite être lui aussi sur la photo. Pendant que Bruno installe l'appareil en mode déclencheur automatique sur le toit de la voiture, le gars se rapproche louchement de moi. Le temps que les dix interminables secondes du retardateur ne s'égrainent, il m'agrippe par la hanche et me plaque contre lui. Je déteste. Clic, clac ! La photo est dans la boîte, il va me lâcher maintenant. C'était mal connaître l'animal. Le temps que Bruno se retourne pour aller récupérer l'appareil et voilà sa main sur mes fesses. Je lui retourne la mienne dans la figure mais comme il est grand et surtout gros, elle ne lui giflera que l'épaule. Peu importe, l'intention y était. Il me regarde surpris avec son air de gros malin puis tend sa grosse main à Bruno. Pas gêné le type ! On lui fait signe de remettre ses fesses dans sa voiture et de dégager vite alors qu'il insiste encore pour une poignée de main amicale. Le 4x4 finit par repartir, on se regarde, scotchés. Aussitôt la photo est supprimée.


Km 72 : Retour à l'humanité. On fait un stop dans une énième micro-épicerie pour boire un café et là encore, on nous offre une glace pour l'accompagner. Bientôt, cinq papis débarquent, les bras chargés de sac remplis de commissions. En quelques minutes, certains organisent table et chaises pendant que d'autres coupent légumes, fromage et pains. Les derniers sortent les verres et les bouteilles. Efficaces. Très vite, les voilà à table pour un repas entre vieux copains d'enfance. Évidemment, on nous invite à trinquer : vin, vodka ou bière, on a le choix ! On parvient à décliner l'offre liquide et on opte pour du solide, un bout de pain et du fromage avant de se remettre en selle. Une fois encore, on ne nous laissera rien payer.


Km 78 : 
A l'ombre du tracteur, au milieu du champ, des ouvriers agricoles nous interpellent. Ils nous invitent par de grands gestes à boire un coup avec eux. On fait mine de ne pas tout comprendre, on les salue et on évite avec brio ce "traquenard vodka" à 11h du mat' !

Km 88 : "Oh un copain !"
C'est toujours chouette de croiser un voyageur à vélo. Les questions sont souvent les mêmes... D'où viens-tu ? Depuis combien de temps es-tu parti ? Où vas-tu après ?
Ce jeune belge avait commencé son voyage avant la pandémie et a du l'interrompre au bout de 6 mois. Son vélo l'a sagement attendu pendant presque deux ans en Turquie, avant que ne sonne l'heure des retrouvailles en avril dernier. Comme il fait le tour du lac en sens inverse, nous nous donnons rendez-vous à Erevan dans quelques jours. Qui sait !?

Km 90 : On choisit de prendre ce raccourci en terre pour éviter la grande ville de Vardenis... C'est beau, c'est calme mais il n'y a rien à manger !

Km 103 : On rejoint la grande route, et faisons une halte devant une station essence.
Les stations essence sont assez semblables aux nôtres, à un détail près. Pas de pompes mais quelques bouteilles en plastique remplies de carburant sont posées au sol. En même temps, ici, on roule au gaz.
"Barev barev, restaurant ?" : 1km par là.
Ce n'est pas la bonne direction mais la faim nous pousse en contre-sens !

Km 104 : Un grand bâtiment avec de grandes baies vitrées noires et quelque chose écrit en haut. "Restaurant ??"
"Da, da" "OK, cool !"
Un petit espace sur le côté du bâtiment sert de bar, on nous conduit par un couloir dans une petite pièce à l'arrière. Des toilettes ?
Non. Dans ce cagibi, il y a la place pour une seule table où le couvert est installé pour quatre personnes. On se regarde un peu interloqué. Le patron ramène bientôt avec lui, une nana en mini-jupe, couverte de maquillage et avec de grandes boucles d'oreilles. On est tombé dans une discothèque ou quoi ?!
Cette dernière nous montre sur son téléphone des photos de frites et de salade trouvés sur le net.
Affamés comme nous sommes, on salive déjà ! On a cependant la présence d'esprit de demander le prix.
7000 dram... 7000 ??!?
On mange habituellement pour 1000 chacun. Décidément, ici, c'est vraiment louche...
On renfourche nos vélos, le ventre toujours aussi vide et sans avoir vraiment compris où on venait de mettre les pieds !

