samedi 20 avril 2024

Ascension sous haute-tension...Escal'A2roues#165





De toutes ces (trop) nombreuses années d'école, tantôt face, tantôt dos au tableau noir, je me suis parfois demandée si tous ces savoirs avaient réellement du sens : tous ces textes, toutes ces leçons, ces résumés, ces tables de multiplications, ces verbes irréguliers, ces théorèmes, ces équations mathématiques ou ces formules chimiques ingurgitées jusqu'à l'indigestion en tant qu'élève. Des récitations rabâchées le dimanche sur les sentiers de randonnée, recopiées sur des tout petits bouts de papier pliés en dix dans mes poches, lus au pied des falaises ou sortis au relais avec pour objectif majeur, minimiser le temps passé enfermée !

Non pas que ces connaissances soient fondamentalement inutiles mais plutôt qu'elles manquent parfois de practicité. Transformer ces savoirs en savoir-faire, en savoir-vivre, voilà ce qu'il manquait parfois.

Pourquoi apprendre à dénombrer de si grands chiffres quand on aura à peine quelques pesos en poche toute sa vie ? Pourquoi apprendre à écrire une langue si l'essentiel est de la parler ? Pourquoi retenir par cœur des poèmes et ne pas apprendre à en inventer ? Et quand allait-on apprendre à s'orienter, à recoudre un vêtement, à construire une vraie cabane, à trouver de quoi se nourrir dans la nature, à soigner quelqu'un, à réparer un objet ? Quand allait-on nous expliquer que le vrai but dans la vie était de tout faire pour être heureux ? Allait-on apprendre un jour, à jouer avec le feu sans trop se brûler ?

Et puis un jour, j'ai changé d'école : Ciao le cartable, bonjour le sac à dos !

Les livres sont devenus des topos d'escalade, les cahiers se sont transformés en cartes IGN, les stylos en cordes et on avait même droit à notre smartphone en cours !

La salle de classe se fut dehors, tous les jours ou presque et qu'elles que soient les conditions météorologiques. Pour ainsi dire la cour de récréation devint l'école à elle seule. Là encore, on n'apprit certes pas à s'amuser, à profiter de la vie mais à travailler : guider des clients en montagne et évoluer en sécurité. Il ne s'agissait plus d'apprendre à vivre mais à rester vivant.

Il y eu bien sûr beaucoup de travaux pratiques : des nœuds, des manips de corde, de l'escalade, des descentes à ski, des simulations de secours en avalanche, du secourisme, des courses d'orientation... et il y eu aussi de la théorie : histoire, géographie, médecine... Sur ces derniers sujets nous étions, la plupart du temps, évalués sans que l'on ne nous ait rien enseigné.

Une drôle de formule consistant à nous demander de réaliser nous mêmes un dossier de plusieurs pages sur un évènement alpinistiquement historique ou sur une région montagneuse du monde. D'ici quelques années, en rassemblant le fruit du travail de tous ces aspirants guides, on peut largement imaginer qu'un fascicule d'histoire et de géographie sera prêt à être édité, sans oublier d'y apposer le logo de la grande école en première page évidemment !

Une formule plus "drôle" encore consistait à nous évaluer sur des sujets jamais enseignés via des QCM, des questionnaires à choix multiple en ligne et dont le fonctionnement à toujours été très, très obscur. C'est à dire que selon un bug informatique, le système de notation n'a jamais vraiment fonctionné. Ainsi, on pouvait atteindre un score négatif en ayant tout de même plein de bonnes réponses. Le fait est que l'on pouvait tenter notre chance autant de fois que nécessaire jusqu'à atteindre la fatidique note de 10/20.

Ces interrogations étaient alors devenues une espèce de jeu de loterie sur lequel 50 étudiants testaient ses chances avant de déléguer l'exercice au plus patient de la promo qui lui, finissait par trouver, après parfois une centaine d'essais, la combinaison gagnante : avoir 11/20 et surtout n'avoir absolument rien appris. Nous nous empressions alors tous de recopier ce message codé, de valider les dits QCM et de nous débarrasser de ce stupide exercice.

