dimanche 25 juin 2023

Contrastes.Escal'A2roues#89.










Konniti ha Japan !

Une nouvelle planète pour les vélos magiques, un monde nouveau pour les petits voyageurs.

Bienvenue au Japon ! Une fois encore, le changement est frappant . Ce coup-ci, il est même épatant. Quel contraste avec ce que nous avons connu jusqu'ici !

Une joie tout d'abord de quitter un aéroport international en pédalant sans prendre le risque de se faire aplatir sur la première bretelle de rocade triple voie. Il paraîtrait même que l'accès routier à certains aéroports est interdit aux vélos. Ici en sortant du terminal, c'est presque une piste cyclable qui s'offre à nous !

Quelques tours de roues suffisent déjà à donner les premières notes de cette toute nouvelle partition qui se déroule devant nos roues. Ainsi, en à peine quelques kilomètres parcourus, en quelques regards croisés et quelques véhicules rencontrés, nous prenons déjà un peu mieux la température de là où nous venons de poser nos pneus.

Calme et propreté nous sautent aux yeux et aux oreilles et déjà une vague de curiosité me submerge. Sur une île volcanique et aux antipodes de ce que nous connaissons, c'est presque d'un tsunami dont je devrais parler !

Cela fait quelques minutes à peine que nous roulons lorsque sur le bas -côté de la route, au sommet d'une butte, j'aperçois tout un tas de têtes, d'yeux et d'objectifs photographiques braqués dans la même direction. Qu'avons-nous raté de si fantastique ?

Un ours qui baille aux corneilles en se réveillant au sortir de l'hiver ? Une grue du Japon en train de prendre la pose ? Un phénomène rarissime à observer ? Des fleurs qui éclosent ?

Quelle n'est pas ma surprise quand je découvre que toute cette petite foule, tous ces regards ébahis et tous ces gros appareils photos posés attendent simplement que des avions décollent ou atterrissent pour faire d'eux des milliers de clichés ! Ornithologue spécialisé dans l'aéronautique, en voilà une passion !

Mon petit doigt me dit, qu'ici, nous ne sommes pas au bout de nos surprises. J’ai déjà hâte de découvrir le reste. Et la suite se déroule aux toilettes !

De toutes ces contrées et de toutes ces cultures rencontrées ces derniers mois ou depuis des années, j'ai fini par élaborer une petite théorie.

S'il y a bien un endroit qui ne trompe pas, un lieu qui est le reflet d'un bout de la société, un passage obligatoire pour toutes et tous et tous les jours, un petit coin qui souvent en dit long, c'est bien le trou où l'on dépose nos besoins quotidiens. Ainsi quand on va faire pipi, on peut aussi faire du tourisme, de la sociologie et de l'ethnologie !

D'un simple trou dans la terre à une machinerie de technologie incroyable, les toilettes sont un vrai témoin de la société dans laquelle nous mettons les pieds, ou devrais-je dire les fesses !

Écoutez les, observez les et respirez les : ils ont tout un tas de choses à nous raconter ! Vous y découvrirez tout d'abord quelques indices sur le rapport et le niveau d'exigence en terme d'hygiène.

Présence de papier ou d'eau, petit seau ou petit jet vous parleront très certainement de religion, tandis que les systèmes de camouflages du bruit ou de l'odeur diront tout d'une certaine forme d'hypocrisie sociétale !

Le papier doux, moelleux, épais, fin, rapeux, blanc, rose ou marron, lui aussi en dit long.

Cuvettes avec ou sans lunette, urinoirs, trou creusé à même la terre, simple orifice dans une dalle en béton, toilettes sèches ou à la turque, petite balayette, chasse d'eau, lavabo plus ou moins brillant, savon plus ou moins moussant, sèche-main en plus ou moins état de marche, dérouleur de papier automatique ou bout de tissu à la couleur douteuse, poubelle miniature totalement vide ou grand contenant qui déborde !

"Mieux vaut un petit chez soi qu'un grand chez les autres" entend-on parfois. J'ai toujours associé cette formule aux WC.

Le temps passé au petit coin pourrait donc être tout aussi révélateur du confort rencontré, à toutefois une exception près. Cette foutue tourista qui vous attrape toujours dans un pays où les toilettes incitent davantage à partir en courant qu'à y poser un bivouac. La densité de toilettes publiques au kilomètre carré est aussi un indice très intéressant, bien que je ne pense pas que certaines populations aient des envies plus pressantes que d'autres mais plutôt que certains peuples ont la chance de pouvoir se soulager plus facilement que d'autres.

Ici en terre nippone, la théorie des toilettes se vérifie, voir même elle s'étoffe grandement tant je découvre des choses que je n'aurais même pas imaginées ! Chaque mini supermarché, chaque parking, chaque parc a ses toilettes. C'est ultra propre, chauffé, éclairé, on y squatterait sans soucis !