Km 117 : Une voiture arrivant en sens inverse nous fait des appels de phare et s'arrête à notre hauteur. Une main se tend à la fenêtre avec des biscuits.
"Abris, Abris !"
Ils sont tout mous mais c'est bien chouette quand même !

Km 120 : Décidément sur cette grande route, les voitures jouent avec nous comme avec des boules de flipper. Je suggère de rallonger l'écarteur mais ce serait exagéré de trimballer un rondin sur le porte-bagage. On opte pour le maillot jaune. Ce sera peut-être le seul tour où il y en aura deux leaders sur la même étape. De toute manière, l'important n'est pas de gagner mais de participer, non ?


Km 132 : Une pseudo épicerie de plus, c'est à dire une pièce quasi vide avec 30 bouteilles de marque diffrentes de vodka, 9 de soda, 6 de biscuits et 3 de chips. Ce coup-ci, c'est grand luxe, il y a aussi du pain. On en dévore un gros sur place. On nous offre deux bouteilles de limonade. C'est frais, c'est bon. C'est donc ça le "Sevan Up" ?
Quand on demande à payer le pain, là encore, c'est cadeau !

Km 138 : Une belle route bordée de pins qui longe la côte, on se croirait dans les Landes.


Km 139 : La plage, des jeunes en maillots de bain et une vielle voiture jaune, on se croirait dans un film des années 60.

Km 141 : Fin d'étape à Martouni, 96km dans les pattes aujourd'hui.


Km 158 : Le paysage est magnifique. Falaises de basalte, grandes étendues vertes, lac couleur menthe à l'eau et grand vent qui souffle.
Et si on se posait un peu sur la plage par là ?
Pour une fois, qu'on veut se la couler douce à la plage, c'est un troupeau de vaches qui débarque ! On fuit illico !


Km 162 : Des préfabriqués métalliques et des marchands de poissons séchés jalonnent la route et nous interpellent. Du poisson au p'tit dej', ça te branche ?!? Hi !


Km 180 : Pause chez un marchand de caillou.


Des énormes blocs, une très grosse machine qui les coupe en tranche avec un système de scies et d'eau qui asperge les fissures et puis un pauvre homme qui sculpte, plié en deux, le dos cassé, en plein soleil, des pierres... tombales.


Km 185 : Des champs de patates en fleurs, des gens qui font les foins et des vielles carcasses de voitures plantées à la verticale qui servent de barrières entre les parcelles.

Km 190 : Deux motards en vadrouille qui ont emmené leurs chiens sur leurs porte-bagages nous saluent.

Km 195 : Un groupe de cyclistes déguisés en coureurs du tour, avec vélos à assistance électrique et avec une voiture suiveuse font mine de ne pas nous voir. Ben ouais... On ne joue pas dans la même catégorie... Nous, on pédale en tong !

Km 212 : Zone habitée en vue : demi-tour pour retrouver un coin sauvage. Un Kebab, un podcast very good trip qui nous transporte à Woodstock et au lit.

Km 230 : La route est bien trop étroite et bien trop fréquentée pour ne pas rouler de temps à autre dans le bas-côté. Hâte de fuir le trafic !

Km 242 : Sevan, retour à la civilisation !

La grande ville du coin, cerises, abricots, croissants au chocolat et café !

Papotage avec deux touristes suisses qui reviendront quelques minutes plus tard nous offrir un "sujukh".
Sucrerie Géorgienne et Arménienne : noix enrobées de sirop de raisin effilées sur une ficelle. Merci !

Un autre homme nous offre aussi un espèce de thé chaud aux fruits rouges. "Abris" !


Cette fois, la boucle est bouclée. Il ne reste plus qu'à se laisser filer vent dans le dos sur l'autoroute en direction de Yerevan !

Pour le meilleur grimpeur, c'est le maillot à poids et pour le meilleur descendeur ? Pointe à 66km/h !

Bref, c'était l'épopée de deux cyclistes sur la route du tour... du lac Sevan.

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