mercredi 11 octobre 2017

Spectacle son et lumière pour une visite à Cassin !

La Cassin au Piz Badile, j'en rêvais...  


J'en rêvais probablement depuis ce jour où j'avais lu Livanos nous conter Cassin dans "Il était une fois le 6ème degrès". Un bouquin que j'avais adoré et qui m'avait aussitôt poussée à me régaler de l'humour truculent du Grec en plongeant dans le mythique "Au delà de la Verticale". Sans aucun doute mon bouquin préféré !

Cassin selon Livanos... ("Le Grec" de J. Afanassieff)
Un livre dans lequel j'avais découvert qu'en 1937, Cassin,  Esposito et Ratti après avoir rattrapé Molteni et Valsecchi, qui partis dans la face quelques temps avant eux et qui éprouvaient des difficultés, avaient atteint le sommet après trois jours d'efforts incroyables dans la tempête. Ils y avaient alors tracé le premier itinéraire de la face Nord Est, une magnifique voie de près de 1000 mètres. L'ascension s'était terminée tragiquement puisque Molteni et Valsecchi étaient morts d’épuisement durant la descente en face Sud de la montagne. La face Nord du Piz Badile fut alors considérée comme l'une des grandes faces Nord des Alpes.

J'avais cette idée en tête, peut être aussi, depuis que j'avais parcouru, la Cassin en face Nord de la Cima Ouest des Tre Cime di Lavaredo dans les Dolomites, il y a quelques années. Une voie ouverte deux ans avant celle du Piz Badile en compagnie de Ratti. Un sens de l'itinéraire impressionnant dans une paroi ultra raide. J'étais d'ors et déjà curieuse de découvrir d'autres chefs d'oeuvres signés Riccardo Cassin.
Au Piz Badile, nous n'allions pas être déçus. L'itinéraire est astucieux puisque pour remonter cet immense bouclier si dalleux en apparence, le "monstre italien" et ses amis ont su dénicher des lignes de faiblesses quasi invisibles du bas. Quel talent !


1937 - 2017 : 80 ans. 80 ans que cette voie mythique fut tracée par la cordée italienne sur le sommet du Piz Badile ! 80 ans, c'est également l'âge qu' avait Cassin lors de son dernier parcours de ce même itinéraire en 1989 ! Chapeau Riccardo ! 


Un sacré anniversaire !
Pour nous, en cet été 2017, ce sera donc une visite anniversaire. Une visite qui nous réservera bien des surprises ! ... et des surprises... de taille !

Tout commença aux alentours de 3h30 ou 4h du matin quand après quelques heures de sommeil, nous mîmes le nez dehors... Nous constatons, sans trop comprendre, que le break noir stationné juste là est blanc de poussière. On trouve cela quelque peu étrange mais tous nos neurones ne sont pas encore bien connectés à cette heure bien trop matinale ! ... Premier indice...



Avant de quitter le parking du Laret (terminus d'une petite route à péage au départ de Bondo), toujours à moitié réveillés, nous croisons un panneau sur lequel figure une carte et quelques couleurs : vert, jaune, rouge... (Ne vous fiez pas aux apparences, ce n'est pas une affiche d'un concert de reggae! ). J'y jette un œil rapide (l'autre étant encore fermé !) en disant sans vraiment le prendre au sérieux : "Tiens, des cailloux peuvent tomber jusqu'ici..." ... Deuxième indice...



Nous prenons ensuite la direction du refuge de Sasc Furä. Le sentier est très raide, cela a au moins l'avantage de prendre de la hauteur sans avoir le temps de s'ennuyer... Nous sommes en sous bois et il fait encore nuit noire quand un bruit sourd se fait entendre. (?!?) Ce doit être un écureuil qui tousse ! ... Troisième indice...

Nous poursuivons et après 1h de marche nous passons devant le refuge qui se réveille tranquillement... Nous réussissons à rattraper les frontales devant nous. Une chance de pouvoir attaquer la voie les premiers !