En effet, l'absurdité de la situation faisait que l'on cochait ou décochait des cases sans avoir une véritable correction ce qui, au delà de nous dispenser aucun savoir, nous insinuait le doute sur à peu près tous les sujets traités !

Ce n'est pas si grave lorsqu'il s'agit de connaissances administratives telle que la comptabilité du travailleur indépendant mais cela devient plus gênant quand il s'agit de secourisme ou plus précisément dans le cas qui nous intéresse, de savoir que faire en cas d'orage en montagne.



Depuis, à chaque coup de tonnerre, alors que je me balade sur des arêtes effilées avec 5 kg de matériel métallique accrochés au baudrier, je repense à ce que j'ai appris à l'école à ce sujet. Autrement dit... rien.

Ce coup-ci n'échappe pas à la règle :

Ce jour-là, alors que nous approchions du sommet de l'Ojos del Salado, 6893 mètres, l'état du ciel s'est peu à peu dégradé. Après un beau lever de soleil dans un ciel dégagé, les nuages sont devenus, au fil des heures, de plus en plus nombreux. À la mi-journée, la météo a même carrément tourné au mauvais temps. La visibilité baisse, le vent se lève et la neige se met à tomber. Rien de vraiment inquiétant si ce n'est pour nos pieds qui, équipés de chaussures légères, pataugent désormais dans la neige à plus de 6000 mètres d'altitude.

Vers 6700 et quelques mètres, nous marchons l'un derrière l'autre à une petite allure, plus que 200 mètres de dénivelé à gravir et nous serons au sommet. Soudainement, Bruno s'arrête et se retourne vers moi. Il m'informe sentir comme un picotement au niveau des épaules. Étrange, me dis-je. Quelques secondes après, je ressens cette même sensation autour de la bouche sans avoir vraiment le temps de l'exprimer. En un éclair, on comprend : la foudre !

Il ne faut pas plus d'un regard échangé entre nous pour savoir que ce n'est pas le moment de s'éterniser là, si on ne veut pas finir grillés...Et en même temps... Que faire ? Où se réfugier ?

Instanément, je repense à ce maudit QCM. Parmi les réponses proposées, il y avait forcément des comportements à adopter et d'autres à vraiment éviter. Lesquels ? S'assoir contre un rocher, s'isoler du sol, courir, éviter que les bâtons ne touchent le sol, éloigner les objets électroniques... Nous sommes à presque 7000 mètres dans un vaste pierrier sans réel "abri" en vue. Pas de corde pour s'asseoir, un sac à dos vide pour deux et des bâtons à la mains dont on ne sait vraiment que faire...

Nos épaules crépitent, nos cheveux sont dressés sur nos têtes et les éclairs s'abattent à quelques mètres de nous sans coup de tonnerre annonciateur. On choisit l'option "perdre autant d'altitude possible, aussi vite que possible". Nous voici donc en train de dégringoler en quelques minutes, ce millier de mètres de dénivelé durement avalé.

Quelle étrange et désagréable sensation que d'avoir l' impression qu'une clôture électrique s'est glissée entre notre dos et les bretelles de notre sac à dos ! Quelle frayeur d'apercevoir la lumière de l'éclair et d'entendre le bruit du tonnerre simultanément ! Quelle horreur de ne savoir que faire !

À 5500 mètres, après plus de 1200 mètres de descente au pas de course, alors que nous sommes sur le point de rejoindre le camp de base, les abeilles nous poursuivent encore ! ... Heureusement, notre tente a de bonnes moustiquaires !

Ainsi se conclut, cette première tentative sous haute tension à l'Ojos del Salado. Nous sommes heureux d'être vivants et je suis bien déterminée à chercher moi-même, les réponses à toutes ces questions au sujet de l'orage et de la foudre !

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