Une cuvette impeccable, une lunette toute chaude (et oui !) et un boitier électronique digne d'un tableau de bord d'un avion, à portée de mains. À quoi peuvent bien servir tous ces boutons ? Jet d'eau tiède bien orienté et à pression variable, système de séchage et bruitage masquant le "plouf" de la crotte qui tombe.

Quelles dépenses énergétiques pour de malheureux WC mais quel bonheur lorsque des fesses gelées et douloureuses de cycliste y trouvent un peu de réconfort sur une lunette chauffante ! Pas de doute, ces endroits en disent long sur le Japon mais je referme cette parenthèse en même temps que la porte des toilettes !

Le printemps bat son plein sur l'île lorsque nous débarquons. Tous les arbres ont enfilé leurs costumes printaniers. Les jardins sont multicolores, les arbres croulent sous le poids des fleurs et des pétales blancs sont transportés çà et là par le vent.

Tous les regards sont tournés vers les cerisiers en fleurs et tous les japonais n'ont que deux mots à la bouche : "cherry blossom".

Ici c'est "hanami", une tradition japonaise qui consiste à apprécier la beauté des fleurs. Quelle poétique occupation ! On peut dire que niveau pétales, pistils et étamines, ils sont servis, tant il y en a. Mais quel peuple rencontré jusqu'ici se serait émerveillé devant un arbre fleuri ? Quelle civilisation aurait pris du temps pour s'adonner à une passion telle qu'admirer des fleurs ?

De petites routes parcourant une nature verdoyante et parsemée de temples nous conduisent , peu à peu, aux immenses avenues d'une grande mégalopole ultra moderne. Immenses carrefours, passages piétons en diagonale, énormes buildings vitrés, écrans lumineux géants... Larges trottoirs impeccables sur lesquels piétons et cyclistes cohabitent. Pas un klaxon qui retentit, des moteurs majoritairement électriques et des piétons silencieux . Comment une si grande ville peut-elle être étonnamment aussi calme ?

Un bivouac en campagne aux portes de la capitale nous conforte dans l'idée qu'il n'y a vraiment aucune raison de se tracasser pour camper. Au Japon comme ailleurs, nous dormirons partout sans nous poser tellement de questions !

Si poser sa toile de tente peut être un jeu d'enfant, faire la grasse mat' semble néanmoins ne pas apparaître dans le dictionnaire japonais. À 4h, l'aube pointe déjà son nez, à 5h les habitants commencent déjà à s'activer ! Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt au pays du soleil levant.

Et quel monde !

Un petit monde bien propre, bien ordonné, composé de gens bien disciplinés, respectueux à outrance les uns des autres, calmes et silencieux. Corps sveltes, yeux bridés, cheveux noirs, raides, peaux claires. Gens de tous âges en bonne forme physique. Ici, il semblerait que l'on vive jusqu'à 150 ans ! Sourires dissimulés sous des masques dévorant les trois quarts du visage. Les sentiments sont si bien dissimulés.

La barrière de la langue et une distance sociale imposée n'aident parfois pas vraiment à établir un contact quel qu'il soit. Mais dès lors que les masques tombent la bienveillance, l'accueil et la gentillesse rencontrée grimpent dans le top 3 des belles surprises du voyage.

Quel peuple surprenant !

Comment peut-on être si distant et si attentionné à la fois ? Leur arrive-t-il de ne pas s'excuser de simplement te croiser en s'inclinant je ne sais combien de fois devant toi ? Ouvrent-ils ne serait-ce qu'une seule fois la bouche sans qu'une formule de politesse n'en sorte ? Oseraient-ils même un jour exprimer un désaccord, leur colère ? Connaissent-ils le sentiment de révolte ? Un japonais est-il même capable de s'énerver ?

C'est assez incroyable comment ce peuple semble malléable au point de se modeler au cadre imposé, de s'accommoder de la règle édictée aussi ridicule soit elle.

Tout comme les toilettes, les transports publics sont en général un indice assez parlant. Ici on patiente sagement en retrait du quai dans des cases dessinées à cet effet sur le sol. On ne commence à bouger quand et seulement quand les voyageurs descendant à la station sont tous sortis du train. On se fait des politesses et on s'offre mutuellement la place assise, on ne mange pas dans les transports et on ne regarde pas des vidéos avec la musique à tue -tête sur son téléphone !

Globalement on réfléchit à deux fois avant de faire quelque chose qui pourrait gêner autrui.

Dans ce train calme, dans cet espace propre, spacieux, éclairé, sans odeur, avec un système de chauffage au niveau des pieds, et en observant tous ces visages inconnus, si différents de ceux que l'on a croisés jusque -là, en voyant défiler tous ces paysages boisés au travers de ces vitres impeccables, des souvenirs envahissent ma mémoire.

Je ne peux m'empêcher de repenser à ce fameux train en gare de New Delhi. Un train de nuit, la veille d'un jour de fête et une foule désorganisée attendant sur le quai. Personne ou presque n'avait de couchette réservée mais tout le monde en voulait une ! Des employés tentaient de faire respecter l'ordre et essayaient de maintenir une distance, dite de sécurité, avec les rails en donnant des coups de matraque en plastique sur les voyageurs. Rien ne semblait troubler la détermination de tous ces indous bien décidés à rejoindre le Gange pour fêter Diwali.