Quand le jour se lève, nous sommes au pied de l'Arête Nord et nous découvrons le Piz Badile, pyramide magistrale qui nous domine. C'est beau !

Quelques secondes plus tard, comme nous débouchons au petit col permettant de rejoindre la vire d'accès à la face Nord Est, le Piz Cengalo voisin se dévoile. Pas plus tôt aperçu, sitôt disparu ! Des cailloux dégringolent de la face dans un énorme fracas. Nous nous arrêtons pour assister au spectacle. Dans le gigantesque nuage de poussière qui stagne au pied de la face, on aperçoit de temps à autre des blocs gros comme des voitures bondir dans les airs. Pouah ! ... Quatrième indice...






S'ensuit le retour au calme, entrecoupé de quelques pierres qui tombent de temps à autre. Comme il n'y a plus rien à voir, nous poursuivons notre chemin et grimpons la première longueur canon de la voie : le dièdre Rébuffat. Dièdre parfait qui permet de se réveiller tranquillement aussi nous gardons les baskets. La suite serpente entre dalles, écailles et petits dièdres... Le caillou est super bon contrairement au sommet voisin le Cengalo qui continue de déverser régulièrement quelques tonnes de cailloux dans la vallée.





Les travaux d'assainissement se poursuivent... Indices 5, 6, 7, 8 et 9 se succèdent... Un véritable feu d'artifice ! Les suisses ne font rien à moitié et quand ils décident de purger une face, ils n'y vont visiblement pas par 4 chemins. 




Vers 9h, nous sommes au niveau de la vire médiane. Cela commence à grimper davantage même si le niveau reste vraiment très accessible. J'enfile les chaussons pendant que Bruno passe en mode client, il gardera les baskets jusqu'au sommet !


J'ai à peine le temps de dérouler un peu de corde et de poser quelques friends que tout s'accélère brutalement. Les pyrotechniciens du Cengalo mettent les bouchées doubles et nous préparent visiblement le bouquet final ! 



Un bruit assourdissant se fait entendre et nous avons juste le temps de tourner la tête pour assister au spectacle. Nous sommes aux premières loges : à la même hauteur et à  1km à peine à vol d'oiseau, de la montagne en furie.




Quelques millions de mètres cubes viennent de se décrocher du Piz Cengalo et de s'écraser sur le glacier du même nom. Une énorme gerbe de poussière, d'éclats de roche de toutes tailles et d'eau boueuse est propulsée en l'air jusqu'à mi paroi, soit quelques centaines de mètres. S'ensuit un énorme aérosol qui file vers la vallée. Le nuage de poussière est gigantesque et nous masque ce qu'il peut être en train de se produire plus bas... Nous pensons au village de Bondo, nous pensons à la route que nous avons suivie hier soir, nous pensons au parking et à toutes les voitures qui y sont stationnées. A cet instant, nous ignorons encore qu'un sentier de rando permettant de rejoindre un refuge situé sur l'autre rive du glacier est emprunté par des promeneurs sinon nous penserions également à eux, 8 randonneurs pris au piège.



En train de grimper, les mains posées sur le rocher, je n'ai ressenti aucune vibration alors qu'une secousse d'une magnétude de 3 sur l'échelle de Richter aura été enregistrée durant l'effondrement. Le caillou sur lequel nous grimpons nous semble sain et nous ne nous inquiétons pas vraiment à notre sujet. Nous pensons plutôt au camion qui, à l'heure qu'il est, ressemble peut-être à une crêpe et surtout au monocycle resté à l'intérieur et aux pêches oubliées sur le lit. On rigole en se disant que ce qui pourrait vraiment être trop dommage ce serait que la roue du monocycle soit voilée et que les fruits se soient transformés en compote !




Nous poursuivons notre chemin vers le haut dans un bruit sourd et continu d'un torrent de blocs qui s'écoule dans la vallée. Cela nous accompagnera tout le reste de la montée et une bonne partie de la descente, soit environ 6h. Quand le nuage de poussière se dissipe un peu, nous apercevons à nouveau le village de Bondo mais celui-ci semble partagé en deux par une large trainée grise...







En fin de matinée, je découvre la fameuse cheminée pour laquelle le panel des cotations s'étend de 4c à 6b ! Ce n'est pas franchement dur et je me dis qu'il y en a qui voient quand même le mal partout ! La cheminée s'élargit encore davantage et un des deux pans est tout zébré de belles cannelures. Avec tous ces bruits et images parasites, j'en oublierai presque de vous dire que cette voie est vraiment classe, chouette caillou et belle ambiance !






Après avoir débouché sur l'arête nord, nous suivons celle ci jusqu'au sommet. Les ennuis qui nous attendent dans la vallée et l'orage prévu pour 15h ne nous incitent pas à traîner trop longtemps ici. A 13h, nous attaquons la descente par le Spigolo Nord. Un peu de désescalade et quelques rappels plus tard, les nuages nous rattrapent et on essuie un bref mais intense orage juste avant de rejoindre la terre ferme. On attend que les dalles sèchent un peu, histoire de ne pas arriver dans la vallée aussi vite que les blocs du Cengalo !

Arrête Nord...
... à la montée...
... à la descente...



Arrivés en fin d'après-midi au refuge de Sasc Furä, nous allons à la pêche aux informations, ce qui va probablement modifier le programme des jours à venir...

Radio Heidi (la gardienne du refuge) nous indique que l'activité au Piz Cengalo se poursuit et qu'il serait dangereux de vouloir rejoindre la vallée, que les dégâts liés à l'écroulement sont importants dans le village de Bondo. Celui-ci a été traversé par une coulée de boue, des maisons et la route nationale sont endommagés, la petite route est impratiquable car un pont a été arraché et huit personnes sont portées disparues...




Une rotation hélico pour nous évacuer est prévue pour le lendemain matin. Nous quittons donc le massif du Piz Badile par la voie des airs. Nous survolons le parking où nous apercevons les véhicules totalement couverts de poussière blanche sans savoir si les vitres auront résisté au souffle de l'aérosol...



La suite consiste à se retrouver au fin fond de la Suisse avec un petit sac rempli de matos d'escalade, deux cordes (ce qui finalement est fort inutile dans la vie de tous les jours !), un billet de 20 euros et un seul téléphone dont la batterie est à moitié déchargée.
Papiers d'identité, téléphone, chargeur, cartes bleues, vêtements... tout ça est resté coincé dans le camion.



Après avoir fait un tour d'hélico, avoir rencontré la police, passé environ 50 coups de fil à la MAÏF, être interviewés par la télé, avoir mangé avec les secouristes, s'être installés pour la nuit dans le bunker de l'hôpital, nous prenons un taxi, dormons dans un hôtel, reprenons un autre taxi pour la gare de St Moritz où le Glacier Express nous attend à quai.




C'est l'occasion de découvrir ce train hallucinant qui traverse des paysages magnifiques et qui emprunte un itinéraire incroyable, comme après le passage d'un col quand il tournicote dans tous les sens, dans des tunnels en colimaçon, pour rejoindre le bas de la vallée. 
Une chouette découverte en première classe s'il vous plaît !


A Chur (là où il ne faut pas être trop chur de choi !) puis à Zurich, nous poursuivons par différents trains plus classiques jusqu'à Chamonix où un dernier taxi nous ramène à la maison ! Quelle aventure ! 


Je crois que nous ne sommes pas prêts d'oublier cette visite anniversaire à la Cassin au Piz Badile... Une belle voie et quel spectacle : Un écroulement historique de 4 000 000 de mètres cubes soit une quantité 15 fois plus importante que lors de l'écroulement de la face Ouest des Drus en 2005 (260 000 mètres cubes). Ce qui n'était déjà pas rien !


Pour la petite histoire, plus d'un mois et demi après cette aventure, le camion vient lui aussi de faire un petit tour d'hélico. Pendant tout ce temps, quelques souris ont élu domicile à l'intérieur... Tant pis... Plus on est de fous plus on (sou) rit !

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