Cette attente entassée, s'était poursuivie par une bagarre incroyable pour monter à bord, les gens pressés comme des citrons dans une cohue sans nom. Ça tirait, ça poussait, ça criait, ça gémissait, ça bourrinait, ça s'agrippait aux vêtements, ça grimpait sur les wagons et ça entrait par les rares fenêtres sans barreau... Lorsque le train démarrait, certains forçaient encore le passage et tentaient leur chance en courant à ses côtés.

Une fois à l'intérieur, il avait fallu se faire une petite place sur une de nos deux couchettes déjà largement squattées par toute une horde d'indiens aux visages sombres et aux airs graves. Un hochement de tête comme, eux seuls en ont le secret, et qui peut signifier à peu près tout et n'importe quoi mais dans ce cas précis quelque chose comme "cause toujours" !

Pas loin de 25 personne dans un espace conçu pour 8 dans ce compartiment et que dire des couloirs de ce train où s'empilaient des centaines de personnes, assis ou allongés à même le sol. Odeurs des corps, de nourriture épicée, de tchaï fumant, de latrines spartiates s'entremêlaient, crasse sur les murs et sur le sol, ronronnement et bruit métallique des roues sur les rails venaient complètement le décor.

Pour nous petits européens le choc culturel était grand mais qu'elle ne fut pas notre surprise quand nous vîmes débarquer dans ce chaos humain une petite famille de... japonais.

L'homme portait une chemise de coton indien bien repassée dont les boutons avaient, semble-t-il résisté à l'émeute des dernières minutes. La femme était vêtue d'une grande robe grise, d'un petit gilet assorti et d'un petit chapeau de paille encore parfaitement posé sur ses cheveux bien peignés, l'enfant d'une dizaine d'années observait de ces grands yeux noirs en amande ce spectacle pour le moins surprenant. Il semblait tranquille, pourtant dans la bataille, il venait de perdre sa montre ultra-connectée, sûrement arrachée de son poignée dans la mêlée mais il ne laissait apparaître aucun remord bien qu'il fut sûrement un peu déçu.

Ils étaient tous trois chargés d'innombrables sacs et valises qu'ils avaient mystérieusement réussi à hisser à bord alors qu'entrer les mains vides dans ce train relevait déjà du défi !

Arrivés dans le compartiment, trois couchettes leur étant réservées, l'homme fit un geste pour demander qu'on leur cède la place appropriée. Aussi étonnant que cela puisse paraître les indiens s'exécutèrent presque sans rechigner dans un hochement de tête qui ce coup-ci était plutôt synonyme de "bon, d'accord...".

Nous étions scotchés. Parce qu'évidemment, nous avions, nous aussi, bien tenté notre chance en demandant qu'on nous laisse un petit peu d'espace. Et si quatre indiens s'étaient gentiment décidés à quitter notre lit, sept s'y étaient assis illico à la place ! Et cette fois, c'est certainement nous qui avions hoché la tête un peu désespérés !

Pendant qu'assis, pliés en deux sur notre couchette, nous passions la nuit entière à vomir la nourriture douteuse avalée la veille dans les rues du Old Delhi et à réaliser des allers et retours semblables à des parcours du combattant pour rejoindre les toilettes du train (qui évidemment, vous le devinez n'avait pas de lunette de cuvette chauffante et n'étaient pas insonorisés !), nos trois japonais semblaient dormir à peu près paisiblement. Trois ou quatre indiens s'étaient pourtant incrustés au fil de la nuit sur leurs couchettes notamment sur celle du petit garçon qui tentait tant bien que mal, en palabrant, de conserver sa place sans en inquiéter ses parents !

Aujourd'hui, confortablement installée dans ce train nippon, je serais si curieuse d'appréhender les sentiments qu'éprouvait à cet instant précis ce petit japonais.

Pour lui, c'est certain, ses parents ne l'avaient pas simplement emmené visiter un autre pays. Ils lui avaient offert la découverte d'un autre monde. Cette situation devait être aux antipodes de ce que ce petit japonais connaissait jusqu'ici ?

Elle dépassait déjà toute notre imagination de petits voyageurs européens un peu roots alors qu'en était-il pour celle d'un petit habitant du pays du soleil levant en visite dans le pays où le jour ne semble jamais se coucher tant l'agitation est permanente.

Quand bien même, ce dernier semblait plutôt bien s'accommoder de cette situation incongrue et je me souviens avoir aimé le voir observer avec curiosité le fonctionnement de ce nouveau monde qui l'entourait.

Quelle chance pour nous d'être témoin de ce choc des cultures et de cette capacité d'adaptation de l'être humain !

Quel spectacle avions-nous là, sous nos yeux !


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire